Belin s'enroula dans la couverture qu'on venait de lui donner et se frotta
vigoureusement les bras pour tenter de se réchauffer. Malgré le temps estival,
l'eau de l'océan n'était pas franchement chaude, et ses vêtements trempés lui
collant à la peau n'arrangeaient rien.
Il regarda avec un intérêt non dissimulé Heero déployer ses ailes et descendre
vers la mer, survolant les vagues pour se mettre à la hauteur de Duo qui avait
refusé de monter à bord du porte-avions, disant préférer nager encore un peu
pour se défouler. Le généticien ne doutait pas que le garçon l'aurait tué, s'il
l'avait pu.
Grelottant un peu dans la brise de l'océan, il se tourna vers le petit attroupement
qui s'était formé sur le pont et demanda :
- Où est mon collègue ?
- À l'infirmerie ! S'exclama Mike en pouffant. Il était un peu trop vert quand
le piaf et le lézard ont atterri sur le pont. Wufei tiqua à l'appellation de
lézard, mais se contenta de lancer un regard noir [1]
au sweeper, avant de lancer un coup d'oeil à Belin, se demandant ce que le généticien
et son collègue pouvaient savoir. Comme ils avaient emporté tous les échantillons
et examens du labo ils auraient normalement dû n'avoir aucun matériel sur lequel
travailler, mais le chinois ne s'expliquait pas pourquoi tout deux étaient recherchés
par Oz. Faisant un signe de tête au généticien, il lui indiqua une porte menant
à l'intérieur et s'y enfila derrière lui, repliant ses quatre ailes dans son
dos pour pouvoir passer.
Ils finirent par arriver dans une salle de repos muni de canapés et de fauteuils,
semblant particulièrement accueillante et dans laquelle le sac de Ody était
posé, accompagné du portable de Belin.
Une porte à l'autre bout de la pièce s'ouvrit, laissant passer un Ody passablement
blanc suivi de Sally qui hocha la tête à l'adresse du chinois, celui-ci lui
souriant en retour. La doctoresse laissa le physiologiste encore sous le choc
s'asseoir dans un des fauteuils et fit entrer Belin toujours trempé et enroulé
dans sa couverture dans l'autre pièce. Histoire de lui donner de quoi se changer
et de vérifier au passage qu'il ne portait aucune sorte d'émetteur qui aurait
permis à Oz de les localiser.
Ody leva un regard vaguement bovin sur Wufei, qui se contenta de hausser un
sourcil.
- Vous... êtes un... dragon ? Souffla doucement le physiologiste.
- Normalement oui. Mais certains s'obstinent à me confondre avec un lézard.
Rajouta-t-il avec un reniflement narquois.
- Les lézards ne volent pas. Répliqua Ody. Et ils n'ont pas de... moustaches.
Ne put-il s'empêcher de pouffer.
Wufei soupira d'agacement et aurait probablement tué le biologiste si Quatre
et Trowa n'étaient alors apparu dans la pièce, et allèrent réquisitionner d'office
l'un des canapés pour s’y vautrer. Quelques secondes à peine s'écoulèrent avant
qu'un américain babilleur et visiblement de meilleure humeur fit son entrée,
suivi de Heero toutes plumes dehors qui eu un peu de mal à faire passer ses
ailes par l'étroite ouverture de la porte.
- Pourquoi vous restez transformé ? Demanda Quatre alors que le japonais s'installait
confortablement, c'est-à-dire avec les ailes à demi déployées sur un siège,
Duo se bouinant contre lui.
- Parce que j'en connais un qui me préfère comme ça. Fit Heero en tiraillant
la natte de son amant. Lequel se vengea en commençant à lui chatouiller les
côtes et lui attraper des plumes. Ignorant la dispute amicale, le petit blond
lança un regard interrogateur à Wufei. Celui-ci haussa les épaules.
- J'aime bien être comme ça. Et je pense que ça peut les intéresser. Rajouta-t-il
en désignant Ody du menton.
Sally revint à ce moment-là, accompagnant Belin qui était à présent vêtu d'une
chemise et d'un pantalon propres de toile claire très banals. Tous deux s'installèrent
dans des sièges libres et ils commencèrent tous à se dévisager avec circonspection,
ne sachant pas vraiment par où commencer.
Heero finit par se racler la gorge, avant de demander :
- Pourquoi Oz est-il à votre poursuite ? Belin et Ody échangèrent un regard,
puis le généticien se lança :
- Dans la base où nous travaillions tous deux se trouvaient pas mal d'objets
de recherches qui provenaient des colonies ; la plupart du temps, ces objets
étaient entreposés sans qu'aucune recherche ne soit effectuée dessus. Peu après
votre... départ, fit-il en lorgnant vers Duo, j'ai découvert un squelette étrange
dans une petite pièce des archives.
- C'était un squelette gigantesque de tigre à dents de sabre. Continua Ody.
Avec des caractéristiques étranges, la forme du crâne, les os du bassin... Cette
créature était bipède et possédait un cerveau très semblable au nôtre.
- Un tigre à dents de sabre ? Avec un croc cassé ? Demanda alors Wufei en levant
un sourcil. Les scientifiques acquiescèrent et le jeune chinois tourna la tête
vers Quatre.
- C'est celui que nous avions vu... Murmura le blond.
- Qu'est-ce que vous avez fait ? Fit Heero.
- Nous avons fait quelques recherches, sans avertir qui que ce soit. Expliqua
Belin. Des analyses génétiques, mais aussi une modélisation du squelette pour
voir quelle forme il aurait dû avoir s'il n'avait pas été mal monté. Et nous
avons découvert pas mal de choses intéressantes : premièrement, qu'il n'est
pas aussi âgé qu'on pourrait le croire ; il a probablement moins de 2000 ans
[2]. Ensuite, il était effectivement bipède, et avait un cerveau semblable
au nôtre. Et donc, une intelligence pouvant rivaliser avec la nôtre. Et enfin,
l'analyse génétique a révélé un génome humain, mais possédant des gènes étranges,
non répertoriés à ce jour. Belin se tourna vers Duo et le fixa longuement de
derrière ses lunettes, l'américain lui rendant son regard sans ciller, attendant
la suite tout en se doutant de ce qu'il allait dire.
- Et ces gènes étranges se trouvent exactement aux mêmes loci [3]
que ceux que tu possèdes. Bien qu'il faudrait que je puisse remettre la main
sur tes examens pour en être totalement sûr... Rajouta-t-il avec un demi sourire.
Quatre fronça les sourcils :
- Quel est le rapport entre ces gènes et ce qu'est Duo ? Et ce qu'était ce tigre
?
- J'ai dit que ces gènes se trouvaient aux mêmes emplacements chez eux deux,
pas qu'ils étaient identiques. Je pense qu'ils permettent les transformations,
et je pense que vous en possédez aussi. Fit-il en s'adressant à Heero et Wufei.
- Il est peut-être même probable que des personne a priori normales possèdent
ces gènes mais ignorent qu'elles peuvent se transformer ; si c'était un acte
inconscient ou un réflexe de protection dans certaines situations, ces personnes
n'ont peut-être jamais eu l'occasion de se transformer... Fit Ody.
- Ou alors que les gènes qu'elles possèdent sont incompatibles entre eux, par
exemple si l'un code pour des ailes et un autre pour une nageoire... Ça ne peut
pas coller. Fit remarquer le généticien.
Il s'ensuivit un silence pendant lequel tous réfléchirent à ce qui venait d'être
dit, tentant de comprendre ce que tout cela cachait.
- Vous avez dit que le squelette provenait d'une colonie ? Pourquoi ? Fit alors
Trowa qui était jusque-là resté silencieuse.
- Oui. Acquiesça Ody. De L 3. Il se trouvait apparemment dans un laboratoire
qui a été presque entièrement détruit il y a une bonne dizaine d'années. Ce
squelette faisait partie des rares choses à être récupérables. Il est passé
entre diverses mains avant d'atterrir dans le complexe où nous travaillions.
Lentement, Trowa monta sa main devant son visage, ses doigts traçant dans l'air
la forme de crocs imaginaires.
- Un tigre à dents de sabre. Soupira-t-il, d'un ton à la fois las et épuisé,
et en même temps comme éclairé ; comme s'il s'agissait de la réponse qu'il attendait
depuis longtemps, qui mettait un terme à ses interrogations et ses doutes, et
lui permettait enfin de comprendre. Il ferma les yeux, doucement, et Quatre
sursauta lorsqu'il les rouvrit : ils étaient devenus d'un beau doré cuivré,
les pupilles allongées comme celles de Wufei. Sous les regards ébahis de ses
compagnons, deux grandes lames sortirent lentement de sa bouche tandis que son
corps se couvrait d'une courte fourrure brune et rêche.
Trowa regarda avec étonnement ses mains à présent muni de griffes et passa doucement
un doigt sur les crocs qui sortaient de sa bouche, l'obligeant à garder celle-ci
entrouverte et l'empêchant de parler correctement.
Un tigre à dents de sabre. C'était le déclic qui lui manquait.
Heero s'était perché sur le bastingage, écartant largement ses ailes pour capter
les derniers rayons du soleil couchant, les cheveux ébouriffés par la brise
du large, les yeux mi clos.
Il réfléchissait. À tout ce qui leur arrivait, et à ce que les deux scientifiques
leur avaient révélé ; ils avaient déjà expliqué les résultats des examens qu'ils
avaient fait à Duo. Le merboy possédait les mêmes gènes que le squelette du
tigre à dents de sabre mais avec quelques différences, minimes, mais suffisantes
pour faire de lui un poisson au lieu d'un félin. Au premier abord pourtant le
lien de parenté entre les deux était loin d'être évident...
Ody avait alors pris la parole, expliquant d'une part qu'ils ignoraient totalement
comment un corps pouvait autant se transformer, que ce soit consciemment ou
non, mais que ce n'était pas ça qui l’inquiétait : l'évolution de l'espèce humaine
même était remise en doute, il se pouvait que ce ne soit absolument pas ce que
nous croyions [4]. L'être humain n'était peut-être pas uniquement un primate à la
base, mais une espèce de mammifère possédant des gènes et des caractéristiques
d'autres vertébrés. Une espèce de croisée des chemins de l'évolution, ayant
donné des créatures a priori mammifères mais possédant des caractères propres
à d'autres groupes... La capacité de respirer l'eau, de voler...
On pouvait ainsi expliquer aisément l'existence de la famille de Wufei : le
jeune chinois descendait probablement d'un de ces mammifères possédant la capacité
de voler d'un reptile du genre ptérodactyle [5].
Le physiologiste devait bien avouer que cette théorie ne lui plaisait pas trop,
car elle impliquait le fait que les paléontologues s'étaient complètement plantés
pendant des siècles... Il était loin le temps où l'homme croyait avoir été créé
tel quel par un Dieu tout puissant. C'était alors tellement plus simple...
Un silence s'était installé, et il avait duré longtemps avant que Belin se décide
soudain à prendre la parole. Et d'un ton hésitant et gêné qui semblait particulièrement
inhabituel chez lui, il avait expliqué ce qu'il savait d'eux...
Les recherches sur les news types et les modifications de l'espèce humaine dans
les colonies, les découvertes quasi simultanées de ces gènes étranges parfois
plus présent chez certaines personnes que chez d'autres, comme dans le clan
de Wufei qui s'était préservé de l'extérieur pendant des siècles et, bien que
ses membres ne possédaient plus la capacité de se transformer, conservaient
dans leur génome des particularités de dragon.
Et la menace de la Terre qui pesait plus fortement jour après jour sur les colonies.
Et l'idée qui germa de créer des guerriers pouvant se transformer, plus fort,
plus résistants, et capables de contrer l'envahisseur.
Et le recrutement clandestin de personnes possédant ces gènes, pour les réunir
et les faire réapparaître au grand jour.
D'une voix faible Belin annonça qu'il faisait alors partie des généticiens travaillant
sur L3, et que son épouse avait acceptée de porter un de ces... soldats, elle-même
ayant ces gènes. Comme ils appartenaient tous deux au programme, ils avaient
obtenu le droit de l'élever.
Deux années de bonheur familial. Avant qu'un soulèvement soudain massif de groupes
de mercenaires ne détruise pour ainsi dire tous les labos et les annexes...
Sa femme mourut des suites de ses blessures et l'enfant disparu.
Les choses plus ou moins semblables arrivèrent sur les autres colonies... Les
familles Chang et Winner refusèrent de céder les enfants modifiés, arguant qu'ils
avaient droit à une enfance normale et qu'il serait bien assez tant pour eux
de combattre lorsqu'ils seraient adultes.
Ce fut plus compliqué sur L2 ou l'enfant fut porté disparu, et considéré comme
mort vu qu'il était peu probable qu'il survive à la rue.
Seul l'enfant modifié de L1 n'avait pas été perdu de vue, ayant été confiée
à Odin Lowe dès son plus jeune âge, puis à l'équipe du professeur J à la mort
de celui-ci.
Lorsque Belin cessa de parler dans un soupir, la tête basse, n'osant pas la
relever, n'osant pas croiser le regard des cinq adolescents et encore moins
celui de Trowa, le silence pesant qui s'installa fut encore plus insupportable
que ses paroles mêmes.
Trowa se leva, lentement, et sortit en titubant, rapidement suivis par Quatre
après un instant de flottement, puis Duo se rua à l'extérieur, arrachant ses
vêtements au passage, dans une rage presque palpable.
Heero avait fini par sortir lui aussi, marchant comme un automate, allant s'installer
à l'extérieur sur la rambarde de sécurité. Il espérait pouvoir cesser de penser,
cherchant un peu de réconfort dans la douce caresse du vent dans ses plumes,
tandis que son coeur se serrait dans sa poitrine, lui faisant si mal... On lui
avait caché ça toute sa vie ? Tous savaient autour de lui et on ne lui avait
jamais rien dit ? Odin Lowe, le professeur J... Les rares bases qu'il croyait
être solide dans sa vie s'effondraient comme un château de cartes... Heero n'osa
pas reprendre forme humaine, il aurait été capable de tout détruire autour de
lui.
Sa vue se troubla, et il vit avec surprise une goutte d'eau -une larme- tomber
sur sa main. Il leva doucement les doigts sur son visage, découvrant ses joues
trempées de larmes, mais ne prit pas la peine de les essuyer. Se mordillant
la lèvre, il laissa échapper un sanglot, puis deux. Et il pleura.
Quatre retrouva Trowa à l'extérieur, les mains sur le bastingage, les épaules
basses. Le petit blond s'avança doucement, les sentiments de son amant le frappant
de plein fouet et lui brûlant la poitrine. Il arriva derrière Trowa et passa
ses bras autour de son torse, s'appuyant lui-même contre son dos, sentant sous
ses mains à quel point le brun était tendu, et sa respiration difficile.
Ainsi Trowa était un tigre à dent de sabre ? Quel hasard que lui-même soit
tombé sur le squelette de la créature dont il tenait probablement ces gènes
lui permettant de se transformer… quoique… le hasard n’avait peut être rien
à voir là-dedans… En tout les cas cela expliquait cette étrange impression qu’il
avait eue face au fossile, comme s’il le connaissait et que celui-ci avait tenté
de lui parler… Les images qu’il avait perçus n’étaient pas des images
de destruction, de souffrance ou de supériorités. Non. Le tigre à dents de sabres
était fort, mais humble. Y avait-il une leçon à en tirer ? Est-ce que les
hommes pourraient vivre en paix un jour, simples sapiens, new types et… mutants
confondus ?
Ca lui paraissait difficile, mais l’optimisme qu’il avait perçu du squelette
semblait à toute épreuve…
Il ne parla pas, se contentant de réconforter Trowa par sa présence, tentant
de lui transmettre des sentiments plus apaisants, de sécurité, de bien-être.
Il le sentit se détendre imperceptiblement dans ses bras.
- Comment... est-ce que tu fais... pour le supporter ? Demanda Trowa d'une voix
hachée, comme s'il se retenait à grand-peine de pleurer. Quatre le caressa doucement
de ses mains, laissant passer quelques instants avant de répondre :
- Je me transforme depuis que je suis tout petit... Je ne me souviens pas d'une
époque où je ne pouvais pas me transformer en lapin. Et j'ai toujours su que
mon père avait voulu un garçon pour son 30e enfant... Je suis un bébé
éprouvette et j'ai grandi avec. Le fait de savoir que ça a été voulu
que je me transforme c'est presque un soulagement...
Trowa se laissa aller un peu contre le petit blond, et celui-ci passa à côté
de lui sans le lâcher, laissant un bras autour de sa taille, et le brun appuya
sa tête contre son épaule avec reconnaissance. Quatre leva la main et la passa
entre les mèches folles de son amant, caressa sa joue, le serrant contre lui,
le laissant s'abandonner dans ses bras, en toute confiance.
Ils restèrent longtemps ainsi, la nuit tomba et les étoiles recouvrirent la
voûte du ciel, ces étoiles qui semblaient si petites et lointaines vues de la
Terre... Et soudain, Quatre percuta sur ce qu'avait dit Belin. Son épouse était
la mère de Trowa ? Belin était donc son père ? ? ?
Il haletait sous l'effort, la sueur lui coulait dans les yeux mais il l’ignora,
continuant à enchaîner les mouvements des enchaînements avec rage et passion,
frappant l'air de son sabre, vaguement frustré au fond de lui que celui-ci ne
lui réponde pas.
Wufei finit par s'effondrer, tombant à plat sur le dos, les bras en croix et
son sabre toujours dans sa main, reprenant sa respiration, indifférent aux mèches
de ses cheveux échappées de sa queue de cheval et à la sueur qui trempait son
corps, collant son tee-shirt et son pantalon à sa peau.
Il était vidé.
Et trop épuisé pour pouvoir penser.
Bien. Maintenant au moins il pouvait être sûr qu'il ne risquait pas de tuer
quelqu'un.
Il se releva avec difficulté et jeta un coup d'oeil indifférent aux sweepers
qui l'avaient regardé faire et se tenaient à l'écart, ne tenant pas à servir
au défoulement du jeune chinois. Le voyant un peu près calmé, Mike s'avança
et demanda en restant néanmoins prudent :
- Je sais pas ce qu'ils vous ont raconté, mais ça devait pas être bien jouasse.
- Occupe-toi de tes oignons. Marmonna Wufei en passant devant lui et quittant
le pont du bateau où il s'était défoulé pour retourner à l'intérieur, se dirigeant
d'un pas las vers les douches.
Il se déshabilla comme un automate, laissant ses vêtements là où ils tombaient,
et se plaça sous le jet d'eau brûlante avant de se souvenir qu'en tournant les
robinets qui se trouvaient sur le mur en face de lui il pouvait en changer la
température.
Il avait été élevé dans le mensonge.
Ses parents savaient. La Matriarche du clan savait.
Et on ne lui avait jamais rien dit...
Il ne savait pas ce qui était le plus rageant : le fait d'avoir grandi dans
le mensonge, ou le fait que tous étant mort, il ne pouvait pas vraiment les
blâmer.
On n'injurie pas des morts...
Il poussa un fort soupir, retenant ses larmes et les sanglots qui lui montaient
dans la gorge, et appuya son front contre le carrelage frais couvrant les murs
tandis que l'eau continuait de couler contre son dos, courant le long de sa
colonne vertébrale, passant par dessus ses épaules pour glisser sur sa poitrine,
ses bras, ses jambes...
Wufei laissa l'eau masser ses muscles mis à rude épreuve un peu plus tôt, et
fut surprit soudain de découvrir qu'il se sentait mieux, plus détendu. L'eau
était si douce sur sa peau/ses écailles, éclaboussant ses ailes qu'il avait
étendu au-dessus de sa tête comme un parapluie...
Ses ailes ? !
Il sursauta et lança un regard surpris aux quatre ailes par-dessus son épaule,
s'apercevant enfin qu'il s'était transformé en dragon sans le vouloir.
Il soupira et sortit de la douche, s'ébrouant et faisant claquer ses ailes pour
les sécher, aspergeant pour cela les murs de centaines de gouttelettes d'eau.
Il jeta un coup d'oeil au miroir et sourit à son reflet de dragon, aux yeux
si verts mais pourtant tellement rieurs, les cheveux noirs contrastant avec
la couleur vive des écailles...
Quelqu'un frappa à la porte de la salle de bains, trois petits coups nets, et
une voix s'éleva, teintée d'inquiétude.
- Wufei ?
Sally.
Wufei hésita un instant, se demandant avec quoi il allait s'habiller, ses vêtements
étant sales et trempés, et décida finalement que sa plus petite paire d'ailes,
celle qui prenait naissance en dessous de l'autre presque au milieu du dos suffirait
à cacher sa dignité s'il la repliait devant lui.
- Wufei je peux entrer ? Demanda la voix inquiète de la doctoresse derrière
la porte.
- Oui. Souffla le jeune chinois tout en se penchant pour ramasser ses vêtements,
s'apercevant au passage qu'il avait mis un bordel monstrueux dans la petite
pièce.
Sally entra et referma la porte derrière elle, bloquant un instant sur le corps
dénudé de l'adolescent, sur ses muscles secs qui glissaient sous la peau couverte
de fines écailles, la lumière des néons de la petite pièce leur donnant des
reflets irisés presque surnaturels. Wufei releva la tête vers elle et croisa
le regard de la jeune femme, se demandant finalement s'il n'aurait pas dû se
couvrir en remarquant la légère rougeur sur ses joues.
Elle secoua la tête pour se remettre les idées en place et demanda :
- Wufei, est-ce que ça va ? Il soupira en baissant la tête.
- Aussi bien que ça pourrait aller en apprenant qu'on a été crée. Fit-il d'une
voix basse. Sans relever la tête, il continua : mes parents savaient, c'était
obligé. La Matriarche du clan aussi sans doute, et combien d'autres personnes...
À commencer par Maître O...
Il se laissa glisser lentement sur le sol et s'y assit, remontant ses genoux
contre sa poitrine et les entourant de ses bras, comme un petit garçon apeuré
qui ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait.
Sally s'approcha doucement et s'accroupit à ses côtés, passant un bras autour
de ses épaules, sans un mot, se contentant de lui faire sentir d'une pression
qu'elle était là.
Au bout de longues minutes, il s'appuya contre elle, et se laissa aller dans
ses bras en appuyant sa tête contre son épaule.
Duo sortit d'un sommeil sans rêves et se demanda un instant ce qu'il foutait
dans l'eau. Avant qu'il se souvienne de tout ce que les deux scientifiques avaient
dit et que ses envies de meurtre ne reviennent. Il allait commencer par Ody
et Belin, puisqu'il les avait pour ainsi dire sous la main et il continuerait
avec les professeurs. Une balle dans la tête. Ou les balancer par-dessus bord
et les regarder se noyer, lentement. Ou les entraîner à 100 m de fond et voir
s'ils arriveraient à remonter tout seul. Ou les lâcher au milieu d'une bande
de requins blancs. Ou foutre du poison dans leur bouffe. Ou...
Il secoua la tête, ça natte à demi défaite suivant lentement le mouvement et
se redressa tout en s'étirant. Tout autour de lui la masse de l'océan exerçait
une pression sur ses muscles et sa queue, rendant ses mouvements un peu plus
lents et fluides. Mais c'était en même temps une présence tellement réconfortante...
L'eau était une amie naturelle de longue date, bien qu'il ne s'en soit jamais
aperçu avant.
Il faisait sombre ; il ignorait à quelle profondeur il se trouvait ni quelle
heure il pouvait bien être, mais autant être franc : pour l'instant il s'en
fichait éperdument.
Duo regarda longuement les étendues sombre qu'il pouvait apercevoir en dessous
de lui, releva la tête un instant vers les eaux plus claires de la surface,
et retourna se perdre dans la contemplation des abysses.
Ce serait tellement simple. Partir, oublier, ne faire que nager jusqu'à la fin
de ses jours... Lentement il commença à se laisser glisser, à rejoindre ce monde
silencieux si doux et compréhensif, sans guerre ni autre horreur du même acabit...
Oh oui, il n'avait rien à perdre, il pouvait tout laisser derrière lui, pas
de problème, il pouvait partir et ne jamais... " Ai shiteru "
Les deux mots résonnèrent dans son crâne, avec la voix feutrée que Heero avait
lorsqu'il les lui avait chuchoté à l'oreille, dans la pénombre de la cabine,
dans la chaleur de leur deux corps réuni sous la couverture...
Le souffle chaud du japonais lui avait chatouillé le lobe de l'oreille tandis
que les mots eux-mêmes avaient résonné dans tout son être, provoquant un pincement
à son coeur, des frissons innombrables dans le creux de son dos... Il avait
resserré ses bras autour de son amant, se pelotonnant contre lui et, retenant
avec peine les larmes qui lui montaient aux yeux, avait lui aussi murmuré à
l'oreille de Heero: " I love you "
Heero.
Non, il ne partirait pas. Il avait trop besoin de la chaleur de Heero. Et Heero...
avait besoin de lui.
D'un coup de nageoire puissant, il remonta vers la surface, vers le monde des
hommes. Vers le bateau de Howard. Et vers Heero.
La fuite des cerveaux – Retour aux sources
[1] : Pardon, vert, il est toujours en dragon ^^
[2] : Ca c’est rapport à l’analyse génétique : l’ADN ne
se conserve pas très bien dans le temps, 10 000 ans étant un maximum. Pour qu’une
analyse génétique donne quelque chose, il faut donc que la bestiole ne soit
pas si vieille que ça…
[3] : locus (loci au pluriel) = emplacement d’un gène sur un
chromosome.
[4] : Shinia : En gros : Australopithecus, Homo Habilis,
Homo Erectus, Homo Sapiens neanderthalensis et Homo Sapiens sapiens, les passages
entre ces différentes espèces n’étant pas clairs.
Zissi : Ca t’amuse de sortir des mots latins ?
Shinia : Vi, espèce d’Oryctolagus domesticus…
[5] : Shinia : un dinosaure volant.
Zissi : tout le monde sait ça… v_v
Shinia : ^^ ;;;