(Douze jours après l'introduction)
Le Gundam pilot aux yeux cobalt descendit de sa nouvelle moto, qu'il avait "empruntée"
la veille, et la poussa jusqu'à la porte du garage, grimaçant
sous l'effort que l'action imposait à ses muscles encore partiellement
abîmés.
Yuy testa encore une fois l'état de son épaule par une série
de rotations prudentes, puis, avec un reniflement agacé devant son manque
de coopération, frappa à la porte selon le code préétabli
avec ses coéquipiers. Un fracas d'éléphant déboulant
dans un magasin de porcelaine le prévint que le baka à la natte
avait entendu et s'apprêtait à ouvrir. Il recula prudemment d'un
pas.
Bien lui en prit.
Duo Maxwell jaillit de la maison comme un diable de sa boîte, un grand
sourire aux lèvres.
-Hee-man!!! T'es en retard ou je rêve?! s'exclama-t-il, une lueur malicieuse
dans ses yeux violets.
-Hn, souffla Heero pour seule réponse.
Il était ennuyé d'être pris en faute… Par lui, d'entre tous.
Oh, pour une fois qu'il avait deux minutes de retard sur l'horaire qu'il avait
fixé… ce n'était pas de sa faute si son épaule lui rendait
certaines choses difficiles.
Comme il ne semblait pas disposé à le faire lui-même, Duo
le saisit par le bras et le tira vivement à l'intérieur de la
maison.
Il avait déjà assez souvent ennuyé suffisamment le pilote
de Wing pour que celui-ci finisse par se mettre en colère, mais pour
ce qu'il avait fait, il ne s'attendait pas à cette réaction. Avant
qu'il ait compris ce qui se passait, un claquement sec avait retenti. Incrédule,
il regarda Heero pâlir et crisper la main sur son bras, sa propre main
montant lentement vers sa joue imprimée d'une belle empreinte rouge qui
devait, pour peu qu'on regarde de près, montrer même les empreintes
digitales.
-Baka!!! lui jeta le pilote brun d'une voix qui traduisait moins l'énervement
que…qu'une tentative de masquer sa douleur? mais même s'il avait eu une
jambe arrachée, il n'aurait pas changé d'expression… Duo le savait
bien, il avait été là après tout quand l'autre avait
remis en place sa propre jambe sans froncer un sourcil!
Des taches rouges et humides apparurent et s'agrandirent lentement sur la manche
du t-shirt. Le petit blond qui souriait à Heero depuis le salon la seconde
d'avant changea soudainement d'expression et se releva d'un bond de son fauteuil.
-Heero! Tu es blessé? s'exclama Quatre en avançant vivement vers
lui, inquiet.
Trowa et Wufei se redressèrent dans leurs sièges et le dévisagèrent
d'un regard inquisiteur. Le pilote japonais haussa l'épaule qui ne le
faisait pas souffrir pour leur faire comprendre toute l'insignifiance du problème.
-Rien de grave, lâcha-t-il à regret quand il se rendit compte que
Quatre n'allait pas lâcher son regard avant d'être rassuré.
Mince, c'était agaçant, Quatre était une vraie mère
poule!! S'il y avait eu un problème, il l'aurait dit, non? … Okay, peut-être
pas.
Il se rendit compte qu'il laissait percer son énervement et se réprimanda,
il n'était pas censé avoir d'émotions de ce genre. Les
émotions étaient une faiblesse; montrer ses émotions donnait
un levier à l'adversaire. Devant Quatre ce n'était pas si grave,
ils étaient alliés; mais il ne devait pas laisser son entraînement
avoir été en vain, il lui avait trop coûté pour ça.
-OZ? s'enquit Trowa en fronçant le sourcil qu'on pouvait voir.
-Même pas. Une bête dans un bois.
Heero déposa son sac et s'assit sur le bras d'un fauteuil pour examiner
son bandage. Comme on pouvait en juger par la largeur des taches de sang, Duo
avait rouvert la plaie.
-Oups, désolé, murmura le pilote de DeathScythe d'un air penaud.
Je savais pas…
Heero lui jeta un regard vide puis retourna à sa blessure. Bah! la plaie
était si mal située qui lui-même l'avait déjà
rouverte trois fois avec le moindre des mouvements. Et puis avec une brute comme
Duo, il fallait s'y attendre.
-Une bête? le relança Wufei en fronçant les sourcils, incrédule.
Pour un simple animal, arriver à blesser le terrible terroriste Heero
Yuy… Un grizzly furieux peut-être? pensa-t-il avec l'ombre d'un début
de sourire.
-Une sorte de loup.
Trowa secoua la tête sans quitter Heero de l'œil.
-Ca fait des siècles que les loups ne sont plus en liberté. C'est
une espèce pratiquement éteinte.
-Je sais, répondit Heero. Il a pu se sauver.
-Tu as bien dit "une sorte?" s'enquit Duo, qui savait mieux que personne que
jamais son coéquipier ne prononçait un mot de plus que ce qu'il
voulait dire.
-Griffes trop fortes, trop tranchantes et trop proéminentes. Trop grand
pour un loup normal. Un mètre au garrot pour trois de long environ. Quatre-vingts
kilos au bas mot. Bardé de muscles…
Heero releva la tête pour faire le tour de ses coéquipiers d'un
coup d'œil.
-…Et bien trop intelligent.
- Qu'entends-tu par là?
-Il faisait des mots croisés? Il t'a posé un problème de
physique que tu n'as pas su résoudre? Là, ça serait un
super signe d'intelligence extraterrestre…
Heero foudroya le crétin à la natte de son fameux regard-qui-tue™
avant de retourner à de plus sérieux problèmes.
-Il savait ce qu'était un revolver.
-Tu lui as demandé?
-Duooo…
-Bon d'accord je me tais… Mais j'ai le droit de demander, non… Quoi c'est vrai,
si je demandais pas tout le temps, tu dirais jamais rien! Et puis de toute façon…
L'américain s'écarta d'un bond comme la main du japonais se levait
lentement vers son revolver, et se plaça du côté de son
bras blessé, espérant que ses réflexes seraient moins dangereux
de ce côté. Heero revint à ses moutons… ou plutôt
à son loup.
-Il se mettait volontairement hors de la ligne de mire. Et il a esquivé
en roulant sur le côté.
Trowa se redressa sur le bras du fauteuil sur lequel il s'était perché
et fixa le plafond, pensif. En tant que spécialiste ès animaux,
il savait que c'était à lui que Heero demandait implicitement
son avis en ce moment.
-Il faut un entraînement très sévère pour arriver
à faire réagir un canidé comme ça… Et d'après
ses caractéristiques physiques…
- J'avais pensé à un nouveau type de chiens d'attaque. Modifiés
génétiquement ou peut-être seulement par sélection.
-Mmm… murmura Quatre. Oui, c'est plausible. La question est de savoir pourquoi
il s'en est pris à toi. Je ne vois que deux solutions: on le lui a ordonné,
ou il l'a décidé lui-même. Si on le lui a ordonné…
Eh bien, soit c'était une mesure générale, soit tu étais
personnellement visé. Il faut fouiller cette piste, ne serait-ce que
par précaution.
-Comment ça le décider de lui-même? C'était qu'un
animal, pourquoi il aurait décidé qu'il pouvait pas se blairer
Heero? C'est pas comme s'il avait eu à le supporter…
Heero se demanda une seconde s'il ne rêvait pas. DUO trouvait qu'IL était
difficile à supporter?! Quand était-il passé dans la quatrième
dimension?
-Quand un chien est dressé à tuer, répondit Trowa, il a
du mal à en perdre l'habitude. Si on lui a appris à attaquer les
gens, il a tout simplement suivi ce que lui ordonnait son conditionnement.
C'était logique… Alors pourquoi est-ce que Heero avait l'impression que
quelque chose ne collait pas?
-Bon, je demanderai une enquête sur ce problème. Pour l'instant…
Ta chambre est au fond du couloir, tu devrais aller poser tes affaires.
Comme il obtempérait, Quatre s'offrit à lui refaire son bandage.
Il accepta d'un haussement d'épaule. C'était plus pratique que
de le refaire soi-même.
Et comme ils ne le laisseraient pas tranquille tant que ses pansements n'auraient
pas été changés, il préférait encore ne pas
laisser à Duo l'occasion de se proposer. Il était dangereux avec
des ciseaux à bandages et une bouteille de mercurochrome en main.
* * *
Une fois que le jeune Arabe aux cheveux d'or l'eût laissé seul,
Heero se laissa tomber sur son lit. Le voyage l'avait plus fatigué que
ce qu'il aurait cru, remarqua-t-il. Sa résistance était assez
basse ces temps-ci… Et ses anticorps aussi, ajouta-t-il après une série
d'éternuements et de nez qui coule particulièrement tenaces. Il
couvait peut-être quelque chose…
Il ferma les yeux, essayant de se relaxer.
Comme à chaque fois qu'il baissait les paupières depuis une semaine,
deux yeux d'un vert presque fluorescent le fixèrent aussitôt, flottant
au milieu d'une fourrure noire dense et longue qui lui faisait presque une crinière.
Le pelage du loup était si fourni, et pourtant il ne masquait rien des
faisceaux de muscles durs comme des cordes d'acier qui parcouraient son corps…
Il se rejoua encore une fois l'attaque au ralenti. Pas un seul son ne l'avait
prévenu de l'attaque, pas un bruissement de feuilles, rien. A croire
que le loup n'avait pas de solidité avant de se matérialiser dans
son dos, comme un fantôme.
Et ce regard brûlant qui fouillait ses propres yeux, comme une flamme
émeraude…
Et le sang rouge sur ses crocs blancs étincelants de salive… Son sang…
Il se remémora le vide soudain apparu dans les yeux de la bête
comme il venait de pousser la gâchette. La flamme vindicative devenant
doucement une étincelle puis un brandon, avant de s'éteindre…
Hypnotisé, il n'avait pensé à essayer de se dégager
qu'une fois que toute lueur de vie eût disparu des prunelles d'émeraude.
Le corps noir paraissait encore plus imposant étalé de tout son
long sur le sol qu'il ne l'avait semblé alors qu'il se ramassait pour
bondir sur lui. La fourrure si sombre s'assombrissait encore contre l'herbe
couverte de sang et de débris d'os et de cervelle.
Heero fixa cette image dans son esprit pour mieux l'examiner pouce par pouce.
Il sentait qu'il était sur le point d'arriver à mettre le doigt
sur ce qui le dérangeait…
-Hey, Hee-man! On mange, ramène-toi! s'exclama Duo en faisant irruption
dans sa chambre.
-Pas faim, grogna Heero en se retournant sur le ventre pour ne pas le voir.
K'so, cet imbécile l'avait interrompu juste au moment où…
Duo saisit le bout de sa natte et s'en chatouilla la main d'un air pensif en
le regardant. D'habitude, Heero se fichait pas mal d'avoir faim ou pas, il mangeait
par habitude, pour entretenir son corps. D'ailleurs il pouvait avaler n'importe
quoi tant que c'était comestible, sans jamais s'intéresser au
goût. Le pilote à la natte n'aurait pas cru qu'il puisse laisser
ses humeurs influer sur son comportement…
A vrai dire, il n'aurait pas cru que mis à part l'humeur homicide, il
en avait, des humeurs… Autant parler des humeurs d'un iceberg.
-Heero, allez, on a commandé trois pizzas, on les finira jamais si tu
manges pas ta part…
Il posa une main sur son épaule, prenant soin à choisir celle
qui n'était pas blessée. Mais se fit quand même envoyer
paître. Une claque sèche repoussa sa main.
/ MON espace personnel! MA chambre! Chez MOI!/
-Sors_de_ma_chambre, scanda l'asiatique avec un intervalle inquiétant
entre chaque mot. Vite.
-Mais, Heero… protesta faiblement Duo en se frottant la main, pris par surprise
par l'intensité de la voix normalement si froide.
-C'est MA chambre et je ne te veux PAS dedans, OK?
Duo laissa tomber. Heero était déjà dangereux à
agacer en temps normal, mais quand il avait déjà l'air si énervé
alors qu'il ne lui avait encore rien fait…
-OK, man, ronchonna-t-il, quand tu seras de meilleur poil tu nous préviendras...
* * *
Duo rejoignit ses amis en soupirant. Qu'avait donc le pilote d'ordinaire si
impassible pour être énervé à ce point? Il avait
cru que seul l'échec d'une mission pouvait provoquer ce genre de… sensibilité
chez le "soldat parfait"… Ce n'était pas marrant, il n'avait même
pas commencé à l'enquiquiner...
-Heero ne vient pas? demanda Quatre, troublé.
-Nan, y dit qu'il a pas faim... J'sais pas ce qu'il a...
-Il en a peut-être seulement assez de toi, Maxwell, répliqua froidement
Wufei, bras croisés sur son torse.
-Mais je lui avais encore rien fait! Juré quoi, j'ai même pas commencé
à l'enquiquiner…
-Il a dû décider qu'il ne voulait pas que tu commence...
Duo fit une grimace, qui se changea bien vite en son grand sourire coutumier.
-Je crois que je vais devoir me contenter de ta compagnie, mon petit Wu-man...
Le regard encore plus noir que la normale que lui lança le chinois le
consola presque entièrement de ne pas pouvoir tester ses instincts de
survie avec Heero.
Après ça, la soirée se déroula plutôt normalement.
Ce n'était après tout pas comme si le japonais participait tant
que ça à leur vie sociale de toute façon.
* * *
Quatre Raberba Winner faisait relativement souvent des cauchemars, étant
donnés sa vie plutôt anormale pour un jeune de son âge, l'incertitude
des batailles, ses problèmes familiaux, sa manie de s'inquiéter
pour tout le monde, et surtout son don, sorte d'empathie, son 'Uchuu no Kokoro'.
Mais des comme ça, plus que rarement.
Si c'était régulier, il y aurait laissé sa santé
mentale depuis longtemps.
Il était dans un bois, et il faisait noir, tellement noir… Une brume
épaisse obscurcissait tout, brouillait ses repères. Il sentait
qu'on le regardait, de toutes parts. Mais il ne parvenait pas à savoir
qui, combien, et d'où…
Les bois semblaient infinis, inextricables, les rares sentiers se terminaient
au beau milieu de nulle part après avoir tourné à gauche
et à droite de manière totalement illogique…
Mais le pire, ce n'était pas cette sensation de désorientation
totale, comme s'il était entré dans un monde totalement illogique
dont il ne connaissait pas les règles, ni les sensations physiques, le
froid sibérien, les branches cinglantes, ni ces présences qui
ne se révélaient pas, c'était l'atmosphère. Ce qui
émanait de ces bois, des êtres dans le bois.
De la faim, de la colère, de la haine… De l'amusement à le regarder
avancer en trébuchant sur les racines, en se prenant dans les branches
qui semblaient vouloir l'arrêter… Tellement d'amusement… Et une cruauté
primale, animale…
C'étaient les émotions d'un prédateur en chasse.
Et la révélation lui vint d'un coup…
La proie, c'était lui.
Jamais il ne vit son poursuivant, seulement les points brillants de ses prunelles
froides dans les profondeurs des bois. Mais il l'entendait derrière lui.
Il savait qu'il le faisait exprès. Pour jouer un peu avant de le tuer.
Il courut des heures durant, priant et suppliant l'être qui le suivait
de le laisser, de l'épargner, mais il savait qu'il se rapprochait lentement,
amusé de ses vaines tentatives.
Finalement, il se retrouva bloqué. Devant lui, un lac sombre et sans
fond. Et le Quatre du rêve ne savait pas nager; ou ne pouvait pas, effrayé
par ce qui gisait sous la surface de l'eau. Plus nulle part où aller…
Il fit volte-face, essayant de voir son assaillant…
Son épaule était prise dans les mâchoires de la bête
et elle le secouait. Il hurla, ne pouvant plus rien faire d'autre
et se réveilla en sursaut, une main sur son épaule qui le secouait,
toujours hurlant. Aussitôt qu'il eut réalisé qu'il venait
de se réveiller d'un cauchemar, il se tut, et se retourna vers celui
qui l'avait réveillé.
Trowa était assis au bord de son lit et le regardait en silence, du souci
pour lui sur le visage.
-Daijobu ka, chibi boku? demanda-t-il à voix basse, bizarrement plus
à l'aise pour demander ça en japonais.
Trowa n'était pas japonais pourtant, mais certains des mercenaires qui
l'avaient élevé l'étaient et il trouvait plus facile de
poser cette question dans cette langue-là. Elle semblait moins personnelle
que de la poser dans la langue qu'ils utilisaient autrement.
-Oui, ça va mieux, merci Trowa, répondit l'arabe aux cheveux blonds.
C'était juste un drôle de cauchemar… Tu sais, le genre où
quelque chose nous poursuit et où on ne peut jamais courir assez…
Trowa hocha la tête une fois, brièvement. Il connaissait ce genre
de rêve.
-Je n'ai pas crié trop fort? s'inquiéta Quatre. Je ne veux pas
réveiller les autres…
-Non. J'étais déjà réveillé avant, c'est
tout.
-Oh… Désolé de t'avoir dérangé. Je vais bien maintenant.
Merci Trowa…
Après un autre rapide inspection des pieds à la tête, Trowa
fut enfin convaincu que son ami était très bien et quitta la pièce.
Quatre se laissa retomber en arrière sur les oreillers et posa un avant-bras
en travers de ses yeux.
-… très bien… sauf qu'il est hors de question de me rendormir, maintenant…
Allah, quelle intensité…