-Heero-Kun? dit Duo d'un ton inquisiteur et assez méfiant, en frappant
à la porte de la chambre du japonais.
Il ne pénétra pas à l'intérieur, sachant d'avance
qu'il allait se faire envoyer paître, au minimum. Si Heero n'était
pas bien réveillé. S'il était réveillé, il
se prendrait minimum une chaise dans la tête.
Heero était devenu encore plus violent ces derniers jours, plus silencieux
et plus renfermé. Enfin… ces derniers jours… jusqu'à l'avant-veille
tout du moins. Depuis, les garçons ne l'avaient pas revu, même
pas aux repas. Ils n'avaient su qu'il était encore là que parce
que Wing était toujours dans le hangar, que toute la viande disparaissait
régulièrement du frigo, et que le linge sale continuait à
faire son apparition dans la buanderie.
Ce matin, le débardeur vert sombre n'avait pas été taché
seulement d'herbe et de terre, mais aussi de sang. C'était ce qui avait
poussé Quatre à décider que trop, c'était trop.
Ils avaient une importante mission dans deux jours, une importante mission qui
nécessitait beaucoup de précision et de coordination entre tous
les cinq, et il était hors de question qu'ils se montrent efficaces s'ils
ne savaient même pas s'ils pouvaient faire confiance à leur camarade.
Ils avaient assez attendu pour savoir.
Duo avait été désigné volontaire d'office. Ce qui
le faisait extérieurement ronchonner, mais qui intérieurement
l'arrangeait bien. Après tout, c'était lui qui avait le plus l'habitude
du garçon... et lui qui s'inquiétait le plus visiblement. Enfin…
avec Quatre, mais celui-ci avait insisté qu'il connaissait le pilote
de Wing mieux que lui et qu'ils étaient plus proche que lui et Quatre.
Et Trowa et Wufei avaient été d'accord… Donc, voté volontaire
à l'unanimité générale…
-Heero, tu es là? répéta l'américain en frappant
encore sur la porte.
Il lorgna la poigné d'un air méfiant. Non non non non, il n'allait
pas faire ça.
Le bouton doré de la poignée lui faisait de l'œil, scintillant
d'un air engageant. Arrière vile tentatrice. S'il entrait dans la chambre
sans invitation, Yuy allait encore taper une crise et ils ne pourraient pas
discuter… Sans compter les différentes blessures potentiellement mortelles
qu'il pourrait attraper dans le feu de l'action. Et pour une fois, énerver
Heero n'était pas son but du tout, ni primaire ni secondaire. D'habitude
si… Il visait toujours une vraie conversation mais il se contentait d'une réaction…
violente assez souvent mais, hé! ce n'était pas si facile de faire
réagir Yuy!! Toujours d'un extrême à l'autre ce garçon,
le volcan sous la glace…
La poignée continuait à le regarder d'un air suppliant. Il allait
se faire tuer s'il faisait ça. Il allait se faire démembrer lentement
et agoniser pendant des heures, des jours, torturé sadiquement par son
camarade.
Il ne serait pas devenu pilote de Gundam s'il n'aimait pas vivre dangereusement.
La poignée tourna doucement, doucement…prudemment, il pencha la tête
par l'entrebâillement et jeta un regard dans la chambre. Il ne vit rien
au début, que des ténèbres. Il lui fallut du temps pour
s'habituer, ses yeux étaient encore adaptés pour la forte lumière
vive du dehors. Finalement, au bout de quelques minutes de silence, il commença
à reconnaître des formes. Immobiles. Il pensa que Heero n'était
pas là au début…. il ne s'était pas encore mis à
lui crier dessus pour être entré dans son sanctuaire sans permission.
Puis il dut se frotter vigoureusement la tête quand il se la cogna contre
le chambranle, surpris par la voix basse et (relativement) extrêmement
calme du japonais.
-Tu attends quoi pour me dire ce que tu veux? demanda une voix du fond de la
pièce. Une autorisation écrite?
Il fut tellement stupéfait par ce qui ressemblait fort à de l'ironie
qu'il se cogna le crâne une deuxième fois.
-AIE!! cria Duo en se frottant la tête. Heu… Je peux entrer? demanda-t-il
en forçant ses yeux à discerner mieux les formes.
La structure de la pièce avait changé, se rendit-il compte après
quelques secondes pendant lesquelles il avait attendu la réponse de l'asiatique.
Il avait dû changer les meubles de place, Dieu et Heero Yuy seuls savaient
pourquoi.
-Je dois te parler… C'est important. Onegai? ajouta-t-il d'un ton plein d'espoir.
-Hn!
Toujours aussi bavard à ce qu'il voyait… Il n'avait jamais compris comment
quiconque pouvait faire passer autant de réponses possibles dans un seul
son. Mais est-ce que c'était un Hn-non ou un Hn-oui? Celui-là
avait eu l'air… Moqueur? étrange…
Comme ses yeux s'habituaient, Duo aperçut finalement le garçon.
Il était assis sur le bureau, l'une de ses jambes pendant du bord, l'autre
repliée sous lui. La tête dans sa main, il le regardait, sans expression
particulière.
-Je peux entrer alors? répéta Duo d'un air indécis.
-Mm. Ferme la porte.
Décidant de vivre audacieusement, Duo prit ça comme un "entre
et ferme la porte". Si ce n'était pas le cas, il priait que Heero le
précise suffisamment longtemps avant d'essayer de le tuer, histoire de
lui laisser le temps de rectifier sa méprise. Il se retourna pour refermer
la porte, puis revint face au japonais.
Son cœur accéléra pendant quelques battements avant de revenir
à la normale, et il écarquilla les yeux. Ce devait être
un reflet bizarre de l'extérieur…
Une seconde, les yeux du pilote de Wing avaient brillé dans l'ombre,
comme ceux d'un chat. Bâtonnets… c'était le mot qu'il cherchait.
Ce qui tapissait le fond de l'iris et le rendait capable de plus ou moins bien
capter la lumière. Wow. Le docteur J avait dû faire un super bon
travail de modification. Oui, c'était ça. Le docteur J. Il ne
savait pas quand mais il n'y avait pas trente-six mille autres explications…
Il resta près de la porte, indécis, et… il fallait bien l'avouer,
un peu effrayé.
* * *
Heero sommeillait quand des pas familiers dans le couloir le réveillèrent.
Ils ne passaient pas devant sa porte, mais semblaient ralentir… Entièrement
réveillé, il attendit que le garçon entre comme une tornade,
comme à son habitude, mais Duo (c'était Duo, il avait reconnu
son pas) semblait hésiter à pousser la porte.
Il fronça les sourcils. Depuis quand est-ce que ça posait le moindre
problème à la tornade Maxwell d'aller le déranger?
'depuis que tu l'envoies balader de plus en plus violemment', se répondit-il.
Il en ressentit un petit pincement de remords. S'il avait agi suffisamment violemment
pour effrayer même Duo, ça devait être grave. Il ne se rendait
pas vraiment compte… il n'y pensait pas vraiment, pour tout dire. Mais là…
Il ne le dirait jamais à l'américain bien sûr, mais son
bavardage n'était pas si distrayant que ça… Plus maintenant. Au
contraire, il trouvait ça distrayant, mais dans un bon sens. Ca sortait
son esprit du stress de la guerre, ça l'aidait à penser à
autre chose… C'était un peu un jeu qu'ils jouaient tous les deux, Duo
à l'ennuyer et Heero à résister le plus longtemps possible
avant de l'envoyer paître.
Le knock-knock était doux et indécis. Pas du tout Duo. Il fronça
les sourcils encore plus fort. Est-ce que l'américain croyait qu'il dormait?
Ce devait être ça. Une part de lui s'élevait violemment
contre l'invitation que l'autre partie envisageait de lancer à Duo, mais
il la fit taire, vicieusement. Elle se faisait de plus en plus forte , cette
partie-là, mais il refusait de l'entendre encore pour l'instant. Insidieusement,
elle s'était mêlée à ses pensées ordinaires,
l'avait influencé, jusqu'à ce qu'il l'écoute de la même
manière qu'il écoutait la part en lui qui était le Soldat.
Il était temps qu'il commence à rectifier, si son comportement
avait tellement évolué.
Et il savait qu'il avait besoin d'aide. Même s'il aurait préféré
mourir que de le demander. Si ça avait été un problème
physique, ou quelque chose ayant à voir avec les missions, il n'aurait
pas hésité… longtemps, mais c'était un problème
qui comprenait sa propre psyché; zone qu'il ne se sentait pas disposé
à ouvrir à tout venant, même étant donné son
manque total d'expérience dans ce domaine. C'était la seule chose
en lui qui était à peu près privée. A peu près…
le docteur J s'était bien amusé avec passé un temps. Il
ne le permettrait plus, gronda-t-il mentalement. Qu'il joue avec son corps et
ses réflexes pour lui permettre de lutter plus efficacement contre l'ennemi,
passe encore, il l'autorisait. On n'avait rien sans rien, et il avait décidé
depuis longtemps qu'il était d'accord pour sacrifier sa vie pour les
colonies.
Sa vie… pas son âme.
Il ne pouvait pas se pousser à avouer le problème comme ça…
mais si ses camarades avaient remarqué d'eux-mêmes et le questionnaient,
il n'aurait pas d'autre choix que de répondre. Surtout si ça mettait
en danger la mission. Il se contrôlait encore suffisamment pour empêcher
ça, mais il se rendait trop compte qu'il dérivait dangereusement.
L'incident de la veille avait été une gifle et un avertissement.
Il fut distrait de ses pensées quand la poignée tourna lentement.
Ses doigts se crispèrent brièvement, mimant inconsciemment la
pression sur une gâchette, mais il se réprimanda mentalement. Le
Soldat en lui ne voulait pas laisser Duo le voir à son plus bas; on ne
montrait pas ses faiblesses à un ennemi potentiel.
Duo n'était pas un ennemi. C'était un allié qui avait besoin
d'être tenu au courant pour garder le niveau d'efficacité de la
troupe à son maximum. Le Soldat se tut.
L'Autre… la chose qui montait… grognait un peu à l'idée de quelqu'un
dans son territoire, quelqu'un d'étranger… mais elle acceptait. Duo n'était
pas un étranger… C'était l'une des quatre seules personnes au
monde auxquelles Heero Yuy avait jamais pensé avec le titre possible
d'ami. L'Autre acceptait aussi.
Il faillit rire en apercevant l'air extrêmement prudent de l'américain
quand sa tête apparut soudain au bord de la porte, sa natte se balançant
derrière lui dans l'entrebâillement.
-Tu attends quoi pour me dire ce que tu veux? Une autorisation écrite?
Il faillit rire encore une fois à l'air comique avec lequel Duo réagissait.
Quel clown ce type… Quand il l'invita à entrer, Duo eut l'air si surpris
qu'il manqua grogner et le tirer à l'intérieur par les cheveux.
Au moins ils serviraient à quelque chose.
Et puis l'américain se retourna, et il se tendit insensiblement. Duo
avait peur de lui. Pourquoi?
Il le vit plisser les yeux et se rendit compte qu'il ne le voyait pas. Il pensa
un moment à ouvrir un peu le volet, mais laissa tomber aussitôt.
Il se doutait bien de pourquoi il était venu… et ce serait plus facile
de lui parler s'il ne voyait pas son visage.
-Alors? Tu veux quoi? l'encouragea-t-il.
* * *
-Heero… Je sais pas comment dire ça pour ne pas que tu t'énerves…
Alors je vais juste te dire que j'ai pas l'intention de t'énerver avec
quoi que ce soit que je vais te dire. Je vais être entièrement
sérieux. Ok?
-M-m.
-Je vais y aller franco… Les gars et moi, on… On a remarqué que tu ne
te conduis pas comme d'habitude depuis un certain temps, et… On s'inquiète
un peu.
-Ca va, répondit le Soldat automatiquement.
Heero grinça des dents et se força à se reprendre avant
que Duo ait pu s'agacer de son refus de voir les choses en face.
-En fait… Non, ça ne va pas, avoua-t-il d'une voix si basse que son camarade
dut tendre l'oreille pour l'entendre.
-Quel est le problème? l'encouragea doucement Duo, stupéfait de
la réponse presque autant que du ton de sa voix.
Il avait pensé qu'il devrait travailler mentalement le japonais pendant
toute la journée pour obtenir une réponse… Et l'autre lui répondait
d'une voix où on entendait un petit garçon qui a peur du noir
derrière le mur de glace habituel…
-Je… Sais pas.
Heero se tut, et malgré tous ses efforts ne put se remettre à
parler. Duo se résolut à prendre une autre approche.
-Il y avait du sang sur ton débardeur… Que s'est-il passé? Tu
n'es pas blessé? ajouta-t-il en essayant de détecter l'odeur du
sang dans l'air.
Heero se tendit et ferma les yeux.
/ courir
/ nuit, fraîcheur
/ buissons, herbe, air frais dans les cheveux et sur la peau
/ mouvement devant
/ chasse
/j'ai faim
'sang sur mes mains j'ai du sang sur les mains qu'est-ce que j'ai fait qu'est-ce
que j'ai fait kami-sama j'ai du sang sur les mains dans la bouche j'ai du sang
sur le visage et un goût dans ma bouche qu'est-ce que c'est qu'est-ce
que j'ai fait kami-sama je ne comprends pas je ne comprends pas'
Les restes d'un petit corps totalement déchiqueté au sol…
Vomissements, longs, violents, horrifiés.
Il enterre les restes de l'écureuil dans un coin, creusant à mains
nues la terre meuble, avant de rentrer se rouler en boule dans un coin de sa
chambre, par terre.
Le goût du sang chaud coulant dans sa gorge lui reste longtemps, longtemps.
-Ce n'était pas mon sang. Pas du sang humain, ajouta-t-il pour assurer
Duo qu'il n'avait tué personne au cours de la nuit.
-Chouette, murmura Duo, soulagé malgré tout. J'ai eu peur un moment.
Si Heero s'était mis à tuer des gens la nuit, ils auraient été
obligés de… le mettre hors de commission d'une manière permanente.
-Tu veux me raconter un peu plus en détails?
-J'aimerais mieux pas, répondit le japonais en se mordant les lèvres.
Duo haussa les sourcils jusqu'à ses cheveux. Yep, pas dans son état
normal. Il ne s'était pas contenté d'un non sec qui aurait sacrément
énervé Duo… il avait exprimé une préférence
personnelle. C'était la seule chose qui pouvait pousser Duo à
laisser passer le refus.
-Heero… On a tous bien vu que tu n'étais pas dans ton état normal.
Tu ne veux vraiment pas nous dire ce qui ne va pas?
-Mais je ne sais PAS ce qui ne va pas!!! répliqua-t-il avec emportement.
Duo se crispa visiblement et une impression de peur vint de son attitude /et
de son odeur c'est son odeur qui parle le mieux/ à Heero.
-Ca va, je me maîtrise, lâcha-t-il sèchement.
-Tu m'excuseras si je prends quand même mes précautions. Tu te
rappelles l'assiette?
Le japonais baissa brièvement la tête, honteux.
-Gomen, souffla-t-il. Je… Duo… A ce moment-là, je n'avais pas envie d'admettre
que quelque chose clochait; je le fais maintenant. Mais… Je ne peux pas t'en
parler. Je sais que quelque chose ne va pas tout à fait avec mes réactions
et dorénavant je le prendrai en compte. Tu n'as pas à t'inquiéter
pour la mission.
-Putain, Yuy!!! Je me soucie pas de toi juste pour cette putain de mission!!!
Les autres non plus!!!
Le garçon aux cheveux bruns sursauta, pris par surprise par l'explosion
de mauvaise humeur de son camarade. Duo soupira bruyamment et passa les mains
dans ses cheveux pour se calmer un peu. Enfin, ça avait bien commencé…
Il s'était excusé (une chose qu'à la connaissance de l'américain
il n'avait fait qu'une fois, à la famille des dignitaires de paix qu'il
avait tués par méprise) et avait même avoué un problème.
Mais il était toujours aussi chiant quand à prendre soin de ses
problèmes lui-même. Comme il faisait avec son Gundam, à
piquer une crise dès que quelqu'un d'autre que lui posait une main dessus.
-Heero…
-Duo… Je te jure que dorénavant j'essayerai de me maîtriser. J'ai
juste besoin d'un peu de temps pour m'habituer…
-T'habituer à quoi? le questionna l'américain à la natte.
Heero ne répondit pas. Sautant à bas du bureau, il se dirigea
vers son camarade. Duo l'entendit bouger, mais la chambre étant noire
comme un four, il n'arrivait pas à le repérer précisément
et ça l'effrayait un peu.
Il fit un bond d'au moins trente centimètres quand la grande main chaude
du japonais se posa sur son épaule.
-Ca va aller, Duo… Si ça dure encore, je…Je te demanderai de l'aide…
mais pas maintenant.
Trop surpris pour réagir, il ne protesta pas quand Heero le retourna
et le poussa doucement vers la porte. Le japonais l'ouvrit devant lui et il
avança dans le couloir, indécis, un tourbillon de confusion sous
le crâne. Heero n'agissait pas du tout comme d'habitude… mais il n'était
pas non plus retourné à son ancien comportement. Que se passait-il,
bon sang? Il leur faisait une crise de dédoublement de la personnalité
ou quoi? … détriplement plutôt. Il se demanda une seconde si il
allait leur sortir une persona féminine aussi et laissa échapper
un petit gloussement vite réprimé, plus par surprise que par crainte
d'être entendu. Après tout il riait souvent sans raison apparente.
Heero n'était pas resté dans sa chambre après l'avoir évacué
dans le couloir… Il avait toujours une main sur son épaule et le guidait
vers l'escalier.
-Heu, tu m'emmènes où là? demanda-t-il, incertain sur le
comportement du garçon.
-Voir les autres. On a besoin de discuter la prochaine mission.
-Heu, d'accord…
Bon, au moins le Soldat est revenu, pensa Duo en se dirigeant vers le salon.
Je l'aime pas trop, cette partie de Heero, mais au moins, elle est pas aussi
strange que l'autre. Et pis on la connaît bien…
* * * * * * * * *
On pouvait se demander quand, exactement, la mission si bien planifiée
et si bien exécutée avait décidé de leur péter
à la gueule. Relativement parlant. Quoique, en fait, pas si relativement
que ça. Juste un soldat peu consciencieux qui avait abandonné
son poste pour aller passer un bonjour clandestin à la jeune secrétaire
qui travaillait… avait travaillé, dans la salle des ordinateurs (avant
que Shinigami ne passe ramasser son âme)… et Heero et Duo avaient été
grillés. Il avait déjà eu le temps de lancer un appel sur
son talkie-walkie quand il tomba mort aux pieds de l'américain à
la natte, un couteau dans la gorge.
Les deux terroristes échangèrent un regard… puis sans un mot,
le japonais fila dans une direction et l'américain dans une autre, essayant
de distraire les poursuivants. Et ils coururent dans la base pendant un long
moment, cherchant une issue non bloquée dans les couloirs qui fourmillaient
soudain de soldats.
* * *
Duo avait réussi à sortir du bâtiment lui-même, mais
il doutait que ça lui servirait à grand chose. Il y avait trop
de soldats, dans tous les coins… Il faisait nuit dehors. Un quart de seconde,
il jeta un regard à la lune. En général il l'aimait bien…
Mais là… Elle l'éclairait, l'empêchait de se cacher dans
les ombres protectrices, pleine. Menaçante.
Il ne passa le coin du mur que pour le regretter amèrement. Il n'avait
pas fini de se rendre compte de la présence de la petite demi-douzaine
de soldats qui l'attendaient de l'autre côté que la crosse d'un
fusil rencontrait sa mâchoire. Son crâne heurta le mur et il glissa
lentement sur le sol, laissant une traînée rouge sur les briques,
se demandant distraitement quand ce drôle de voile lui était tombé
sur les yeux.
Il ne réagit pas quand l'un des soldats s'approcha de lui un fusil à
la main et le poussa du canon.
-Il est mort?
-Nan, y respire encore. … C'est une fille? … Tiens, non.
Ah oui, c'était vrai, il respirait... C'était plus automatique
qu'autre chose, se fit-il la réflexion, distraitement.
-On en fait quoi? On l'achève?
-Sais pas, peut-être que nos chefs seraient contents d'en avoir un sous
la patte...
L'un d'entre eux se pencha sur le jeune garçon et lui releva la tête,
examinant son visage. Duo ne réagit pas, détaché de ce
qui se passait.
-Je rêve... Un gosse comme ça qui a fait autant de dégâts?!
J'y crois pas... Il a pas seize ans! Et c'est un merdeux comme lui qui nous
a créé autant de problèmes? Le hangar qui a sauté,
y avait un de mes potes dedans, espèce de sale bâtard!
La vox encolérée du type suggérait que Duo n'allait pas
tarder à passer un sale quart d'heure... Le problème, c'était
que son cerveau semblait plus ou moins déconnecté de son corps.
Il savait bien, distraitement, quelque part, qu'il aurait dû essayer de
foutre le camp, mais il ne pouvait pas bouger un seul muscle, prisonnier de
ce voile noir qui le retenait dans ses filets. Il se demanda s'il avait un traumatisme
crânien.
Le soldat leva bien haut un pied destiné à ses côtes.
"Aiaïaïe..." pensa le pilote de loin, qui savait abstraitement que
ce n'était pas bon.
Un liquide chaud et gluant qui ressemblait fortement à du sang lui éclaboussa
la figure, puis une chose molle et lourde s'écroula lentement, à
demi sur lui. Duo réussit à ouvrir avec effort une paupière
pour considérer pensivement le trou que le type affalé sur lui
avait entre les deux yeux. Avec un temps de retard, il reconnut enfin le son
familier d'un gun qui claque.
-Duo, appela Heero d'une voix monotone mais un poil plus rugueuse et forte que
d'habitude, tout en descendant l'un après l'autre les belles cibles mouvantes
avant qu'elles aient eu le temps de se remettre de leur surprise pour sortir
leurs armes.
-Mmm... gémit le pilote de DeathScythe en essayant de relever la tête.
-Ca va? s'enquit le brun d'un air indifférent en rechargent son arme.
-Nan ...mais c'est sympa...de demander, répliqua le pilote à la
tresse, pantelant, en essayant de se redresser... Et en échouant misérablement.
/ salement blessé. / Heero le jaugea d'un coup d'œil et passa
un des bras de son camarade au-dessus de ses épaules avant de le retenir
par la taille. Duo sentit ses jambes se dérober sous lui et ne réussit
qu'à peine à resserrer son bras pour ne pas tomber.
-Duo?
-Un coup... Sur la tête... Mal...
-Ca va aller.
Duo ne fut même pas surpris que son camarade essaye de le rassurer; il
avait trop mal pour ça. Mais il se fit la promesse de penser à
s'en extasier aussitôt qu'il irait mieux.
Heero porta à demi son compagnon sur quelques dizaines de mètres
avant de stopper net. / Echos de pas… odeurs… sueur et métal, et poudre…/
-On vient, lâcha-t-il.
Duo ne demandait qu'à le croire, en ce moment il ne devait pas entendre
très bien à cause du choc. Si le pilote de Wing disait ça,
c'est que c'était vrai; même si lui n'entendait absolument rien.
Heero jeta de vifs regards à droit et à gauche, à la recherche
d'un endroit où se cacher. Mais tout ce qu'il y avait, c'était
un petit buisson de plantes d'ornement… A peine suffisant pour dissimuler un
seul d'entre eux.
Duo se prépara à lui dire de le laisser au milieu de la route.
Après tout il était blessé, sérieusement, et ne
constituait qu'un fardeau pour l'autre pilote; s'il le laissait, Heero aurait
une chance, mais s'il persistait à le traîner, ils se feraient
attraper tous les deux… peut-être même pire. Il savait que Heero,
en tant que soldat parfait, froid, calculateur et tout ce bazar, avait déjà
du envisager cette possibilité, et voulait lui faire comprendre qu'il
ne lui en voudrait pas… Même si l'asiatique se souciait sûrement
de son avis et de la valeur de son sacrifice comme de son premier examen de
physique.
Mais avant qu'il ait eu le temps de lui dire quoi que ce soit, Heero fourra
Duo dans le buisson avec un regard glacé qui lui enjoignait de se taire,
pour une fois, et se planta au beau milieu du chemin.
-Heer…
-Boucle-la.
Stupéfait, il obéit à cet ordre particulier pour la première
fois de sa vie.
Non, Yuy n'avait pas l'intention d'attirer tout le monde sur lui pour lui laisser
une chance, si?
* * *
Il tira et esquiva, plongea, courut, et tira, et tira encore, faisant mouche
à presque chaque coup avec une froide précision; son efficacité
nullement affectée par le fait qu'il y avait une douzaine de soldats
autour de lui et qu'il lui restait seulement six balles… Cinq… Une balle le
frôla à la cuisse et il perdit brièvement l'équilibre...
Trois… Zut, il en avait manqué un.
./ Protéger Duo. /
Voilà, plus de balles. Il se servit du gun à présent inutile
comme d'une massue pour assommer un soldat qui venait de se jeter sur lui, enregistrant
avec une satisfaction toute professionnelle le craquement audible de son crâne,
puis le lança sur un autre qui le visait, le touchant entre les deux
yeux. Le soldat tomba lentement en arrière, du sang plein le front.
Il était désarmé.
Et encore trois soldats à vaincre. Trois soldats armés, eux. Il
essaya de bondir sur le côté. Une autre balle le cueillit à
la cuisse, presque au même endroit, transperçant de part en part
la peau et la chair. Il frappa violemment le mur derrière lui, sa tête
rebondit contre les briques, puis il glissa lentement à terre, brièvement
étourdi.
Les trois soldats se rapprochèrent et l'un d'entre eux le saisit par
le col de son débardeur et le souleva du sol.
-Alors, gamin, on fait moins le fier, hein?
Incontrôlable, la rage s'éleva du coin où il avait essayé
de l'enfermer et le saisit tout entier. Il n'allait quand même pas laisser
ces minables le vaincre, lui? Ils allaient voir!! Il n'abandonnait devant personne!!
/je les tuerai tous/
'Je n'ai pas d'arme!'
-T'es un copain de la petite tapette, hein? On sait pas où tu l'as planqué
mais dans son état il va pas être loin… T'es quand même en
meilleur état que lui, je crois que les supérieurs vont se contenter
d'un seul pilote… Ils nous en voudront pas si l'autre ne survit pas à
son interpellation… Il était déjà presque crevé
de toute façon.
Il tressaillit, et ses poings se crispèrent. Cet homme menaçait
un de ses coéquipiers…
/personne ne touche à Duo/
/je les tuerai tous/
Heero ouvrit lentement un œil et planta son froid regard cobalt dans les pupilles
de l'homme
'je n'ai pas d'arme…'
/je n'ai pas BESOIN d'arme… Je SUIS une arme/
et sourit.
Deux secondes plus tard, l'un des deux autres soldats était encore à
se demander d'où venaient ces éclaboussures rouges, tandis que
l'autre, petit nouveau apparemment, vomissait allègrement tout ce qu'il
pouvait, choqué par le spectacle de la tête de son camarade tombant
un peu plus loin qu'il n'aurait dû être normal, un large sourire
en travers de la gorge.
Heero se dégagea de la poigne du soldat égorgé et frappa
avec une vitesse inhumaine en direction des yeux du deuxième. Du même
souple mouvement, il envoyait un coup de talon bien placé au soldat vomissant,
lui écrasant la trachée.
Duo se redressa tant bien que mal en s'agrippant à une branche comme
si sa vie en dépendait et put jeter enfin un regard à travers
les feuilles. En quelques dizaines de secondes, l'escarmouche était déjà
finie. Heero avait shooté la plupart des gardes. Avec horreur, il l'avait
vu désarmé face aux trois types… Puis une éclaboussure
de sang, quelques coups, et tout était terminé.
Le pilote à la natte laissa échapper un soupir soulagé
et se laissa lentement glisser de nouveau au sol, mou comme un caramel fondu.
Heero était loin d'être mauvais avec les combats au corps à
corps, même si ce n'était pas son terrain de prédilection…
Bah, il se ne débrouillait pas aussi bien avec un couteau qu'avec un
flingue, mais ça restait suffisant, rien qu'à voir le mouvement
avec lequel il avait éliminé celui qui le tenait…
Duo se figea.
Heero n'avait pas de couteau. Non seulement ses mains étaient vides,
mais il se rappelait clairement que dans les armes qu'avait prises le japonais
ce matin en partant, il n'y avait pas d'arme blanche. De toute façon,
où aurait-il caché un couteau sur lui vêtu comme il était?
Il avait tout juste la place pour le holster où il mettait son revolver.
Alors avec QUOI avait-il égorgé le type?
…Il ne savait pas s'il tenait réellement à le savoir.
* * *
Heero se tint immobile quelque temps entre les corps des soldats tombés,
sa main gauche serrée sur le poignet de la main qui avait frappé.
Tout son avant-bras l'élançait violemment. Ca faisait mal… surtout
aux doigts. Il lutta contre la douleur, la faisant reculer pas à pas
jusqu'à ce qu'elle disparaisse, puis se retourna vers le camarade pour
qui il s'était battu si farouchement. Si jamais il avait pris une balle
perdue, Heero ne savait pas ce qu'il ferait. Probablement trouver un moyen de
ressusciter ces connards pour pouvoir les retuer d'une manière plus douloureuse.
* * *
Duo ne put pas se poser longtemps la question de l'arme. Heero revenait vers
lui. Sans façons, il l'extirpa du buisson et recommença à
le mener vers la clôture.
Il avait du sang jusqu'au coude, de petits morceaux d'un rouge plus sombre coincés
sous les ongles. Et ses yeux n'étaient plus ces lacs vides de tout sentiment…
Quelque chose commençait à se montrer au fond des iris bleus du
pilote de Wing. Une émotion… Et Duo, qui avait souvent prié pour
voir ça, découvrit qu'en fait, ça ne lui plaisait pas tant
que ça. En fait… ca lui faisait peur.
-Heero… ca va? Tu as l'air…
Mais qu'y avait-il réellement avec le pilote? Il ne parvenait pas à
reconnaître l'émotion qu'il dégageait.
-Je vais très bien, Duo, répondit Heero en lui lançant
un bref regard, qui plongea pourtant jusqu'au fond de son âme.
Il souriait légèrement, apparemment sans même s'en rendre
compte. Mais pas d'une manière sympathique. Ce n'était pas non
plus ce petit demi-sourire méprisant qui énervait tant l'autre
pilote.
Il y avait de la colère dans son sourire, et de la rage… Et par-dessus
tout ça une sauvagerie tout juste réprimée.
Duo crut se voir un moment dans ses yeux, et comprit. C'était le regard
presque halluciné de psychopathe qu'il affichait lui-même quand
Shinigami était de sortie…
Le pilote à la natte frissonna, ayant plus peur soudain de son ami que
d'OZ.
-C'est plutôt moi qui devrais te poser la question, reprit Heero.
-Ah bon? C'est pas moi qui me suis fait shooter à la cuisse…
Heero lui jeta un regard étrange et baissa les yeux sur sa cuisse blessée.
Le short en spandex était déchiré à mi-cuisse, imbibé
de sang.
Mais il n' avait pas la moindre blessure en dessous. Juste une trace de sang
séché, et une croûte prête à tomber.
Duo savait que son camarade guérissait vite, mais à ce point…
Il frissonna sans pouvoir s'en empêcher tandis que Heero le traînait
vers la sortie du complexe.
* * *
Une bonne heure plus tard, la nuit entièrement tombée, ils avaient
réussi à entrer dans la forêt qui entourait la base militaire,
Duo toujours à demi soutenu par Heero, et se trouvaient en bonne voix
pour leur point de rendez-vous, quand le japonais se figea si soudainement que
l'américain faillit se retrouver le nez dans les feuilles mortes.
Heero releva la tête et lança de vifs coups d’œil à droite
et à gauche, le nez en l’air comme s’il flairait quelque chose… ce qui
après son comportement des derniers jours n’aurait pas paru invraisemblable
au pilote de DeathScythe, eût-il été encore en état
de s’étonner.
-On est suivis.
Il flanqua sans façons Duo dans les buissons pour la deuxième
fois de la journée.
-Duo, tu fous le camp. Je les arrête et je te rejoins.
Duo força les quelques neurones en état de marche qui lui restaient
à mettre le doigt sur ce qui le dérangeait.
-Mais tu n’as plus de balles…
-VA.
L’américain suivit comme il put son ordre péremptoire, se traînant
tant bien que mal à travers les branches emmêlées, trébuchant
tous les mètres et se prenant les cheveux dans les branchages. Heero
lui avait ordonné d'aller. Il irait. S'il voulait vivre.
* * *
Ce fut seulement à une vingtaine de mètres qu’il se rendit compte
qu’il n’avait absolument rien entendu trahissant la présence de poursuivants,
mis à part le boucan qui retentissait à présent dans tout
le bois. A savoir des hurlements de terreur.
…Puis des cris de souffrance…
…Puis des râles d’agonie…
…Puis plus rien. Juste quelques gémissements sporadiques qui s'éteignirent
rapidement.
Duo commença à trembler, de froid et du choc autant que de crainte
pour son ami. Heero ne pouvait pas avoir été la cause de ces morts…
Il n'avait pas d'explosifs et Duo n'avait pas entendu d'explosion; Heero n'avait
pas d'arme donc était incapable de les tuer aussi rapidement; et les
bruits qu'ils avaient fait n'étaient pas ceux de personnes tuées
à mains nues. Il avait plusieurs fois reconnu distinctement le gargouillement
caractéristique d'un ventre ouvert se vidant de ses tripes. Quoi que
ce soit qui les ait tués, pourvu que Heero y ait échappé…
Car pour trucider de cette manière une douzaine de gardes entraînés…
Et pourvu que ça ne vienne pas vers lui…
Il entendit un bruissement de feuilles derrière lui et se retourna en
chancelant.
-Heero, tu vas b…
Le soldat effrayé qui fuyait la mort horrible qu’avaient rencontré
ses camarades avait l’air aussi surpris de le voir que Duo de découvrir
un étranger à la place de son ami. Il leva par réflexe
son fusil sur le pilote de Deathscythe, qui, en reculant venait de tomber sur
les fesses, et posa le doigt sur le gâchette.
Le rugissement de fauve les prit tous les deux à dépourvu. Le
soldat épouvanté se retourna seulement pour recevoir en pleine
poitrine quatre-vingt kilos de muscles, de poils brun sombre, et de crocs et
griffes acérés. Une balle partit du fusil pour effleurer l’épaule
du loup, mais celui-ci ne sembla même pas s’en apercevoir, et continua
avec encore plus d’ardeur à lui déchirer la gorge d’un bout à
l’autre, le secouant comme un chien secouerait un morceau de journal, se maculant
au passage, lui et les feuilles mortes qui couvraient le sol, d’un épais
liquide rouge.
Duo se terra contre un tronc d’arbre et se força à rester aussi
immobile que possible, espérant que le fauve se désintéresserait
de lui. Il s’entendit gémir quand il se demanda s’il avait fait subir
le même traitement à Heero… Celui qu’il allait LUI faire subir…
… Puis le loup brun releva la tête vers lui, pourléchant ses babines
teintées d'écarlates, et plongea dans les siennes ses froides
prunelles d’un bleu sombre, presque bleu de nuit.
* * *
Il n'avait même pas pris la peine de se dissimuler à la vue comme
il les attendait de pied ferme dans la clairière. La rage animale qui
l'envahissait ne lui laissait pas la place pour des pensées rationnelles
et les précautions d'usage. Il se sentait comme rempli d'une vague d'énergie,
à demi constituée d'adrénaline et à demi de colère
contre ces fous impudents qui osaient croire qu'ils étaient le chasseur.
Il ne savait plus qu'une seule chose, tandis qu'il se préparait à
la bataille, grondant d'anticipation. Ce n'était pas lui l'imprudent.
Il ne s'était jamais senti aussi bien.
Ils avaient fait irruption dans la clairière, flingues à la main,
prêts à tirer sur lui. Hurlant des choses qu'il n'arrivait pas
à comprendre.
Le monde avait ralenti.
Et il n'avait plus rien entendu que le sang qui battait dans ses tempes, violemment,
et plus rien ressenti qu'une douleur atroce, enveloppante, comme une explosion
de souffrance qui semblait vouloir s'évader de sa peau.
Ca avait été comme si l'un après l'autre, tous les os de
son corps s'étaient brisés, tous les muscles déchirés
méthodiquement. Il avait entendu ses nerfs et ses tendons grincer sous
la peau comme ils roulaient pour changer de place, ses vertèbres craquer,
ses dents grincer contre ses mâchoires, ses organes glisser les uns contre
les autres dans un bruit répugnant.
Puis, trente secondes ou un siècle plus tard, sa perception du monde
extérieur au monde de souffrance de son corps était revenue. Mais
changée.
Totalement changée.
Une seconde, comme les soldats qui l'avaient regardé se convulser d'impossible
manière sur le sol le fixaient encore, incapables de détacher
leurs regards horrifiés de ce qu'il était devenu, il leur avait
souri ; avant de foncer.
Oui, les loups peuvent sourire. Les humains appellent ça montrer les
crocs.
* * * * * *
/Encore un deux-pattes/
Le loup avança vers le jeune garçon immobile, tête basse,
indécis. Celui-là ne l'avait pas attaqué et ne fuyait pas,
il ne savait pas quoi faire. Et puis, autre chose le stoppait. Un souvenir,
vague…
/odeur connue… Bonne odeur…/ elle lui évoquait / Familiarité-camaraderie-confort…/
Comme /… la Meute/
Il le connaissait. Il savait qu'il le connaissait, d'une manière
ou d'une autre.
Le souvenir exact de ce qu'il était et de qui il était lui revint
en force à l'instant même où il plongea les yeux dans ceux
de l'autre pilote, ces yeux d'un bleu mauve si familiers.
' " dorénavant tu seras Heero Yuy", Gundam Wing, Odin Lowe… Les autres
pilotes…Trowa, Quatre, Wufei…'
'Duo Maxwell desu! Yoroshiku!…'
Le loup répondit instantanément.
/… protection./
Le loup-garou saisit l'américain par le col blanc de sa veste et le traîna
sur quelques mètres, le soulevant le plus qu'il le pouvait du sol pour
ne pas le laisser s'accrocher dans les branchages. Il le transporta comme un
vrai loup aurait transporté un chiot jusqu'à ce qu'il ait trouvé
un buisson qui lui plaisait pour une raison quelconque. Il déposa là
l'américain et se mit à creuser un trou sous les feuilles, une
cachette où ils seraient invisible depuis l'extérieur.
Duo se blottit dans le trou où le loup l’avait déposé et
le fixa avec des yeux immenses, toujours incrédule. Le fauve brun lui
dédia un regard totalement vide puis s’assit à côté
de lui. Ce faisant, le regard de Duo fut attiré par les petites touffes
de poils blancs disposées en une sorte d'arc de cercle sur son épaule
musclée, les traces qui trahissaient une cicatrice qui avait été
assez profonde pour détruire le pigment de la peau.
Duo haussa les épaules et s’endormit sans plus de façons, trop
épuisé pour se soucier de quoi que ce soit.
Le loup aux yeux cobalt le regarda frissonner dans son sommeil quelques minutes,
impénétrable, puis se roula en boule à côté
de lui avant d’enfouir son museau dans sa fourrure et de s’endormir lui aussi,
confiant en ses sens surdéveloppés pour le prévenir en
cas de danger. Le garçon se retourna vers sa chaleur et se blottit contre
son flanc, sans même se réveiller.
* * * * * *
Le lendemain, quand un rayon de soleil réveilla Duo, la première
et seule chose qu’il eut dans son champ de vision fut un beau morceau de peau
mate et lisse. Il fallut qu’il recule légèrement la tête
pour s’apercevoir que cette peau, c’était celle qui recouvrait le torse
nu et plat contre lequel il avait dormi.
Soudain écarlate, il se dégagea très lentement et avec
d’infinies précautions, du bras qui pesait sur ses épaules et
desserra légèrement sa prise sur le cou… de, comme il s’y attendait
plus ou moins, Heero Yuy, profondément endormi et (ce à quoi,
bêtement, il s’attendait moins) entièrement à poil. Pendant
de longues secondes, Duo laissa ses yeux incrédules errer sur la forme
mince et musclée étendue à ses côtés, notant
les cicatrices en arc de cercle sur son épaule et les cheveux ébouriffés
d’un brun sombre. D’autres cicatrices anciennes s’étalaient un peu partout,
mais de toutes les blessures plus récentes, celles qu'il avait récoltées
après la morsure, pas une trace.
Duo rougit comme ses yeux, menés par une longue cicatrice blanche sur
son ventre, se dirigeaient vers une certaine partie de l’anatomie de son camarade,
et redirigea prudemment son regard vers son visage.
Il était… Beau… Détendu, calme… presque pacifique.
Jusque au moment où, lentement, des paupières aux longs cils sombres
s’ouvrirent sur des yeux d’un bleu glacé.
-Heu… Hum… Euh… S-salut ?
Regard vide. Duo ne put s'empêcher de sortir une plaisanterie qu'il regretta
tout de suite.
-Heero, je te rassure tout de suite, j’en ai pas profité.
Regard froid. Heero se dégagea des bras que Duo, à sa grande confusion,
avait toujours autour de son cou, et se releva, faisant un rapide tour d’horizon,
tous ses sens en éveil.
Duo vira au pourpre-mauve-je-fais-le-poirier-depuis-trois-heures et détourna
vivement les yeux, qui étaient juste pile poil à la hauteur du
cul de son camarade. Heero lui jeta un drôle de regard dubitatif, comme
s’il savait à quoi Duo pensait, et celui-ci se troubla encore plus, tout
à fait prêt à croire qu’en plus d’être garou, il était
télépathe.
-Je ne suis pas télépathe.
-Gwah ?!
Heero haussa les épaules.
-Ton odeur change en fonction de ton état d'esprit.
-Ah bon ? Aaaaaaah… Je comprends tout, déclara Duo, qui en fait
ne comprenait presque rien, avec un grand sourire nerveux, pour détourner
l’attention.
Heero se retourna vers lui, main sur la hanche.
-Hormones. Si tu vas mieux, debout.
Duo grimaça. Il n’avait pas tant changé que ça au final…
Devenir un loup-garou ne l'avait pas le moins du monde…
Loup-garou?
L'énormité de tout ce qui s'était passé pendant
la nuit le frappa soudain et il perdit connaissance.
Heero haussa les épaules et le laissa là le temps d'aller retrouver
son holster et voler des vêtements aux soldats qu'il avait tués
la veille. Même si ça ne l'aurait pas tellement dérangé
personnellement, il ne tenait pas à attirer l'attention en se baladant
à poil; il tenait encore moins à partir sans la disquette qu'ils
étaient venus chercher. Manquait plus qu'ils aient fait tout ça
pour rien, tiens.