Heero remonta son sac à dos sur ses épaules et se laissa prudemment
glisser sur la pente raide et boueuse du petit coteau. Il dérapa plusieurs
fois mais réussit à ne pas finir la descente sur les fesse, et
recommença à se frayer hardiment un passage entre les branches.
La moto qui devait le conduire à son refuge était tombée
en panne il y avait une petite heure et il avait décidé que puisqu'il
ne pouvait pas la réparer, il en serait quitte pour rejoindre la cachette
à pied… Comme la route était un chemin beaucoup trop long, il
s'était résolu à couper par les bois.
Le crépuscule était tombé il y avait peu et il hésitait
à se servir de la lampe torche dans son sac pour éclairer son
chemin, craignant un peu d'attirer l'attention d'un hypothétique observateur,
quand il se figea soudain. Il n'avait rien vu, rien entendu… Pourtant…
Son instinct de survie lui hurlait que quelqu'un le regardait, quelqu'un de
proche et qui n'avait pas de bonnes intentions à son égard.
Il porta la main au holster dans le bas de son dos qui contenait son revolver
tout en fouillant les buissons alentours du regard, à l'affût du
moindre mouvement suspect, tous ses sens en éveil.
Comme de bien entendu, l'attaque vint de derrière lui.
Pas un seul froissement de feuilles ne le prévint. Rudement heurté
dans le dos, il perdit l'équilibre et s'étala au sol, le choc
lui coupant le souffle. Il ne perdit pas de temps à tenter de le retrouver
et se releva d'une roulade sur le côté, son flingue pointé
immédiatement vers son assaillant, prêt à tirer.
Les yeux scintillants de la bête plongèrent dans les siens quelques
secondes. Ses crocs blancs se dévoilèrent lentement, comme les
babines se plissaient très progressivement, un grondement sourd montant
des profondeurs de sa gorge.
Quand le jeune terroriste appuya sur la gâchette, le loup n'était
plus sur la trajectoire de la balle. Il avait roulé sur le côté
et s'était relevé d'un coup de reins. Il bondit vers la gorge
découverte du pilote, crocs sortis jusqu'aux gencives.
Empêtré dans son sac, le garçon n'eut pas le temps de changer
la direction de son canon. Il remonta l'épaule par réflexe pour
protéger son cou, et serra les dents comme les crocs de la bête
s'y enfonçaient avec violence. De l'autre main, il plaqua la bouche du
revolver sur le crâne du monstre écumant, entre les deux yeux,
et tira plusieurs fois.
Il fallut qu'il se serve du canon de son arme comme d'un levier pour arriver
à desserrer les dents du cadavre, toujours plantées profondément
dans son épaule. Heureusement, il avait réussi à tirer
très vite, avant qu'il ait eu le temps de serrer davantage… Avec la puissance
que cet animal avait dans les mâchoires, il était plus que vraisemblable
qu'il aurait réussi à lui trancher le bras.
Il se releva, mâchoire crispée, et examina la plaie. Aucune artère
n'était tranchée et aucun muscle n'était sérieusement
abîmé, mais ce bras allait rester handicapé quelque temps…
Heero déchira son t-shirt déjà en lambeaux et commença
à se bander le bras, espérant stopper l'écoulement de sang
en vitesse s'il voulait éviter de perdre connaissance.
Tout en se soignant, il examina minutieusement le cadavre du loup noir qui l'avait
ainsi attaqué, le gravant dans sa mémoire presque photographique.
Et se rendit compte qu'il présentait là de légères
particularités plutôt… Particulières.
Il ne connaissait pas grand chose aux animaux, mais… Jamais il n'avait entendu
parler d'un canidé de cette taille, sauf le saint-bernard, et encore.
Si la bête avait accepté de rester debout à côté
de Heero sans essayer de l'égorger, (ce qui était peu probable,
mais bon) celui-ci aurait pu voir qu'elle atteignait au garrot la hauteur de
sa taille, largement. Et, étalé de tout son long, elle devait
bien faire largement trois mètres du bout du museau au bout de la queue.
Mentalement, Heero mit à profit sa mémoire eidétique et
se repassa l'attaque.
Oui, le loup avait bel et bien esquivé la balle en roulant sur le côté.
Ce qui lui apprenait deux choses. D'abord, qu'il savait ce qu'était un
revolver et les dégâts qu'il pouvait causer. Ensuite, qu'il venait
d'inventer une manœuvre d'esquive jusque là inédite dans le monde
animal.
Il chercha, tout en se remettant en route, mais il eut beau retourner le problème
dans tous les sens, il ne trouva qu'une seule réponse logique et rationnelle:
un savant quelconque, peut-être d'OZ mais rien n'était moins sûr,
avait créé une nouvelle race plus forte et plus intelligente de
chien d'attaque. Celui-ci avait probablement été lâché
dans la région, peut-être même spécialement pour l'attaquer
lui. Il suffisait de quelque chose portant son odeur…
"Tu vires parano", lui répliqua doucement dans sa tête une voix
moqueuse qui avait de furieuses ressemblances avec celle d'un baka natté
de sa connaissance.
D'accord, il avait aussi bien pu foutre le camp de son chenil tout seul comme
un grand et décider de s'entraîner sur cible mobile au lieu de
mannequins de paille…
Mais la parano, il lui devait déjà plusieurs fois sa vie.
Redoublant de vigilance, Heero accéléra le pas.
* * * *
Enfin, il rejoignit la cabane qui lui servirait de planque. Il en fit le tour
arme au poing, s'assurant qu'aucune mauvaise surprise ne l'attendait. S'autorisant
un soupir de soulagement, il déposa son sac à dos au pied du lit
et se dirigea vers l'armoire à pharmacie à la recherche de quelque
chose pour désinfecter sa plaie, se forçant pour ne pas tout simplement
se laisser tomber sur le lit et s'endormir sur le champ. Il s'autorisa à
voir qu'il était épuisé. Bien plus qu'il n'aurait dû.
Et il avait de la fièvre, se rendit-il compte.
Bah, il avait dû attraper un rhume dans cette forêt humide, voilà
tout. Bizarre quand on connaissait sa résistance à toute épreuve
à la maladie, mais… La possibilité existait toujours. Il se fit
une piqûre antirabique, au cas où.
Tout en maintenant un bout de coton imbibé de Mercurochrome sur la série
de jolis trous qui parcourait son épaule, il brancha et alluma son ordinateur
portable. Pas de messages. Il envoya un mail pour prévenir qui de droit
qu'il était arrivé à la cachette, avec un peu de retard
certes, fit un résumé de sa mission, puis refit un bandage correct
à son épaule et alla enfin se coucher, soulagé sans vouloir
se l'avouer de pouvoir enfin laisser place à cette léthargie qui
l'envahissait.
Il avait devant lui quelques jours de remise en forme avant que le docteur J
ne juge que le retentissement de sa dernière mission s'était suffisamment
apaisé pour qu'il refasse surface.