Le lendemain soir, ce serait la pleine lune… Quatre était tendu comme
un arc et sursautait au moindre bruit. Il ne pouvait s'empêcher d'essayer
d'imaginer ce que ce serait de se transformer, d'être un animal. Est-ce
que ça ferait très mal? Qu'est-ce que ça changerait en
lui? Physiquement, est-ce que marcher et courir à quatre pattes venait
tout seul? Ou est-ce qu'on devait apprendre? D'après ses descriptions,
Heero n'avait pas eu besoin, mais en tant qu'humain, il était parfaitement
coordonné, alors… Et mentalement? Est-ce qu'il se mettrait à penser
en animal tant qu'il serait transformé, est-ce qu'il continuerait à
être humain?
Il avait déjà tellement changé ce mois-ci… Est-ce que ça
accélérerait les changements dans sa mentalité qu'il ne
reconnaissait déjà plus? Il devenait fou avec toutes ces questions.
Il en venait à souhaiter être déjà demain soir, pour
que tout, que ce soit le pire ou le meilleur, soit enfin déterminé;
et en même temps il ne voulait pas franchir ce cap, ce point de non-retour.
Le jeune arabe se jeta à plat ventre sur son lit et ferma les yeux, souhaitant
de toutes ses forces s'endormir enfin, juste pour ne plus avoir à penser.
Les autres essayaient de l'aider, mais l'approche de l'échéance
le rendait trop terrorisé pour que leur support fasse encore effet. Et
au fond, ils ne pouvaient rien faire.
Quatre étreignit son oreiller et enfouit sa figure dedans. Il se sentait
si mal, à se plaindre et à être terrorisé de ça,
alors que les autres avaient besoin de quelqu'un de fort et de compétent…
Il ne comprenait pas pourquoi Heero ne l'avait pas rejeté pour son comportement,
après tout, lui, ça ne lui faisait certainement pas cet effet
d'être un loup! Duo avait toujours une oreille attentive, mais Quatre
savait qu'il ne comprenait pas vraiment… aussi ça ne servait à
rien d'autre que de lui décharger ses problèmes et ses craintes
sur le dos, ce dont il n'avait certainement pas besoin en plus des siens. Et
Trowa, comment pouvait-il encore le respecter en le voyant si faible et si effrayé
d'une chose inévitable?
Et Wufei qui manquait toujours…
Ses camarades, sa bande, sa… Meute? Ses amis.
Jamais il n'aurait cru qu'ils lui deviendraient si proches, la première
fois qu'ils se retrouvèrent tous ensemble, par ordre des docteurs. Ils
avaient été formés à opérer en indépendants;
et la plupart l'étaient, indépendants. Seul Duo semblait agréer
avec lui sur la nécessité de se connaître plus que simplement
en passant, de se familiariser avec plus que les méthodes de combat des
autres.
* * *
Il s'en rappelait si bien… Le jour où il avait reçu l'ordre
d'aller chercher Trowa qui était coupé de son mentor et de rencontrer
les autres pilotes. Il se sentait tout excité, presque comme un enfant.
Il avait déjà rencontré Duo auparavant, mais c'était
tout. Quand il le lui avait demandé, au cours de leur trajet pour rejoindre
les trois autres, Trowa avait avoué avoir déjà croisé
05 et 01, mais mis à part qu'il les avait chacun ramenés au cirque
passé un moment, refusait d'en dire plus. Quand à Duo, il lui
avait parlé de 01 quand il avait séjourné chez lui, mais
c'était dans la période qui suivait son autodestruction… Quand
ils le croyaient mort. Et mis à part rager contre lui, son entêtement
débile et son stupide conditionnement, et demander à Quatre de
le laisser pour qu'il puisse le pleurer en secret, il n'avait pas révélé
grand chose sur la personne qu'il était… Quatre ne se sentait pas le
droit de fouiller dans les souvenirs de Duo alors qu'il tentait si visiblement
de ne plus penser à ce garçon avec qui il avait essayé
de devenir ami.
Enfin, là, ce serait très différent. Duo devait être
si content depuis qu'il avait appris que 01 était vivant ! Ils pourraient
apprécier un peu plus leur rencontre à présent que le deuil
n'assombrissait pas leurs relations. Quatre sentait qu'il pouvait devenir très
ami avec Duo. Mais après tout, lui-même était assez amical,
et l'américain aussi… S'il en croyait ce qu'il avait entendu sur les
deux autres, ce ne serait pas aussi facile d'entretenir des relations cordiales
avec eux. A en croire Duo, 01 était un espèce d'automate d'une
force inhumaine, doté de réflexes impitoyables, sans sentiments
aucuns. Et 05 semblait plutôt rigide lui aussi. Quand à Trowa…
Il le trouvait personnellement extrêmement intéressant, mais il
avait toujours eu un faible pour le genre mystérieux. Ses sentiments
sur la question étaient un peu partiaux.
* * *
A cause de leur timing serré, l'arabe aux cheveux blonds et son camarade
acrobate se dirigèrent directement du cirque au point de rendez-vous.
Trowa portait son sac marin sur une épaule, avec le minimum nécessaire
à l'intérieur. Quatre trouvait bizarrement triste qu'à
part Heavyarms et son pistolet, tout ce que le garçon possédait
consiste en trois t-shirt, quelques caleçons et paires de chaussettes,
un pull et un jean de rechange, mais il savait qu'il ne pouvait pas se permettre
de ne pas voyager léger. N'empêche, Quatre, lui, avait toutes ses
affaires personnelles l'attendant à la maison. Trowa Barton avait-il
seulement une maison?
Ils avaient décidé de se rencontrer là où ils n'attireraient
pas l'attention: au milieu d'un centre commercial situé juste à
côté d'un collège, un mercredi après-midi, quand
tous les collégiens des alentours venaient faire leurs courses. Comme
avait dit Duo, quelle meilleure cachette pour un poisson rouge, après
tout, que dans un bocal rempli de poissons rouges?
A propos de l'américain… Il l'apercevait assis sur le rebord d'une fontaine
dans un coin, un garçon adossé au mur à côté
de lui. Sa natte était rentrée dans une casquette, mais Quatre
le reconnaissait quand même. Il tira Trowa par la manche et ils rejoignirent
les deux autres.
-C'est Heero ou Wufei? demanda l'arabe à son compagnon.
-Heero, répondit Trowa d'un air absent en leur frayant un passage dans
la foule.
Le petit blond profita de leur approche pour observer tout son content le pilote
de L1. Il était exactement comme Duo le lui avait décrit: les
cheveux en broussaille, un corps mince et compact, l'air dur et concentré.
Ses regards calculateurs attiraient presque autant l'attention que le cri que
poussa Duo quand il repéra son camarade dans la foule et se jeta sur
lui en riant.
-Oi, Q-man!! Comment va depuis la dernière fois?
-Bien, très bien, Duo, merci. Et toi? répondit le blond en riant,
à demi étouffé par l'étreinte que l'autre pilote
avait sur son cou.
-Super-cool! Heero et moi on est allés au fast-food avant de venir ici,
j'ai mangé à m'en éclater la panse ! Ah tiens, j'ai gagné
ça aussi, lâcha-t-il en sortant un truc de sa poche.
Quatre sursauta quand la langue de belle-mère se déroula sous
son nez avec un bruit de trompette, puis se mit à rire encore une fois.
Trowa et Heero s'étaient salués d'un hochement de tête discret
avant que Trowa ne prenne place à côté du japonais contre
le mur. Quand les deux autres pilotes cessèrent de lutter, ils virent
qu'ils les dévisageaient, réprobateurs.
-Vous attirez toute l'attention, siffla Heero.
-Tu en attires presque autant en faisant cette tête de tueur, Hee-chan,
répliqua Duo du tac au tac, pas effrayé pour deux sous de la menace
dans la voix du premier pilote. Et puis mince, regarde autour de toi, les ados
normaux qui retrouvent leurs amis normaux sont censés se montrer exubérants…
-A cette dose, la normalité est peut-être anormale alors, répondit
Trowa d'une voix calme.
Duo cligna des yeux puis, bon joueur, éclata de rire.
-OK j'essaye de me calmer.
Heero le dévisagea d'un air clairement dubitatif, comme s'il était
habitué à ce genre de promesses, puis se détourna pour
regarder la foule.
-05 est en retard, grommela-t-il.
Wufei vit le garçon aux yeux verts qu'il avait déjà rencontré
se tourner vers lui et le désigner du doigt à l'autre brun, celui
qui avait l'air si dangereux. Des yeux d'un bleu aussi intenses qu'un rayon
laser se tournèrent aussitôt vers lui, et il se leva de la table
de café à laquelle il était assis et surveillait le coin
depuis tout à l'heure. Les deux bruns avaient l'air suffisamment compétents;
mais le petit blond à l'air fragile et l'agité à la casquette
ne semblaient certes pas qualifiés pour le travail! Surtout le rigolard,
d'ailleurs. Ce devait être 02, le Gundam aux ailes noires. Dur de croire
qu'il arrivait à être efficace avec son attitude…
-Wufei, salua Trowa de la tête.
-T'es le cinquième? salut! s'exclama le garçon à la casquette.
-Ne restons pas là, répliqua-t-il en jetant un regard dédaigneux
à la foule qui se pressait de toutes parts. On se présentera plus
tard.
-On est relativement en sécurité ici.
-Mais on ne peut pas parler.
-Certes. Tu as un endroit sûr au moins?
Il hocha la tête, sèchement. Cette idée était ridicule.
Maître O le lui payerait. Il se débrouillait très bien sans
soutien! Pourquoi ne pouvaient-ils pas continuer à opérer en indépendants,
se filant quelques coups de mains quand ils étaient dans le même
secteur et avaient le même objectif?
-Comme vous l'avez compris, je suis Chang Wufei, pilote de Shenlong…
… seul héritier et survivant du défunt clan du Dragon, n'ajouta-t-il
pas pour compléter la présentation.
-Je suis Quatre Raberba Winner, lui sourit le petit blond en saluant.
-Connecté à la multinationale Winner?
-L'héritier. Quoique plus pour longtemps, soupira-t-il en baissant les
épaules. Père a menacé de me déshériter quand
je suis parti… Mais j'ai le soutien de toute ma famille et tout l'argent dont
j'ai besoin; je suis prêt à financer ce dont vous aurez besoin.
Le chinois hocha la tête. Winner avait beau être légèrement
désavantagé au point de vue physique, il n'était pas arrivé
là en étant aussi faible que son apparence le laissait croire,
et personne ne pilotait un Gundam s'il n'était pas un génie du
pilotage. De plus, ses connexions leur faciliteraient les choses… s'il décidait
de rester dans le groupe. Il fallait qu'il se fasse une meilleure idée
avant de décider.
-Trowa Barton, lâcha ledit Trowa au bénéfice de Duo, le
seul qui ne le connaissait pas personnellement.
-Famille Barton? demanda Wufei en haussant un sourcil.
D'après ce qu'il en savait, la famille Barton était hautement
impliquée avec Romafeller en politique, mis à part quelques branches
dissidentes, mais jouait double jeu contre la Terre. C'étaient eux qui
avaient mis en place la "vraie" opération météore, celle
qui visait à se servir des Gundams pour tuer au hasard et semer la peur
des Colonies dans l'esprit des terriens plutôt que de combattre strictement
OZ. Wufei le savait bien, son père et le chef de son clan avaient pour
habitude d'avoir des réunions d'affaires avec eux sur le business des
colonies. Ecouter aux portes n'était pas poli. Mais ça le gardait
hautement informé.
-Non. Juste un nom de code.
-Comme Heero alors, constata le garçon aux yeux mauves en jouant avec
sa casquette. Moi, c'est Duo Maxwell.
-C'est ton vrai nom? demanda Wufei en fronçant les sourcils. Tu devrais
l'oublier, comme Yuy et Barton. C'est stupide de l'utiliser. Surtout que tu
n'as pas la protection d'une grande famille riche ou influente politiquement
pour te protéger…
-Ca ne fait rien, répondit Duo avec un étrange sourire. Il y a
tellement de Maxwell de toute façon… Et puis le bon est mort. De toute
façon, ce nom, je l'ai choisi moi-même. Tu peux chercher des années
dans toutes les databases que tu trouveras. Officiellement, Duo Maxwell n'existe
pas.
Les quatre autres le regardèrent, étonnés.
-Mais tu as bien dû rencontrer des gens, non? demanda Quatre, surpris.
Et si on faisait pression sur eux?
-Tu ne mettras jamais la main sur quelque chose sur mes origines. Quand aux
rares infos qu'on a de mes tendres années, elles ne serviraient à
rien. Les seuls que j'ai, c'est prof G et ses potes, alors…
-Comment ça, elles ne serviraient à rien?
Duo grimaça brièvement, puis leur lança un grand sourire
trop joyeux pour être crédible, tout en enlevant sa casquette.
Sa natte s'échappa du couvre-chef et se déroula le long de son
dos, se balançant.
-Sont tous morts de toute façon. Plus personne à perdre, lâcha-t-il
d'un ton faussement jovial.
Wufei sursauta comme s'il avait été frappé. Lui non plus
n'avait plus personne… Comment réussissait-il encore à sourire
alors? A faire l'enjoué? Comment avait-il fait pour ne pas sombrer dans
l'amertume et la rage vengeresse? Il était plus fort que Wufei, moralement,
d'avoir réussi cela. Ce garçon était bien plus remarquable
que ce qu'il avait cru de prime abord.
Il pourrait peut-être lui apprendre des choses… Chacun d'entre eux pouvait
lui apprendre des choses sur la force intérieure, d'une certaine manière.
Trowa et son stoïcisme devant l'épreuve, Heero et sa volonté
implacable, même Quatre avec son envie de combattre quand même,
de se salir quand même, bien qu'il sache ne pas être fait pour ça,
et aie à sa disposition toutes les occasions du monde d'oublier la guerre
dans un cocon doré…
Ils étaient tous si forts, chacun à sa manière…
Wufei ne savait pas s'il pourrait s'entendre avec eux. Mais combattre à
leurs côtés … Voilà qui lui ferait honneur.
* * *
Wufei se réveilla en sachant qu'il se souvenait enfin de quelque chose
d'important, qu'il savait enfin qui il était…
… et puis il ouvrit les yeux, et le souvenir s'évapora comme un nuage
de fumée, s'effilochant au fur et à mesure qu'il essayait de s'y
raccrocher.
-NON!!! ragea-t-il en jetant son oreiller contre le mur d'en face.
Il avait été si près de se souvenir, il le sentait, il
le savait! Pourquoi est-ce que ça avait disparu? Pendant un moment, il
avait su…
La table de chevet était sur le point de suivre le même chemin
que l'oreiller quand il se rendit compte qu'il perdait le contrôle sur
sa frustration. Il la reposa prudemment, soufflant, son besoin de briser quelque
chose toujours aussi présent.
Ca ne pouvait plus durer. Il lui fallait des réponses, ou il allait devenir
fou de frustration! Il devait faire quelque chose…
Et puisqu'il ne s'en souvenait pas par lui-même…
Il irait demander à Treize. L'homme savait. Il lui ferait cracher le
morceau.
* * * * * *
-Treize… Je voudrais vous parler.
Le général repoussa les plans qu'il étudiait et se tourna
vers le jeune garçon debout à sa porte. Wufei était appuyé
sur l'un des côtés, une béquille sous le bras, et triturait
une mèche noire entre ses doigts d'un air nerveux. Il avait l'air timide
d'un petit garçon qui ne veut pas déranger son père au
travail mais qui aimerait quand même bien un peu d'attention. Treize s'autorisa
à le trouver adorable pendant quelques secondes.
-Bien sûr… Entre.
Il obtempéra, et hésita quelques instants avant de se diriger
vers une chaise libre en face du bureau du général.
-J'aurais… des questions à vous poser.
Treize fronça imperceptiblement les sourcils. Ca pouvait être mauvais.
Honnêtement, le garçon lui plaisait beaucoup, il l'aimait bien,
mais il était une bombe à retardement potentielle. Tant que les
autres membres de Romafeller étaient convaincus que le pilote ne pouvait
leur servir absolument à rien du tout dans cet état, Wufei était
à l'abri; surtout depuis que pas moins de sept psychologues différents
avaient établi qu’il ne simulait pas du tout et que le brutaliser
ne ferait qu'enfoncer davantage les souvenirs qu'ils recherchaient; tant qu'il
ne le laissait pas s'enfuir, Kushrenada avait le droit de le traiter comme il
le voulait. Ils le lui avaient permis sans trop renâcler, souriant d'un
air méprisant devant ce qu'ils appelaient son "rebelle domestique".
S'il se rappelait ce qu'il avait été… Treize n'aurait plus d'excuses
pour ne pas le traiter comme il devait traiter un ennemi. Autrement dit… Emprisonnement
et interrogations musclées. Il avait trop respecté son ancien
adversaire, le farouche et fier dragon, et s'était trop attaché
au doux et calme jeune homme qu'il était en ce moment pour permettre
cela. Si cela impliquait qu'il doive l'empêcher de retrouver la mémoire,
il le ferait. C'était mieux que de devoir le torturer.
-Vous me connaissiez avant…
-Un peu, oui…
-Un peu? Je croyais… lâcha Wufei, interloqué.
-Nous nous sommes rencontrés une fois en personne avant cela, soupira
Treize en se souvenant de leur duel de sabre. Mais nous entendions beaucoup
parler l'un de l'autre.
'Et comment' ajouta-t-il mentalement.
-Alors pourquoi n'ai-je pas été retourné à ma famille
après mon accident? … Je suppose que j'ai une famille…?
Treize se mordit discrètement les lèvres. Que pouvait-il lui dire?
-Je ne connais pas ta famille. 'elle a sans doute été atomisée
dans la destruction de ta colonie, avec le reste de ton clan'
Wufei s'apprêtait à poser encore une autre question, mais Treize
le coupa d'un geste de la main.
-Wufei, le médecin a dit qu'il valait mieux que tu te souviennes toi-même
plutôt que l'on ne t'impose nos souvenirs, mentit-il sans vergogne. Ils
ne sont forcément pas les mêmes que les tiens. Je sais que tu aimerais
savoir… Te souvenir… Mais je ne peux pas t'aider. Je voudrais bien, mais… Pour
ton propre bien, il vaut mieux que tu ne saches pas… par moi, rajouta-t-il,
espérant que Wufei n'avait pas noté l'hésitation.
-Oh… soupira le garçon d'un air déçu et agacé. Mais
je peux poser des questions sur autre chose?
-C'est à dire?
-Je ne me rappelle pas vraiment le contexte politique… Et… Les soldats dans
les couloirs, votre titre de général… Y a-t-il une guerre? Parlez-m'en
s'il vous plaît…
Treize soupira encore et se retint de s'arracher les cheveux. Comment allait-il
faire pour le protéger s'il se mettait lui-même en danger? Il ne
pouvait pas décemment le protéger de lui-même, pas sans
lui expliquer au moins pourquoi il faisait ça… Mais il savait que pour
toute sa douceur apparente, le garçon avait toujours énormément
de volonté. Il voudrait savoir quand même, même malgré
les risques.
-Je ne pense pas que ce soit bon pour toi… réellement, je ne crois pas.
-Est-ce que vous tenez réellement à ce que je me souvienne? demanda
le garçon avec un soupçon de l'ancien Chang Wufei dans sa voix.
Vous ne me laissez jamais dans une situation où je pourrais provoquer
un retour de souvenir… Si vous ne me dites jamais rien, rien ne pourra changer!
Tenez-vous à ce que je reste comme ça? demanda-t-il, très
sérieux.
Visiblement, il était toujours plus calme et moins agressif que le résistant
que le général connaissait, mais à présent Treize
pouvait au moins reconnaître la volonté de fer de son adversaire…
Et son intelligence et son sens de la déduction n'avaient pas disparu
avec sa mémoire, même s'ils étaient pour l'instant cachés
sous un comportement plus adolescent.
-Treize-dono, s'il vous plaît…
Kushrenada chercha ses mots pendant plusieurs secondes, puis secoua doucement
la tête, sans oser le regarder.
Wufei attendit qu'il parle, puis comprenant qu'il ne le ferait pas, se releva
et sortit sans se retourner, luttant de toutes ses forces pour ne pas boiter.
Il attendit d'être à l'abri de sa petite tonnelle préférée
dans les jardins pour se laisser aller à montrer à quel point
ça l'avait blessé.
Il avait eu confiance en Treize, une confiance presque aveugle… Mais l'homme
ne voulait rien lui dire. Est-ce qu'il voulait réellement l'aider? Est-ce
qu'il était réellement aussi bien intentionné envers lui
que Wufei l'avait d'abord cru? Si ça se trouvait il avait menti tout
du long; et comment le garçon pouvait-il le savoir, puisqu'il était
obligé de prendre tout ce qu'il lui disait pour argent comptant?
Il fut pris d'une vague de panique … Son nom, la seule chose qui le rattachait,
croyait-il, à son passé, son nom était-il réellement
Chang Wufei?
Le visage qui l'accueillait tous les matins dans la glace restait celui d'un
inconnu.
* * *
Treize essaya de se replonger dans son travail, mais ne réussit pas.
Son regard revenait sans cesse sur la béquille que le garçon avait
oubliée près de sa chaise. Finalement, il abandonna son travail
et se leva d'un air décidé. Saisissant la béquille, il
se mit à la recherche du garçon.
L’un des gardes qu’il avait assignés à sa surveillance lui indiqua
son emplacement. Il savait que Wufei aurait mal pris le fait d’être surveillé,
mais il ne pouvait pas se permettre de le laisser errer à son gré
dans la base. Une seule chose pouvait réveiller ses souvenirs et alors,
à la place d’un garçon perdu, ils auraient un espion infiltré
au cœur de leurs plus grands secrets.
Comme il s’en était douté, Wufei était au fond du jardin,
sous sa tonnelle favorite.
Treize se figea à la seconde où il l’eut aperçu.
Assis sur un banc de bois clair, Wufei avait ramené un genou sous son
menton, et ses cheveux détachés qui dansaient dans la brise légère
couvraient par mèches une part de son profil exotique. Les yeux baissés,
l’air sombre, il contemplait une rose flétrissant qu’il faisait tourner
entre ses doigts. Un pétale s’échappa et il le rattrapa pour le
considérer pensivement.
Treize hésita quelques minutes à le déranger. Le garçon
était d’une beauté à couper le souffle. S’il avait eu ne
serait-ce que quelques années en plus, Kushrenada n’aurait pas hésité
longtemps à lui faire la cour ; mais même s’il était
mûr pour son âge, ça ne le rendait pas plus âgé
dans l’absolu.
‘il est trop jeune… ‘ se rappela-t-il avec effort.
‘et bien trop beau’
* * *
Wufei contempla le pétale dans sa main avant de l’écraser dans
un sursaut de colère. L’envie lui prenait de casser quelque chose, dans
un sursaut de rage. Il avait mal. Il fallait qu’il fasse mal pour se
débarrasser de la souffrance.
/des yeux sur moi/
Il se retourna d’un bond. A quelques mètres, Treize le regardait fixement,
une main contrer un tronc d’arbre. Wufei lui dédia un reniflement dédaigneux
avant de lui tourner le dos, remontant les deux jambes sous son menton. Qu’il
l’observe tout ce qu’il voulait, Wufei n’en avait cure à présent.
-Wufei…
Le garçon ne fit pas mine d’avoir entendu.
-Wufei, s’il te plaît…
L’asiatique se mit à remuer du bout du doigt les pétales de la
rose, puis alors que Treize s’avançait d’un pas, l’écrasa dans
son poing. Il laissa tomber les pétales broyés en pluie sur le
côté.
Le général se mordit la lèvre inférieure. Ca partait
mal…
-Je t’ai ramené ta béquille. Ta jambe ne guérira jamais
si tu ne t’en sers pas…
-Ma tête non plus ne guérira jamais si vous ne m’aidez pas, répliqua
sèchement le jeune homme, oubliant sa décision de ne pas lui adresser
la parole.
Treize se tut. Wufei ne le regarda pas, tournant la tête vers l’autre
côté des buissons, examinant les tiges des roses qui s’entremêlaient
sur la tonnelle.
-Je suis désolé…
-Pas autant que moi, répliqua le chinois d'un ton acide.
Malgré lui, il se tourna brièvement vers Treize et le dévisagea.
Il refusa de baisser les yeux quand il croisa ceux de l'homme, et ce fut l'autre
qui détourna le regard, se tournant vers ses buissons de roses.
Wufei était sur le point d'exploser. Il en avait assez, assez d'être
mené en bateau!! Il voulait des réponses, bon sang! Il allait
marcher vers Treize et les exiger, et que ça lui plaise ou non, qu'il
soit plus doué que lui aux jeux verbaux des politiques, il les lui extorquerait,
et merde pour ses petits secrets!
Dans le parfum entêtant des roses et des lilas, l'homme se détachait
en bleu roi contre le champ de fleurs derrière lui, fleurs blanches et
champ si vert, si vert, jusqu'à l'horizon
/comme elle, comme elle, champ si vert, fleurs blanches, si belles, si belle
elle aussi dans sa tenue de vol bleu nuit, ses rubans blancs comme les fleurs
dans les cheveux, blanc tachés de rouge qui ressort sur tout le blanc
le blanc est la couleur des morts mais c'est si beau, ça ne devrait pas…
elle ne rit pas, moqueuse, elle ne crie pas, furieuse, elle est juste là,
elle repose, tranquille, un petit sourire aux lèvre. sa guerrière
vêtue de bleu vêtue de blanc l'anneau d'or à son doigt conforme
au sien. elle le regarde sans rien dire, juste sourit, et il s'assoit, gêné.
jamais elle ne l'a regardé comme ça avant, avec affection, avec
bonheur. il ne veut pas qu'elle lui dise de partir, mais elle ne lui dit rien,
elle pose juste sa tête sur son épaule, acceptation, et il reste
sans bouger, sans oser respirer, comme si c'était un oiseau farouche,
un corbeau noir comme ses cheveux.
ils sentent les fleurs, ses cheveux, la rose et le lilas, ils lui chatouillent
la joue, mais s'il bouge, l'oiseau va s'envoler, il ne veut pas, c'est la première
fois qu'il arrive à l'attirer.
Et puis l'habitude, les gestes un peu moqueurs, un peu hautains, regret, le
moment ne peut pas durer éternellement. Il secoue son épaule pour
chasser l'oiseau
qui tombe à terre
immobile
un petit sourire tranquille aux lèvres
immobile
il appelle, rien ne bouge
immobile
il secoue, la tête roule, le sourire a l'air si apaisé, si calme,
si doux,
sa guerrière…
immobile
pas un souffle
immobile
immobile
sa guerrière
meiran/
-MEIRAAAAN!!!!!!!!!!
Chang Wufei s'effondra au pieds du général, ses doigts griffant
ses tempes, hurlant et hurlant encore un nom si profondément gravé
dans son cerveau et dans son âme qu'il le définissait plus que
le sien.
* * * * * *
Le premier jour de la pleine lune vint enfin. Les pilotes s'étaient relocalisés
dans une autre propriété louée par Winner entreprises,
une grande maison perchée en haut d'une colline, avec des kilomètres
de terres bisées et giboyeuses de tous côtés, et pas une
âme à moins d'une heure de voiture.
Plus le soir approchait et plus Quatre avait mal. Décidant qu'il avait
été suffisamment insupportable ces derniers jours et que ses trois
amis n'avaient pas besoin de le supporter plus que nécessaire, le petit
blond s'était réfugié dans une balancelle, sur la terrasse,
et se berçait en serrant les dents, enfoui dans les coussins, essayant
d'oublier les crampes qui le prenaient sans prévenir.
Le ciel commençait à se teinter de rose quand Quatre se rendit
compte qu'il n'était plus seul sur la terrasse.
-Trowa?
-Je te cherchais, admit le jeune homme. Je me demandais comment tu allais…
-Ca va aller, répondit courageusement l'arabe en lui faisant un sourire
un peu forcé.
/oh non, il a l'air d'avoir si mal et je ne peux rien faire… Une aspirine ne
ferait sans doute pas grand-chose… mais quelque chose de plus fort serait peut-être
contre-indiqué…/
-Tu as raison, et en plus les aspirines ça fluidifie le sang, je ne sais
pas si ce serait une bonne chose, répondit Quatre. Bah! ca ne durera
plus maintenant, ajouta-t-il résolument, mais merci de t'inquiéter
pour moi, Trowa…
-Quatre?
-Hmm?
-Tu te rends compte que je n'ai pas ouvert la bouche?
Le petit arabe cessa de se pousser machinalement du pied et tourna la tête
vers son ami, les yeux écarquillés.
-Ca recommence?
'tu m'entends?' se demanda l'acrobate.
Mais l'arabe ne réagit pas, aussi Trowa haussa les épaules, tout
en prenant place à côté de lui sur la balancelle.
-Ca n'a l'air de ne marcher que par poussées, on dirait…
-Ou seulement quand je suis distrait…
-Aussi, agréa le brun.
Ils se turent, ne sachant qu'ajouter, et se laissèrent aller à
la contemplation du coucher de soleil sur les bois devant eux. C'était
joli…Mais l'un comme l'autre étaient sans doute plus préoccupé
par leurs propres pensées que par le paysage.
-Trowa…? murmura le blond au bout de quelques minutes.
-Hm?
-J'ai peur… admit-il d'une petite voix.
Ne sachant que dire, Trowa se maudit pour son manque de loquacité et
se contenta d'un petit tapotis amical sur le genou de son ami. Quatre posa sa
main sur la sienne et serra, baissant la tête. Trowa se tourna vers lui
et posa son autre main sur son épaule.
-Ca va aller, petit… Ca va aller…
Quatre lui dédia un tout petit sourire plus misérable que rassurant…
et puis ses yeux s'agrandirent et il poussa un cri de surprise, sa main se crispant
douloureusement sur celle de Trowa.
-Quatre?
-Je… Je… Mal… hoqueta l'arabe en essayant de respirer profondément pour
dénouer le nœud de douleur qui avait pris racine dans sa poitrine.
Il lâcha la main de son ami, conscient qu'il la broyait, et se plia en
deux, des larmes de souffrance aux yeux.
-Quatre?! s'exclama Trowa en se levant de la balancelle pour aller d'agenouiller
devant son ami. Qu'est-ce qui se passe? Ca commence?!
-Sais pas… Mais… Aie!
Ses jambes ne le portaient plus, il tomba de la balancelle dans les bras de
Trowa qui l'allongea sur le sol, essayant de le calmer en lui caressant les
cheveux.
-Reste calme, petit, reste calme… ca va passer vite, n'aie pas peur… lui assura
son ami tout en se demandant ce qu'il pouvait faire pour le soulager un peu.
-Aiiiiiiiiiiiieeee…
Quatre se roula lentement en boule dans un effort dérisoire pour échapper
à la douleur, ses muscles se tétanisant par vagues, son estomac
protestant lourdement. Il sentant que des choses se passaient, en lui, mais
refusait avec terreur de les laisser l'envahir.
-Heero!! HEERO!!!
Quand le loup les rejoignit en vitesse, il le trouva qui se tordait sur le sol,
des grognements de douleur lui échappant malgré lui. Il avait
le visage trempé de larmes et serrait les dents si fort qu'ils se demandèrent
un moment comment il se faisait qu'elles n'explosaient pas.
-Mal… Mal… J'ai maaaal… gémit-il, haletant de souffrance.
-Ca va passer, Katoru-kun, ça va passer… lui souffla Heero en s'agenouillant
à côté de lui et en posant sa tête sur ses genoux.
Il se tourna vers Trowa et Duo qui l'avait suivi.
-Retournez dans la maison, ordonna-t-il.
Contestant l'idée de laisser son ami seul, Trowa essaya de répondre
mais un regard meurtrier le fit oublier jusqu'à une idée de rébellion.
Comprenant que Heero avait une bonne raison de leur demander de leur laisser
de l'espace, Duo le saisit par le coude et le traîna après lui.
Heero resta avec le garçon qui se tordait toujours sur le sol, et continua
à lui parler doucement, d'une voix tendre qu'il ne se savait pas posséder,
essayant de le calmer en caressant les cheveux blonds que la sueur collait à
son front. Il le débarrassa lentement de ses vêtements, tout en
continuant à lui parler.
-Ne résiste pas, Quatre, plus tu résistes et plus ça va
durer… Je sais que ça fait mal, mais tu ne dois pas repousser la douleur.
Accepte-la. Laisse-la aller. Plus tu attends et plus ça te fera mal…
Laisse aller la bête. Relâche-la… Laisse aller, Katoru… chantonna-t-il,
son accent originel revenant en force. Laisse aller… Je suis là. Tout
ira bien…
Avec un frémissement de terreur pure, Quatre lâcha la bride à
la transformation, s'abandonnant totalement. Il se sentit dériver au
bord de l'évanouissement, rendu malade par les changements que son corps
subissait, les sensations bizarres et totalement étrangères qui
l'assaillaient de toutes parts, les bruits écœurants que faisaient les
organes en se modifiant…
Sa cage thoracique lui donna l'impression d'avoir été défoncée
à coup de pieds quand elle changea d'une forme plate à une forme
en ogive, et il crut que l'on avait enfoncé des éclats de bambou
sous le bout de ses doigts quand ses griffes épaisses et noires percèrent
à la surface, prenant la place de ses ongles roses si bien taillés.
Heero se demanda si ses propres transformations lui prenaient si longtemps.
Il ne savait pas… Sur le moment, il ne savait jamais combien de temps avait
passé. Il avait l'impression que ça durait des siècles
et quelques secondes en même temps.
Son inquiétude pour son camarade l'aida à calmer le loup, à
le laisser aux commandes et à inhiber la transformation. C'était
facile: il ne pouvait pas aider son ami en loup, et le loup s'inquiétant
lui aussi pour le jeune garçon, lui permettait de rester en contrôle
sans lutter pour se libérer. Il devrait s'en souvenir… Le loup le laissait
tranquille s'il sentait qu'il pouvait faire les choses mieux que lui, même
pendant une pleine lune.
Les transformations se faisaient lentement, trop lentement. Heero crut qu'il
allait paniquer quand il entendit le cœur affolé du jeune garçon
rater un battement, puis deux.
Il tendit l'oreille, mais n'entendit que du silence.
-KATORU!!! hurla-t-il, refusant d'imaginer comment au juste il allait faire
une réanimation à un corps dont les côtes se modifiaient,
ou même à un corps animal. Comment faisait-on du bouche-à-bouche
à un fauve?
Il pensa qu'il allait pleurer de soulagement quand le cœur se remit à
battre tout seul, plus lentement, sur un rythme légèrement différent.
Puis enfin, le reste de la transformation pratiquement achevée, le pelage
apparut.
Immédiatement, Heero comprit qu'ils avaient un… léger problème.
Les poils de Quatre étaient dorés, comme ses cheveux. C'était
à attendre: après tout les poils de Heero étaient eux aussi
de la couleur de ses cheveux. Bon, ils étaient un peu… courts… même
franchement ras, mais après tout pourquoi pas…? … Un loup d'un pays chaud?
Non, ce qui l'ennuyait un peu, c'étaient les taches. De jolies petites
taches rondes et noires, grosses comme des petites piécettes, qui étaient
semées un peu partout sur le corps de l'animal. Et les longues pattes
fines.
La transformation terminée, Quatre resta à la même place
à haleter quelques minutes avant de relever la tête.
Heero grogna et se laissa retomber lourdement sur ses talons, soudain très
fatigué. Le court museau, encadré d'une coulée de noir
qui descendait des yeux bleu-vert de l'animal qu'était devenu Quatre,
était indubitablement celui d'un félin.
* * *
De la maison où ils observaient la scène, Duo et Trowa eurent
la même réaction en voyant se relever l'animal au pelage doré:
-NANI YO?!??
-C'est pas un loup, ça, protesta Duo en tirant sur sa natte pour se déstresser.
Trowa ne répondit pas, trop hypnotisé par le félin qu'était
devenu son meilleur ami.
-Trowa? Tro-man, c'est toi qui t'y connais en animaux… c'est QUOI ça?
-Un …Un guépard… souffla le clown quand il eut reconnu les lignes élégantes
de la bête.
Ils échangèrent un regard et, encore une fois, laissèrent
échapper la même réaction.
-Mais qu'est-ce qui s'est passé?!
* * *
Pendant ce temps, Heero s'était écarté lentement pour laisser
au fauve la place de respirer, et se laissait aller à la transformation
sans le quitter des yeux, la poussant au maximum de sa volonté pour accélérer
le mouvement. Ce n'était pas un canidé, il ne savait pas comment
ça réagirait. Si Quatre, submergé par les instincts, l'attaquait
avant qu'il se soit transformé…
Mais le fauve ne l'agressa pas, se contentant de se ramasser sur le sol et de
le regarder, l'air égaré.
-Katoru? feula Heero tandis qu'il pouvait encore parler.
Le félin laissa échapper un petit gémissement perdu en
flairant les environs, et l'instinct de protection surdéveloppé
du loup passa automatiquement en mode maximum. Totalement transformé
à présent, Heero s'approcha lentement, son attitude aussi peu
menaçante que possible, et flaira le museau du guépard. Quand
celui-ci le laissa faire et lui rendit la pareille, il se mit à remuer
la queue et l'invita d'un mouvement du museau à le suivre dans les bois.
Quatre ne parut pas comprendre tout de suite, encore trop désorienté
par le déluge de sensations nouvelles qui le sollicitaient de toutes
parts. Mais finalement, il saisit ce que le loup lui voulait et partit à
sa suite, à longues foulées encore malhabiles.
* * * * * *
Treize regarda les infirmiers installer le garçon sur son lit. Il était
aussi pâle que ses draps, son teint normalement doré d'un jaune
maladif. Ses sourcils se fronçaient de détresse. Il semblait si
petit, si perdu, au milieu du lit trop grand pour lui… Juste un enfant. Un enfant
qu'il avait envie de bercer, et de protéger.
Etait-il réellement la même personne que le jeune homme plein de
feu qu'il avait trouvé si désirable dans les jardins? C'était
dur à croire… Il n'était encore qu'un jeune garçon. Treize
se faisait l'effet d'un pédophile. C'était l'homme transparaissant
dans le garçon qui l'intéressait, celui qu'il serait un jour,
mais l'enfant pur qu'il avait été était encore trop perceptible
pour qu'il soit à l'aise avec cette idée. Qu'admirait-il tellement
au fond? La pureté sans concessions de ses vues et de ses valeurs, venait-elle
de l'adulte ou de l'enfant? Sa manière passionnée de se lancer
contre les obstacles, était-ce la marque d'un adulte indomptable, ou
d'un enfant rebelle pas encore brisé par les voies du Monde?
* * *
Wufei ne reprit pas conscience de toute la journée. Mort d'inquiétude
et se sentant responsable, Treize refusa de quitter son chevet. C'était
de sa faute, s'il n'avait pas menti, tenté de protéger le garçon
contre sa volonté… Que c'était risible maintenant d'y avoir seulement
songé! Wufei était si fort, si courageux, il ne réclamait
pas protection, de personne…
Il se fit apporter ses dossiers et une table dans la chambre du garçon,
histoire de travailler quand même, mais se rendit vite compte qu'il ne
ferait pas grand chose tant que le jeune homme ne se serait pas réveillé;
il resta une oreiller aux aguets, sursautant, sa concentration brisée
dès que sa respiration changeait de rythme.
Mais Wufei ne bougea pas de la journée. La nuit, il avait remué
vaguement, mais dès que le soleil avait été levé,
il s'était enfoncé dans un sommeil plus immobile. On l'aurait
cru dans le coma, pourtant se signes vitaux indiquaient qu’il se contentait
de dormir. Toute la journée, chaque essai pour le réveiller se
solda par un vague soubresaut.
Et puis la nuit approcha.
Ca commença par des doigts qui remuaient spasmodiquement, se repliaient
puis se rouvraient, agrippant les couvertures; puis par des sursauts, d'abord
dans les membres puis de tout le corps. Puis sa tête qui se balançait
d'un côté à l'autre, lentement d'abord puis plus vite, comme
s'il niait quelque chose. Un long gémissement s'échappa de sa
gorge, et son front se couvrit de sueur. Ses bras et se jambes se mirent à
frapper dans le vide, et Treize, inquiet, se leva et posa une main sur son bras
pour essayer de le calmer. Mais au contraire, ca n'eut pour effet que de l'agiter
encore plus. Le général essaya d'agripper un de ses poignets et
se prit plusieurs coups avant de réussir à l'attraper. Les quelques
secondes pendant lesquelles il le retint lui furent suffisant pour se rendre
compte que le rythme cardiaque du garçon était trop rapide, même
pour un cauchemar.
-Wufei, réveille-toi! Wufei!! WUFEI!!!
Mais il eut beau le saisir aux épaules et le secouer, il ne réussit
qu'à l'agiter encore plus… et ce qu'il poussait à présent,
c'était des cris. Des cris étranges, pas articulés, du
fond de la gorge, graves et suraigus tour à tour. Et puis il le frappa
au milieu de la poitrine avec les deux talons et l'envoya bouler sur le sol,
souffle coupé. Quand Treize se releva, étourdi, le garçon
avait roulé à plat ventre sur le lit et s'acculait contre le mur
à sa tête, poussant de drôles de grondements. Ses yeux étaient
entrouverts mais vides, comme s'il ne voyait rien de ce qui se passait devant
lui, seulement ce qui se passait dans sa tête. La sueur couvrait son corps
entier, collait son pyjama de malade à sa peau, et il tira dessus, essayant
de l'ôter.
Treize approcha une main du garçon, et recula en jurant. Wufei l'avait
frappée avec une précision étonnante pour quelqu'un à
demi inconscient… Et trois lignes sanglantes s'affichaient sur le dos de sa
main.
Il se retourna pour appeler le docteur détaché à la base
et plusieurs infirmiers. Il fallait que le garçon se calme, et vite.
Il ne vit pas les drôles de traces qui apparurent fugacement sur sa peau,
fonçant quelques secondes avant de re-disparaître.
* * *
Les infirmiers, pourtant grands et costauds, durent s'y mettre à quatre
pour maîtriser suffisamment le frêle adolescent pour que le docteur
puisse lui injecter un calmant. Treize resta à regarder dans un coin,
essayant de ne pas entendre les hurlements rauques et bestiaux pleins de la
fureur d'un animal capturé venant de la gorge du jeune asiatique.
Le docteur fronça les sourcils en marmonnant et Treize le regarda, relevant
un sourcil en sa direction.
-Il devrait être déjà entièrement calmé, mon
général… lui expliqua le docteur en observant le lent ralentissement
des mouvements du garçon et la lutte des infirmiers pour le maîtriser.
Enfin, après de longues minutes, Wufei glissa dans un sommeil toujours
agité, mais moins violent, et après avoir enfin réussi
à attacher ses membres aux montants du lit, les infirmiers le lâchèrent
avec reconnaissance. L'un d'entre eux saignait du nez, qu'il avait sûrement
cassé; et ils étaient tous couverts de bleus et de profondes griffures.
Le docteur les observa quelques minutes avant de les laisser partir.
Treize resta là à regarder le garçon, sans parler, sans
rien exprimer. Wufei fronçait les sourcils et poussait de petits gémissements,
et même assommé par la drogue et entravé par les liens de
cuir, il réussissait presque à se mouvoir jusqu'au point où
il aurait été dangereux. Même si sa tête ne se souvenait
plus de ses capacités de combattant, son corps s'en souvenait fort bien
apparemment. Il se frotta le torse. Il aurait sûrement un bleu… Il était
chanceux de ne pas avoir eu ses côtes enfoncées par le choc, tout
simplement. La force qu'il y avait eu dans le coup l'aurait rendu plus que possible.
* * * * * * * * *
Le lendemain matin, accoudé au canapé de cuir devant la baie vitrée,
Duo regardait l'aurore colorer de rose et d'orangés un ciel sans nuages.
Trowa l'avait réveillé sans le vouloir en faisant un énième
pot de café pour se tenir réveillé jusqu'au retour des
deux garous. Il ne voulait pas l'avouer mais il était rongé par
l'inquiétude. Duo n'était pas assez bête pour le contredire,
toutefois, quand il affirmait n'avoir pas sommeil. Cathy avait appris autre
chose à son ami que le rôle de la cible, pour ce qui était
du lancer de couteau.
Un éclair marron dans les buissons de l'autre côté de la
barrière alerta l'américain. Une forme sombre à peine discernable
remontait la colline en direction de la maison… suivie de près par une
autre forme beaucoup moins expérimentée et beaucoup plus visible,
celle-là d'un doré tacheté qui la rendait très repérable
au milieu des verts et des bruns.
-Trotro? Les voilà, appela Duo.
Deux secondes plus tard, Trowa avait abandonné la cafetière à
son sort et s'était précipité vers la baie vitrée
en se débrouillait Dieu et Trowa Barton seuls savaient comment pour avoir
l'air de ne pas se précipiter du tout. Il ouvrit la porte-fenêtre
et se glissa sur la terrasse juste comme les deux fauves disparaissaient à
la vue, trop proches de la barrière pour qu'on puisse encore les repérer
par-dessus. Duo le suivit avec un sourire aux lèvres, amusé de
son impatience. Il n'avait même pas relevé le surnom.
Soudain, le grand loup brun apparut par-dessus la barrière de deux mètres
et demi de haut. Il atterrit avec aisance, d'un geste souple qui semblait une
continuation naturelle de son saut, et continua vers la terrasse au petit trot
pendant quelques pas avant de stopper et de se retourner vers le mur, une oreille
remuant vivement.
Dans l'expectative, les deux pilots humains attendirent l'apparition du guépard.
Finalement, le corps doré de Quatre apparut à son tour en haut
du mur. Mais loin d'atterrir avec l'aisance de Heero, il resta quelques secondes
à vaciller en équilibre instable sur le haut du mur avant de se
laisser tomber comme un sac de patates de l'autre côté, déséquilibré.
Le félin s'approcha en boitant, tête basse, et Heero le poussa
du museau pour l'encourager à grimper l'escalier qui menait à
la terrasse là où leurs camarades les attendaient. Trowa s'avança
vivement vers le fauve et s'accroupit devant lui, à quelques pas. Geignant
misérablement, Quatre lui présenta sa patte. A côté
de lui, Heero rigolait à la manière lupine, montrant ses grosses
dents, et se prit un feulement agacé tous crocs dehors de Quatre, assorti
d'un coup de queue dans le nez pour faire bonne mesure.
Prudemment et avec toute l'aisance que l'habitude des fauves lui donnait, Trowa
se pencha par-dessus le guépard et saisit sa patte avant de la replier
pour examiner le dessous. Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer
la grosse épine coincée entre ses coussinets. Il l'ôta d'un
geste sûr et Quatre ronronna de soulagement, frottant par réflexe
sa tête sur son genou.
Trowa rougit légèrement et se releva, faisant mine de rien. Heero
et Duo échangèrent un regard qui en disait des kilomètres
avant de se gondoler joyeusement. Les grands yeux aigue-marine de l'arabe clignèrent
deux ou trois fois comme il percevait le changement d'odeurs de son ami, mais,
encore peu habitué, il n'arrivait pas à le mettre sur une émotion
qu'il reconnaissait. Puis son Uchuu no kokoro entra en action et il sursauta
visiblement. Le rire de Duo redoubla quand il vit l'intérieur de ses
oreilles se colorer de rose.
-Quoi? râla Trowa en lui jetant un regard menaçant.
-Rien, rien, sourit l'américain d'un air détaché en s'éloignant
en compagnie du loup vers la maison.
* * *
Une fois à l'intérieur, Heero grimpa sans façons dans le
large canapé de cuir et s'y étala confortablement.
-Tu vas foutre des poils sur le canapé… râla Duo pour rire.
-Grrrr…
-Mais oui, moi aussi je t'aime, se moqua Duo en lui grattant le haut du crâne,
avant de retirer vivement ses doigts pour éviter le coup de crocs que
l'autre lui envoyait par pure habitude.
Le guépard entra dans la pièce d'un pas traînant qui dénotait
sa fatigue intense, devançant Trowa qui refermait la porte vitrée
derrière lui. Apercevant Heero déjà presque endormi, il
ne prit pas la peine d'aller chercher ailleurs, et grimpa lui aussi sur le canapé
pour se rouler en boule contre son dos, reposant son menton sur l'épaule
du loup. Ils se tortillèrent quelques secondes tous les deux, cherchant
une position confortable, puis s'endormirent presque instantanément.
-C'est adorable. On devrait prendre une photo, t'en penses quoi Tro-kun?
-… Ils nous tueraient, fit remarquer le garçon aux yeux verts.
Duo fit la moue.
-Exact… soupira l'américain.
-Mon appareil photo est dans l'entrée.
* * * * * *
Une heure plus tard, le soleil levé depuis quelque temps, Duo et Trowa
étaient en train de petit déjeuner quand ils entendirent une bordée
de jurons en arabe, suivie assez rapidement de chocs sourds et de bruits de
pas précipités. Par la porte ouverte, ils eurent juste le temps
de voir passer dans le couloir un éclair de chair rose qui se hâtait
vers les escaliers à toute allure.
-Dis-moi que je viens pas de voir passer Quatre à poil, demanda Duo après
avoir cligné des yeux deux ou trois fois.
Il se tourna vers Trowa qui essayait de dissimuler une légère
rougeur derrière sa mèche et éclata de rire.
-Ah bah si, je me suis pas trompé!! s'esclaffa-t-il.
-Arrête de te moquer de Trowa, lâcha la voix grave et calme de Heero
depuis la porte.
Cette fois, ce fut au tour de Trowa de se moquer discrètement de Duo.
Bouche grande ouverte, écarlate, celui-ci fixait avec les yeux globuleux
un Heero Yuy debout dans la porte de la cuisine, totalement à poil.
-HEERO!!! HABILLE TOI MERDE!!!!
Yuy cligna placidement des yeux.
-Pourquoi?
-Mais tu n'as aucune pudeur ou quoi !?!!?
-Non, pourquoi faire? demanda le pilote de Wing, d'un air si innocent comparé
à son expression habituelle qu'il devait forcément être
feint.
-RHAAAAH!!! Va te fringuer!!!
Heero le regarda, regarda Trowa qui avait l'air prêt à exploser
de rire (enfin, exploser de rire au niveau Trowa Barton, ce qui correspondrait
à un léger ricanement pour le commun des mortels), regarda encore
une fois Duo, puis haussa les épaules et fit demi-tour, les gratifiant
d'une vue imprenable sur sa chute de reins magnifiquement cambrée et
son postérieur divinement musculeux.
Barton saisit avec reconnaissance l'occasion de donner de grandes claques un
peu plus fortes qu'il n'était nécessaire sur le dos du pilote
à la natte.
-Respire, Duo…
-Oh, ça va toi, hein…
Ils se remettaient à manger quand la tartine pleine de confiture de l'américain
stoppa net à quelques centimètres de sa bouche.
-Tro-man…?
-Hmm?
-Ils étaient à poil parce qu'ils venaient de se détransformer?
-… Je crois… admit Barton qui ne comprenait pas où Duo voulait en venir.
-Ca a dû se faire quand ils dormaient… comme quand Heero s'est transformé
pour la première fois et en se réveillant au matin il avait repris
son apparence…
-Mm? l'encouragea le pilote d'Heavyarms.
-Ils se sont réveillés, ils étaient déjà
humains … Tu te rappelles la position dans laquelle ils s'étaient endormis?
L'œil légèrement écarquillé de Trowa lui prouva
qu'il avait eu la même image mentale que lui.
Discrètement, l'européen reprit la boite de mouchoirs en papier
de l'américain et s'essuya la goutte de sang qui lui perlait au nez.
* * * * * *
/une chasse dans la forêt de murs gris, le labyrinthe de couloirs
mais la proie c’est moi
courir, vite
je ne veux pas fuir, mais pas le choix
Colère
Je ne suis pas une proie !!
Explosions
Douleur/
Wufei s’éveilla en sursaut, la douleur fantôme du /coup de feu /
pulsant dans sa cuisse. Il lui fallut quelques secondes pour remettre sa
respiration sous contrôle. Le plafond était couvert de plaques
blanches, striées d’ombres longues et étroites. Il ne comprit
pas tout de suite que c’étaient des ombres de barreaux.
/prisonnier je suis prisonnier barreaux aux fenêtres peux pas sortir prisonnier/
Tous ses muscles se tendirent, et il gronda sourdement.
La dernière chose dont il se rappelait, c’était une discussion
avec Treize … et /meiran/. Et il se retrouvait ici, dans une pièce
aux fenêtres barrées, et…
… attaché.
Il tira avec force sur les liens qui le retenaient aux barres du lit, mais le
cuir refusa de céder d’un pouce.
Il se retourna vers le côté de la porte…
… Un homme aux cheveux châtain légèrement décoiffés
dormait à son chevet, la tête sur ses bras croisés, sa veste
bleu roi posée derrière lui sur le dossier de sa chaise.
'il me veille…?'
Wufei réprima la pointe de surprise heureuse qui montait. C’était
vrai que Treize l’avait toujours bien traité, qu’il avait été
gentil et agréable… Mais il l’avait aussi mis ou laissé mettre
dans cette chambre-cage. Il était… un adversaire. Il refusa de se laisser
attendrir par l’air las et épuisé de l’homme, ou par le fait qu’il
s’était endormi sur place, dans cette chaise peu confortable, plutôt
que de le laisser seul. Il ne resterait à la merci de personne, ami ou
pas.
Un éclair argenté contre la chaise attira ses yeux et il se demanda
une seconde s’il pourrait attraper et utiliser la lame de l'épée
de cérémonie du général pour couper ses liens…
La lame…
/Un homme habillé de bleu roi, air hautain ; le battre !!
Je sors mon sabre, le katana de ma famille, reçu des mains mêmes
de la matriarche de mon Clan, l'engage contre sa rapière
Une passe, deux passes, et soudain la surprise et un début de peur
Il est plus lourd, plus fort, sa technique est trop différente, et meilleure
Un flash d’angoisse quand je comprends, en un quart de seconde, que je vais
perdre
Lame sous mon menton ; vaincu
A sa merci, tombé agenouillé
Humiliation
Le froid me fait frissonner jusque dans la nuque, et je lève les yeux
vers l’adversaire
Ses yeux trop bleus me regardent, supérieurs
Je le haïrais si je ne le respectais pas autant, malgré moi
Vaincu/
Wufei secoua la tête pour chasser le flash-back. C’était officiel ;
Treize avait été son adversaire. Eh bien, ça réglait
le problème.
Les émotions qu’il avait senti pendant le souvenir étaient si
violentes, si étrangères. Un moment, il refusa de croire qu’elles
aient pu être les siennes, refusa de croire qu’il ait pu savoir se battre.
Et puis il se rendit compte que son refus lui-même était trop violent
pour ce garçon calme et impassible qu’il avait cru être. Et le
sabre… il referma les doigts, expérimentalement, imaginant avec une précision
qui était toute la preuve dont il avait besoin le poids de l’arme et
la forme du manche dans sa main.
Une horreur profonde à l’idée d’être ce qu’il avait cru
détester, un guerrier, l’envahit comme une vague…
Puis la vague reflua. S’il savait se battre, il s’en servirait pour filer.
Ses poignets meurtris se rappelèrent à son bon souvenir et il
grinça des dents, soudain furieux comme il l’avait été
dans son souvenir. Il ne voulait plus réfléchir sur des abstractions !
Il fallait qu’il se dégage, qu’il sorte ! Et de préférence,
deux minutes plus tôt.
Ses ongles s’enfoncèrent avec violence dans le cuir ; la douleur
remonta jusque dans ses avant-bras. Il se soucia peu de cette douleur ;
elle lui servait à se rendre plus énervé, donc plus fort.
Et tant pis s’il était en train de s’arracher les ongles.
Ses muscles saillaient comme des cordes, tendus à craquer contre les
liens. Il n’arrêterait pas avant que quelque chose ne se brise, que ce
soit ses mains, ou les liens de cuir.
La douleur remonta jusqu’à ses coudes en vagues brûlantes, et il
se demanda s’il n’avait pas réussi à se rompre un tendon ou à
se déchirer un muscle.
Et puis il faillit tomber sur Treize quand le lien autour de sa main gauche
se déchira et céda brutalement, le déséquilibrant.
Sa main l’élançait, et il la regarda quelques secondes. Ses ongles
lui faisaient mal. Le poignet était meurtri et entaillé. Et la
main elle-même avait l’air bizarre… et puis cette impression passa, et
il se força à dénouer l’autre bande de cuir, malgré
l’enflure douloureuse de ses doigts et les pulsations sourdes qui le traversaient
encore.
Il sauta à bas du lit d’hôpital en silence, et fit le tour de la
pièce d’un pas léger dont il ne se serait pas cru capable. La
porte était sûrement gardée. Les couloirs étaient
certainement truffés de gardes…
Il pourrait prendre Treize en otage… ?
Non. L’homme dormait toujours, visiblement épuisé de sa veille,
et ses cheveux décoiffés lui donnaient l’air presque vulnérable.
Et puis, il avait toujours été honnête avec Wufei… même
pendant leur combat, il avait été juste et honorable. Il n’allait
pas l’attaquer pendant son sommeil.
Sa main s’arrêta à quelques centimètres de l’épaule
de Treize alors qu’il l’étendait pour le toucher. L’homme l’avait peut-être
veillé, mais c’était quand même un ennemi. Il n’allait pas
l’attaquer s’il pouvait faire autrement, mais il n’allait certainement pas lui
faciliter sa capture.
Wufei regarda les barreaux de la fenêtre quelques minutes, les examinant
sous tous les angles, mais parvint vite à la conclusion que même
s’il était plus fort qu’il ne l’avait cru, il n’en était pas encore
au stade où il pouvait tordre de l’acier à mains nues. Il était
fort, oui, mais certainement pas autant que /…wing…/
Que qui ?
/yeux bleus de glace, bleus comme l’espace, profonds et froids/
Wufei porta une main à sa tête et se retint de gémir sous
la migraine lancinante qui venait de s’éveiller. Il se laissa glisser
à genoux, yeux fermés.
/combat, furie, explosion de feu
chantage, injustice
l'air si frêle, lui qui était si fort, plus fort que moi
précipité par le choc, jeté à bas de son…
… ange ? /
/ et son retour imprévu, des mois plus tard… /
/… immortel … ?/
Avec effort, le chinois chassa le souvenir. Il n’avait pas le temps. Pas maintenant.
Dès qu’il serait sorti d’ici, il chercherait, quel était le nom
de ce garçon étrange et le rapport qu’il avait avec lui. Quelle
était la /chose/ /ange/ de métal qu’il avait vue exploser
en morceaux, déchue, brisée. Pour le moment sa fuite était
plus importante.
-… Wufei…? lâcha la voix encore mal réveillée de Treize.
Il fit volte-face, une chaise en main, prêt à l'écraser
sur la tête de l'homme.
Treize le regardait, l'air stupéfait et incrédule. Ses yeux étaient
si vulnérables au réveil que le chinois retint son geste, malgré
lui. Il ne pouvait se résoudre à lui faire du mal.
Le général se leva à demi mais s'immobilisa aussitôt
quand il vit que Wufei se crispait, prêt à frapper, et le dévisagea,
extrêmement sérieux. Il semblait chercher quelque chose sur son
visage, comme s'il pouvait lire ses pensées dans ses yeux, et, se sentant
menacé, le garçon crispa ses mains sur le dossier de son arme
improvisée jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches.
-Tu te souviens? finit-il par demander d'une voix basse quand il admit enfin
que c'était bien de l'hostilité qu'il voyait sur le visage de
son dragon.
Wufei secoua la tête, chassant ses mèches de son visage.
-Assez pour savoir que je ne peux pas rester ici, répondit-il à
voix tout aussi basse, mais plus intense.
Treize soupira en baissant brièvement les yeux, puis les releva sur lui.
-Je ne peux pas te laisser t'enfuir, Wufei. Tu le sais, lâcha-t-il d'un
ton plein de regrets.
Le chinois serrait si fort les mains qu'à présent, on pouvait
entendre de petits éclats de peinture se détacher du dossier.
Il ne se rendit pas compte que les pointes de ses ongles commençaient
à percer le bois, et Treize non plus, trop concentré sur son visage.
Se redressant, l'homme prit une pose digne, s'approcha du lit et ferma ostensiblement
les yeux. Après quelques secondes de stupéfaction, Wufei s'approcha
d'un pas léger de son geôlier. Après mûre réflexion,
il décida de ne pas utiliser la chaise. Ce serait vraiment douloureux.
-Treize…
Doucement, il retourna l'homme vers lui et posa les deux mains sur ses joues.
Treize voulut rouvrir les paupières, pris par surprise, mais il l'en
empêcha en posant une main sur ses yeux.
Rougissant de son audace, il se leva sur la pointe des pieds, passa les mains
sur la nuque du général qu'il savait à présent être
son ennemi et l'attira en avant, puis posa doucement ses lèvres sur les
siennes. Stupéfait, Treize entrouvrit la bouche, et dans un sursaut d'audace,
l'adolescent transforma le simple effleurement en exploration.
Totalement perdu, entre la surprise devant le geste inattendu du jeune garçon
qui le troublait tant, et le plaisir qu'il ressentait face à ce baiser
un peu inexpérimenté, l'homme en bleu ne sentit jamais l'exact
moment où les pouces de Wufei appuyèrent sur sa carotide, coupant
l'arrivée du sang, et où il perdit conscience.
Wufei laissa le soldat retomber en arrière sur le lit et l'attacha au
montant avec ce qui restait du deuxième lien. Ca l'empêcherait
de le gêner trop tôt dans sa tentative d'évasion, il l'espérait.
Il avait un peu honte de s'être servi d'un baiser pour rendre inconscient
l'autre, mais il lui avait déjà donné sa permission tacite
de le faire avec une chaise, il ne lui en voudrait pas d'utiliser ce moyen à
coup sûr moins douloureux.
/et puis ça lui laissera un bon souvenir au réveil/
'Oh toi ça va, hein' pensa-t-il en rougissant. Est-ce que le fait
de ne pas se souvenir des précédents, s'il y en avait eu, faisait
de ceci son premier baiser? Et puis il se fila une claque sur la tête
et se réprimanda de penser à des choses aussi frivoles. Il se
comportait comme une donzelle romantique, c'était réellement ridicule.
Un baiser, c'était un baiser, et celui-là n'avait rien signifié
du tout, c'était juste une diversion.
/ouais, ouais, on te croit/
'silence, enfin!'
Bon, maintenant, par où passer ?
* * * * * *
Heero prit une douche brûlante pour se débarrasser de la terre
qui le couvrait après son escapade. Il se sentait détendu, soulagé
de la force animale qui s’était accumulée depuis le début
du mois, purgé de ses besoins de violence ; en paix, presque.
Quatre, un guépard, il ne l’avait pas encore intégré… Mais
il devait avouer que ça correspondait sans doute plus à l’adolescent
qu’un loup. Enfin, ils devraient trouver un autre terrain que la forêt
pour l’arabe, il était visible que ça ne lui convenait pas. Sa
couleur le rendait repérable à des kilomètres sur le fond
vert brun des bois ; et puis il n’avait aucune endurance. Ses longues pattes
fines étaient adaptées à un terrain plat et sans obstacles.
C’était un sprinter, pas un coureur de fond, pas un traqueur comme le
Loup.
Heero était un peu inquiet à son sujet. Après tout, les
félins, peut-être que c’était trop différend pour
qu’il comprenne l’autre garou longtemps… Peut-être qu’il ne serait pas
capable de lui venir en aide…
Bah! qui vivra verra.
Il sortit de la douche et se dirigea vers sa chambre, se frottant vigoureusement
les cheveux.
Sur le chemin, il croisa Quatre qui sortait de sa chambre au moment où
il passait, et qui dédia un seul regard à son corps toujours aussi
nu, et de plus dégoulinant d’eau, avant de virer à l’écarlate
et de se ré-enfermer dans sa chambre aussi sec avec un : " MEEEHEU
HEEEEROOOOOO !!!!! " qui sonnait atrocement gêné.
Heero s’autorisa un petit demi sourire moqueur. Quatre n’avait pas osé
le regarder en face depuis qu’ils s’étaient réveillé ce
matin. En s’endormant, ils n’avaient eu aucun problème à s’entasser,
leurs corps se fondant l’un dans l’autre comme des désossés. Les
fauves en eux semblaient apprécier le contact et la compagnie. Mais quand
Quatre s’était réveillé, ses bras serrés autour
de sa taille, son ventre épousant la courbe du dos du japonais et ses
cuisses emmêlées aux siennes… Heero n’était pas dérangé
par le contact peau contre peau, au contraire, il appréciait la sensation
nouvelle, la chaleur ; mais apparemment, le jeune arabe n’avait pas encore
intégré dans sa psyché humaine l’absence totale de modestie
corporelle de son côté animal. C’était peut-être dû
au manque de pudeur que Heero possédait déjà à la
base opposé à l’éducation puritaine qu’avait reçu
Quatre.
Enfin le fait était là, depuis que le blond s’était réveillé
lové en cuillère contre le dos (et le bas du dos) du japonais,
et qu’il était parti en courant le plus vite qu’il le pouvait vers sa
chambre, il avait catégoriquement refusé de le regarder de nouveau.
Remarque, Heero avait au moins appris de beaux jurons en arabe. Et dire que
le petit Quatre Winner avait l’air tellement poli… Il cachait bien son jeu,
mine de rien.
Heero rentra dans sa propre chambre, passant sa serviette sur son cou, et se
dirigea sur son placard. Il venait d’enfiler son short et était en train
de saisir un débardeur quand son ordinateur portable bipa. Fronçant
les sourcils, le japonais alluma l’écran. Si jamais c’était une
proposition de mission, il avait déjà décidé de
refuser de l’accepter tout net. Tant qu’ils ne seraient pas au complet, ils
ne prendraient pas d’autre mission. Celle-là était prioritaire.
* * *
Trowa rangea les bols et la cafetière avec méthode avant de se
retourner vers Duo qui le regardait toujours.
-Tu crois que Quatre osera nous faire face à nouveau un jour ? demanda
l’américain.
-Après une situation comme celle-là ?
-Ouais.
-Non.
-Le pauvre chou… Traumatisé, se gondola Duo.
Pour venger son ami, Trowa lui envoya des gouttes d’eau venant de l’éponge.
-Hé !
-Gamin, va, lâcha Barton, méprisant.
-Aaah, tu veux jouer à ça… répliqua l’américain
en se relevant lentement et en étendant une main vers le torchon à
vaisselle.
Trowa lui dédia un regard suspicieux et se mit en position d’esquiver
l’attaque qui venait.
Mais au moment précis où Duo allait déclencher la guerre,
un hurlement retentit.
-RAMENEZ VOUS !!!!!
* * *
-Je n’oserai plus jamais le regarder en face… rougit Quatre en se rappelant
la position compromettante dans laquelle il s’était réveillé.
Son corps avait été collé à celui de Heero du dos
jusqu’aux jambes, de sa joue contre ses omoplates, jusqu’aux genoux, les siens
dans le creux de celui du japonais. En passant par … l’endroit où le
dos perd son nom… Qu’il avait en passant aussi ferme que ce dont ça avait
l’air.
Quatre vira à l’écarlate et poussa un gémissement, dissimulant
sa tête sous son oreiller. C’était vrai que ça avait été
agréable, d’une manière purement physique, mais lui ce n’était
pas par le japonais qu’il était intéressé, c’était
par un autre… Il avait d’ailleurs bousillé sans doute toutes ses chances
avec celui-là aussi, à aller coller un autre homme en plein milieu
d’une pièce ouverte à tout venant, au su et au vu de tous. Et
puis si l’américain ne le trucidait pas pour avoir profité d’une
situation pareille, alors que Duo lui avait plusieurs fois confié qu’il
tuerait pour s’y retrouver…
-Ooooh, comment je vais faire pour lui présenter mes excuses ? Je
ne pourrai plus jamais le regarder…
A ce moment, la voix de Heero venant de l’autre bout du couloir le fit violemment
sursauter.
-RAMENEZ VOUS !!!!!
* * *
Toute gêne momentanément mise de côté, Quatre fit
irruption dans la chambre de son camarade, suivi de près par Duo et Trowa.
Heero était assis à son ordinateur, tapant comme un sauvage, à
toute allure. Il ne se retourna même pas quand ils entrèrent.
-Quoi alors?
-J’ai retrouvé Wufei ! s’exclama-t-il, jubilant.
Deux secondes et quelques exclamations plus tard, les trois garçons étaient
entassés derrière la chaise du japonais, essayant de lire l’écran
qui défilait à toute allure.
-Topo ?
-J’avais demandé à l’ordi de me prévenir au moindre signe
d’activité inhabituelle dans une base. Ecoutez ça.
Heero se brancha sur un retransmetteur de la base, et le son crachota dans le
haut parleur de son ordinateur portable.
" Alerte jaune!! Attention à tout le personnel militaire !!!
Le pilote ennemi a échappé à toute surveillance !!!
Il ne doit sous aucun prétexte avoir l’occasion de quitter le périmètre
de la base !!! Prenez vos positions et reportez immédiatement à
votre supérieur !! Attention, le fugitif est extrêmement dangereux
et probablement armé !! Le suspect est un adolescent mâle
d’origine asiatique, yeux et cheveux noirs, cheveux lisses mi-longs !! Je répète,
Alerte Jaune… "
Le pilote de Wing afficha un plan de la base en question ainsi que la carte
de la région, essayant de déterminer avec précision sa
location.
-J’envoie les informations à vos gundams.
-YEEEEHAAA !! hurla Duo en se jetant au cou du garçon assis. BRAVOOOO !!!!!
Il se figea en sentant les épaules dénudées et encore mouillées
de l’asiatique se tendre légèrement sous ses bras avant de se
décrisper. Il était passé près d’une réaction
violente…
Une pensée le frappa soudain et Trowa et Quatre virent ses oreilles virer
au rouge.
-J’ose pas baisser les yeux… Heerocopain, dis moi que tu as mis quelque chose
en bas…
-Hn, répondit le japonais.
-Heu… C’était un Hn-oui, ou un hn-non ?
-C’était un Hn-baka, baka, répliqua le japonais avec un rare sens
de l’humour. … J’ai mes shorts.
-Ca me soulage.
Au moment où il allait retirer ses bras, que dans sa surprise il avait
laissé autour du cou du japonais, il sentit soudain la joue du garçon
se frotter contre son avant-bras.
-Heu, kestufais ?
-Sais pas, répondit Heero, l’air détaché et un peu distrait.
-Il marque son territoire, répondit Trowa, pince sans rire.
-Ooooh, comme quand Quatre a frotté sa tête sur ton genou ?
répliqua Duo en se relevant, histoire de détourner l’attention
de sa propre gêne.
Quatre s’enfuit de la pièce, écarlate.
-J’ai hooooonte !!!!
Duo éclata de rire. Il se sentait incroyablement heureux. Enfin, ils
allaient retrouver leur ami disparu !!! D’ailleurs l’euphorie atteignait
tout le monde, si on en croyait le petit sourire satisfait des deux silencieux.
Les trois pilotes restants dévalèrent les escaliers à la
suite du blondinet et se précipitèrent vers le hangar où
ils avaient dissimulé leurs Gundams, Duo poussant des cris de guerre
tout en courant.
Il éclata d’un rire sauvage quand soudainement, Heero se mit à
hurler comme un loup vers le ciel, son cri de guerre à lui, puis se mit
à essayer de l’imiter.
Trowa se contenta de sourire d’un air presque carnassier.
* * * * * *
Après avoir vérifié que la troupe de gardes l'avait entièrement
dépassé, Wufei se glissa hors du conduit d'aération et
se laissa glisser à terre dans la petite salle. Il jeta des regards à
droite et à gauche et tendit l'oreille pour vérifier que les soldats
les plus proches lui laissaient encore de la marge, puis se faufila dans le
couloir à la suite de la troupe qui venait de le dépasser. Il
dut se rejeter en arrière quand il s'aperçut qu'elle avait été
stationnée devant l'entrée qu'il essayait d'atteindre et jura
dans sa barbe en essayant l'autre côté de la pièce, l'endroit
d'où ils venaient.
C'était encore pire. Trois fois plus de soldats… Il dut se précipiter
de nouveau dans le conduit et le fermer derrière lui quand deux soldats
s'en détachèrent pour rejoindre le groupe à la porte. Il
eut des sueurs froides quand ils le dépassèrent, mais ils étaient
tellement pressés qu'il ne remarquèrent même pas ses doigts
qui dépassaient des barreaux pour retenir la grille descellée.
Et les conduits ne pouvaient le laisser passer que jusque là. Il avait
vérifié. Les seules canalisations qu'il avait croisé étaient
bien trop étroites pour lui laisser le passage. Ou alors il lui fallait
retourner dans la chambre et passer par le couloir de là-bas… maintenant
qu'ils pensaient qu'il était parti, ils ne garderaient peut-être
plus cet endroit…?
Non, c'était stupide, Il avait fait tous ces efforts, ce n'était
pas pour retourner à la case départ. Tout le tour du complexe
était en train d'être verrouillé, et bientôt, dès
que le dispositif serait bien en place, ils passeraient les bâtiments
au peigne fin. Il fallait qu'il trouve un moyen de sortir d'ici tout seul avant
que ça n'arrive.
/courir dans les couloirs courir pour sa vie comme une proie je n'aime pas être
une proie/
Ah, non, ça suffisait les flash-backs!! Il s'était creusé
la cervelle pendant des jours entiers pour se souvenir de quelque chose, et
maintenant qu'il avait besoin de penser à autre chose, ça lui
revenait!
Il se laissa glisser à genoux dans le conduit, et s'adossa contre la
paroi. Il avait encore mal à la tête.
<<Alerte rouge, alerte rouge, approche de mobil suits dans notre espace
aérien!!!! Assumés hostiles!!! Tout le personnel aérien,
à vos postes de combat!!!>>
La voix de la femme avait l'air affolée, et Wufei releva la tête,
écoutant avec intérêt. Pourtant, il avait cru comprendre
que la faction de Treize avait toutes les cartes en mains, et pas d'ennemis
dangereux pour le moment… Et puis il se rendit compte que dans les personnels
militaires, comme ils disaient, il devait y avoir pas mal de ceux qui le retenaient
encerclé. Il allait y avoir des trous dans leur garde s'ils devaient
se séparer d'eux!! Il se glissa hors du conduit en silence et alla jeter
un coup d'œil. Bingo! Seuls deux hommes restaient à garder la place…
Sans prendre le temps de s'affoler de ce qu'il faisait ni de se poser de questions,
il les assomma proprement et se mit à courir vers l'extérieur.
Mais il y avait tant d'allées et venues qu'il dut continuer à
se précipiter dans les directions qu'on lui laissait prendre, et pour
finir quand il se retrouva à l'air libre, ce fut dans le jardin intérieur
de Treize.
Une explosion immense retentit vers un quartier qu'il n'avait jamais approché
mais que les plans qu'il avait vus désignaient comme les hangars
<<Alerte, alerte!!! Attaque sur le Nord-ouest de la base!!>>
'sans blague', pensa-t-il avec un reniflement moqueur. Il aperçut
une flopée de Taurus passer en rugissant au-dessus de sa tête,
mais ne put en voir plus, les bâtiments étaient trop hauts autour
de lui et lui coupaient la vue.
'J'ai intérêt à me trouver un endroit qui ne risquera pas
de se retrouver enterré sous les débris ou laminé de shrapnels,
ou alors je ne vais pas en sortir entier'
Il se précipita entre les massifs labyrinthiques du jardin vers la tonnelle
au milieu. Elle le dissimulerait à la vue, et en plus elle était
suffisamment loin pour le mettre relativement à l'abri. Heureusement
que les jardins étaient grands…
'nataku-meiran'
Il s'immobilisa un quart de seconde devant l'étendue de fleurs, puis
se força à continuer pour se cacher sous la tonnelle. Il penserait
à 'meiran' plus tard.
Une ombre immense le survola et il se fit tout petit… et se figea, ses yeux
écarquillés fixés sur le ciel.
<<CE SONT DES GUNDAMS!!!!>>
Il tomba à genoux, se tenant le crâne à deux mains.
* * *
<<CE SONT DES GUNDAMS!!!!>>
'Il faudrait vraiment qu'ils apprennent à dire autre chose…', pensa
Heero sarcastiquement en posant Wing en plein milieu des bâtiments qu'il
venait de mitrailler, sur une pelouse qui resterait longtemps brûlée.
Il ouvrit le cockpit et sauta dehors, arme au poing, un autre revolver dans
le holster, armé jusqu'aux dents. Il espérait que les autres puissent
occuper les OZ suffisamment longtemps pour qu'il retrouve Wufei, ou au moins
qu'ils lui offrent une distraction suffisante pour qu'il foute le camp tout
seul.
Il se laissa tomber accroupi derrière le pied de son gundam et regarda
à droite et à gauche pour se donner une idée de l'endroit
où il devait aller.
Et puis son odorat surdéveloppé capta une odeur familière…
Wufei était venu dans ces jardins!! Et même souvent… Mais c'était
une odeur déjà vieille de plusieurs jours… Il se décida
à la suivre quand même. Peut-être couperait-il une piste
plus fraîche sur le chemin.
* * *
La personne qui avait sauté de cet énorme mobil Suit était,
à sa grande surprise, un adolescent pas plus vieux ni plus grand que
lui-même. Mais tout ce que Wufei put voir à travers les branches
des buissons et sa migraine, c'était qu'il ne portait rien d'autre qu'un
short noir moulant et un holster, était brun, et se glissait vers les
bâtiments avec détermination. Et qu'il avait une arme en main,
et avait l'air de savoir s'en servir.
Une arme voulait dire un danger, et sans y penser davantage, il roula sur le
sol pour se cacher derrière le banc. Puis il réfléchit.
Cet homme n'était pas soldat d'OZ… ses habits étaient trop bizarres
pour ça même si son comportement et le fait qu'il ait été
dans un des mobil Suits qui attaquaient la base avaient réussi à
passer inaperçu. Définitivement pas un ami d'OZ. Mais était-il
pour autant un de ses propres alliés? Au moins Treize le traitait bien.
Allait-il tomber de Charybde en Scylla en signalant sa présence au terroriste?
Et puis, à sa grande surprise, le jeune homme stoppa net en pleine course
alors qu'il était presque arrivé au bâtiment, leva la tête
comme pour regarder le ciel –il était loin, il ne voyait pas distinctement
ce qu'il faisait à lever le nez comme ça- et se retourna vers
lui pour se mettre à suivre le même chemin qu'il avait emprunté.
Il avait l'air extrêmement déterminé et son expression évoquait
le sang-froid d'un homme qui n'hésiterait devant rien pour parvenir à
son but. Il le savait, il ne savait pas comment. Rien ne le ferait reculer.
Le mieux était de dégager le passage, avant d'être écarté
de force.
'Merde!' jura-t-il en se cherchant une meilleure cachette du regard.
Mais il n'y avait rien, il n'y avait rien… Il recula, frénétiquement,
commençant à perdre son calme, et recula sur les mains et les
talons dans l'un des buissons avant de se retourner pour filer à quatre
pattes entre les branches épaisses et drues. Ses vêtements se déchirèrent
plusieurs fois et il sentit des branches lui érafler profondément
la peau, mais il ne s'en souciait guère. Tout ce qu'il savait, c'était
que le jeune homme brun était dangereux, et qu'il venait vers lui. Des
bribes de souvenirs tournoyaient dans sa tête, mais trop rapidement pour
qu'il arrive à les saisir et à les comprendre, juste assez pour
le désorienter totalement. Il s'adossa au tronc d'un arbre et espéra
qu'il était trop loin pour qu'on le voie encore.
Le garçon stoppa au milieu de la petite place que Wufei avait occupée
il y avait quelques secondes à peine, et ses yeux se tournèrent
immédiatement vers le point où Wufei avait pénétré
dans les buissons, comme s'il disposait d'un radar. Il s'accroupit, et le fugitif
se crispa. Il ne pouvait pas reculer plus loin.
Et puis l'autre souleva une branche et le regarda.
-Wufei?
Il le connaissait? se demanda le chinois, totalement perturbé.
-Qu'est-ce que tu fais, baka? On doit filer, vite! Viens! ordonna le garçon
d'une voix impérieuse, son visage sérieux, ses sourcils froncés.
-Qui es-tu? répliqua Wufei, luttant pour ne pas avoir l'air effrayé.
Le regard froid et déterminé de l'adolescent au revolver devint
confus et étonné pendant quelques secondes.
-… Tu ne te souviens pas de moi…?
-Ce n'est pas une réponse! protesta Wufei. Qui es-tu?! Qu'est-ce que
tu fais là? Comment tu me connais?
-Je… Nous sommes frères d'armes, nous sommes du même côté!
Toi, moi et trois autres, nous sommes dans la même équipe. Nous
sommes venus te chercher, ça fait des semaines qu'on te recherche partout!
Une de nos missions avait mal tourné et tu avais disparu… Viens vite,
je ne sais pas combien de temps les autres pourront retenir OZ…
Ca lui rappelait quelque chose… le rêve de ce matin, quelque chose dans
ce qu'il avait dit lui rappelait le rêve. Quatre autres… Mais c'était
trop imprécis pour se baser dessus.
Pas totalement convaincu, Wufei jeta un coup d'œil au revolver du garçon.
-Et si je préfère rester ici…?
-Nani?!
-Si je ne veux pas te suivre, tu feras quoi? demanda-t-il, s'humectant les lèvres,
nerveux.
-Les autres auront deux pilotes à délivrer au lieu d'un seul,
répliqua sèchement l'adolescent. Tu ne penses pas que je suis
venu jusque là pour repartir sans toi, non?
Wufei se décida à sortir. Il s'était attendu à une
réponse dans les lignes de "je te tuerai" ou bien à une menace
pour le faire sortir, mais ce genre de réponse, l'autre devait être
sincère, il devait être de son côté. Son ami peut-être?
… Il n'était pas sûr. Il préférerait être de
ses amis que de ses ennemis s'il avait le choix, ça c'était certain.
Il s'extirpa des buissons lentement, méfiant malgré tout, puis
se redressa en s'époussetant, jetant des regards à la dérobée
à l'autre garçon. Il avait eu le soleil dans l'œil quand il était
dans les buissons, et il avait eu du mal à bien voir sa figure; mais
de près…
Il avait des yeux bleus et froids, froids comme l'espace. 'comment sais-je
à quoi ressemble l'espace?'
-Wing… souffla-t-il, sans comprendre pourquoi.
Absorbé dans sa contemplation des changements visibles de son ami, entre
autres sa cicatrice au milieu du front, ses cheveux lâchés et sa
perte de poids visible, Heero eut à peine le temps de le retenir quand
une autre crise le terrassa et qu'il s'effondra, remontant les mains sur ses
tempes dans un geste maintenant familier.
-Wufei? Wufei!
L'asiatique ne répondit que par un gémissement inaudible. Inquiet,
serrant les dents, le japonais le souleva dans ses bras et repartit au pas de
course dans la direction de son Gundam.
* * *
Ils étaient presque à Wing quand Heero s'aperçut qu'un
petit groupe de soldats entourait le Gundam. Sans cesser de courir, il fit passer
Wufei sur sa hanche, comme s'il portait un enfant, et tira les ennemis comme
à l'entraînement. Huit balles dans la tête, aucun n'avait
eu le temps de se mettre à couvert. Rengainant son revolver, il s'agrippa
au filin de sa main libre et serra Wufei contre lui. Le chinois revenait à
lui, et était assez conscient pour resserrer sa prise sur son cou et
refermer ses jambes autour de sa taille.
Un septième soldat était posté sur la porte que pour gagner
du temps Heero avait laissée ouverte, regardant avec curiosité
à l'intérieur du cockpit. D'une bourrade, Heero l'envoya par-dessus
bord et fit tomber Wufei sur les fesse en le lâchant sans cérémonie.
Le chinois releva la tête, hébété.
Un dernier soldat était assis recroquevillé dans le siège
de pilotage, prévu pour un adolescent de petite taille, en train de fourrager
dans ce qu'il pouvait atteindre.
'Heureusement qu'on a besoin d'un mot de passe pour activer la plupart des fonctions…'
soupira Heero.
Il avait horreur que des intrus se permettent de mettre le nez dans sa tanière.
Déjà sa chambre ça passait mal même pour ses amis,
mais SON GUNDAM… Saisissant l'intrus par un pied, il le traîna dehors
et le jeta sur la porte, pas du tout dérangé par le fait qu'il
faisait deux fois son poids. Réussissant à ne pas tomber par-dessus
bord, le crétin fit mine de se jeter sur Wufei. Découvrant les
crocs, extrêmement agacé, Yuy passa sous sa garde et lui broya
la trachée d'une main. pleine de griffes avant de le jeter de la porte.
Dire qu'il aurait peut-être survécu s'il avait sauté…
Tirant son camarade après lui, le loup-garou s'installa dans le siège
et le déposa en travers sur ses genoux.
-Baisse la tête et évite de fourrer tes mains et tes pieds partout,
lui conseilla le pilote en se sanglant dans le siège.
Il n'y avait pas moyen de sangler Wufei aussi, donc, impossible de se battre,
le garçon se retrouverait à jouer au flipper dans la cabine étroite
trop facilement.
<<Ici 01, demande d'assistance!!>> lança-t-il par le comm.
Deathscythe rappliqua aussitôt et se mit à lui tailler un chemin
vers la liberté.
<<Alors alors alors?>>
<<Je l'ai…>> répondit Heero en transformant Wing en oiseau.
<<Mais on a un problème.>>
<<Il est blessé?>> s'inquiéta Quatre tandis que Sandrock
démolissait allègrement une petit groupe de MD qui étaient
restées trop serrées avant de prendre l'air et de suivre les deux
autres.
<<Je ne pense pas, du moins il est en bonne voie de guérison. Non,
ce n'est pas ça… Il ne m'a pas reconnu.>>
<<Comment?!?>>
<<Il est amnésique?!>>
<<Oh meeerde… Comment on va le soigner?>>
Heero eut un petit sourire au garçon qui venait de s'endormir d'épuisement
sur ses genoux.
<< Il lui reste quelques souvenirs. Et je crois que ça lui revient
tout seul… Il m'a appelé Wing. Yuy, out.>>
Laissant à ses amis le soin de retenir toute poursuite, il poussa les
boosters à fond, désirant mettre toute la distance possible entre
ses ennemis et son inestimable fardeau.