Ils campèrent le soir dans une clairière, Fenris et elle.
-Tu tiens réellement à m'accompagner? Tu n'es pas obligé
Moi, je ne t'oblige pas.
-Je n'ai pas le choix. Ma vie est à toi. J'ai déjà vécu
bien plus que je n'aurais vécu si tu n'avais pas été là;
je te protègerai comme je pourrai. En mourant s'il le faut.
Elle sentit son cur se serrer. Elle n'avait jamais demandé à
ce que quelqu'un lui doive sa vie de cette manière. Elle n'avait jamais
demandé à avoir un esclave.
-Mais je ne
-Ta volonté n'y changera rien, je dois te protéger avant de t'obéir,
la coupa-t-il. C'est la loi du clan.
Il avait fait un énorme effort pour parler aussi longtemps de ça,
mais il lui devait des explications, si elle était vraiment aussi ignorante
de leurs coutumes qu'il l'avait compris.
-Tu viens vraiment du monde des humains?
-Oui
murmura-t-elle, pensive.
-Tu y retournes? Alors je te suis.
-Mais
Et ta famille? Tes parents, ton clan? Tu vas les laisser comme ça?
-Ils connaissent la loi.
Il ramena ses genoux sous son menton, et ferma ses yeux si verts, signifiant
par là que la discussion était close. Alizea le regarda quelques
instants, ne sachant comment se comporter avec lui. Elle avait du mal à
saisir sa façon de penser
Mais elle y vit un peu plus clair en
comprenant que la valeur fondamentale sur laquelle sa race fondait sa vie était
la fierté de ce qu'ils étaient, fierté sans faille qui
entraînait leur sens de l'honneur et leur refus de fréquenter d'autres
races, ainsi que leur fidélité absolue à leur parole. Elle
s'était trouvée un allié sûr, pa
Gabriel avait
raison, mais elle regrettait que Fenris se sente ainsi forcé de lui obéir.
Il ne ferait jamais rien pour se libérer de cette contrainte, mais ne
verrait jamais autrement leur relation non plus. Dommage qu'il ne semble pas
vouloir de son amitié. En fait, fier comme il l'était, il risquerait
sans doute de croire qu'elle voulait être son amie par pitié pour
lui, pour adoucir un peu leur relation
Il suffirait sans doute de laisser faire le temps. Il finirait bien par voir
qu'elle était sincère.
Elle se roula en boule dans sa couverture et s'endormit.
Le lendemain, ils se remirent en route à l'aube. Ils avaient quitté
la forêt et cheminaient entre des collines doucement vallonnées
où se dressaient des bosquets d'arbres bleus, aux feuilles rondes, et
des buissons touffus, de couleur rousse et jaune. Alizea avait l'impression
de se trouver dans le tableau d'un peintre fantastique.
Fenris la guidait d'un instinct infaillible, sans jamais dévier de sa
route. Il avait l'air méfiant, plus que sur le chemin de l'aller, en
tout cas.
- Qu'est-ce qui se passe, Fenris? Tu n'as pas l'air à l'aise
-Nous sommes à découvert, répondit-il d'un ton sec, comme
à son habitude. On a dû se faire repérer, ou alors ça
ne va plus tarder. Et les habitants de ces terres sont ennemis jurés
de mon peuple.
-Quelle race habitue ici? demanda-t-elle.
-Des licornes
-Pourquoi ils vous détestent?
C'était très désagréable d'avoir à lui arracher
chacune des réponses aux questions qu'elle se posait. Mais elle aurait
presque préféré que cette fois, il ne cède pas devant
sa curiosité.
-On les mange, déclara-t-il en se tournant vers elle. Ce ne sont que
des sales canassons.
-Mais c'est une race intelligente!! s'exclama-t-elle, stupéfaite et horrifiée.
-S'ils étaient aussi intelligents, objecta-t-il en se penchant au-dessus
d'elle, ils ne s'attaqueraient pas à nous pour leurs rites de passage
à l'âge adulte. Ils nous tuent, on les tue. Ce serait bête
de laisser perdre toute cette viande.
Elle allait insister quand Fenris se ramassa soudain sur ses jarrets et se prépara
à bondir, grondant de rage et découvrant ses longs crocs blancs
jusqu'aux gencives.
Une licorne venait de surgir d'un bosquet et se précipitait sur eux à
toute allure, chargeant le loup, sa corne en avant. Le garou saisit Alizea par
le bras et la fit passer derrière lui si brutalement qu'elle en décolla
du sol et atterrit à genoux. Il bondit au passage sur le dos de la licorne
et s'accrocha à la crinière, plantant profondément ses
griffes dans son dos, faisant couler le sang. Celle-ci pila brusquement et tenta
de le désarçonner en ruant et en effectuant des sauts de mouton,
mais le garou était fermement agrippé et réussit à
se maintenir sur le dos de l'équidé dont la robe dorée
se souillait de rouge.
C'est alors qu'Alizea le reconnut. C'était Askerian.
Elle leur hurla d'arrêter, mais elle savait qu'il s'agissait là
d'un duel à mort. Elle ne les stopperait pas en criant.
Soudain, Askerian se dressa sur ses postérieurs, se cabrant de toute
sa hauteur. Fenris l'avait mordu à la nuque, et resserrait lentement
les mâchoires pour atteindre la colonne. Il aurait mieux fait de le lâcher
Askerian se dressait de plus en plus haut, et Alizea saisit brusquement ce qu'il
voulait faire.
Il atteignit soudain la verticale. Fenris, comprenant enfin, tenta de se dégager,
mais il s'était emmêlé dans les longs crins blancs.
Askerian se laissa tomber à la renverse sur le dos, écrasant le
garou sous ses cinq cent kilos
La licorne roula sur le côté et se releva d'un coup de reins. Le
loup gisait à terre, assommé, mais par une chance inouïe,
il était décalé sur le côté quand Askerian
s'était écrasé au sol, il ne l'avait encaissé que
sur le côté et pas de plein fouet
Il reprit conscience presque
aussitôt, et roula sur le ventre, grognant furieusement, secouant la tête
pour éclaircir sa vue, une patte à la traîne. Il s'accroupit
prêt à bondir en face de la licorne ensanglantée qui piaffait
en face de lui. Tous les deux se préparèrent, Askerian à
clouer le garou au sol, et Fenris à l'égorger quand il passerait
à sa portée.
Alizea se rappela brusquement la technique qu'elle avait employée pour
séparer Ashram et Reiyel. Elle dressa autour d'eux deux barrières
de protection le plus vite qu'elle put. Askerian, qui chargeait à ce
moment, se la prit de plein fouet, et ses jarrets fléchirent sous le
choc inattendu.
-Fenris, Askerian, ça suffit!!! Si l'un de vous tue l'autre, j'achèverai
le survivant, OK?! Je vous interdis de vous battre!! T'entends, Fenris, c'est
un ordre!! Quand à toi Kerry, si jamais tu te calmes pas tout de suite,
j'te détesterai jusqu'à ma mort!!
Ils détournèrent lentement les yeux l'un de l'autre et la dévisagèrent
longuement, également stupéfaits.
-Alors, tu retournes déjà dans ton monde? Décidément,
je ne peux te voir qu'entre deux passages
Tu vas revenir ensuite?
-Je ne sais pas, peut-être
Mais pas avant un certain temps. Comme
je te l'ai dit, je dois d'abord retrouver les êtres qui se sont enfuis
-Tu as bien dit que tu avais le droit de recruter de l'aide, non? J'aimerais
bien connaître le monde des humains
Et puis je voudrais rester avec
toi. Tu sais, je crois que j'ai vraiment flashé sur toi l'autre fois
Tu m'as manqué
ajouta-t-il avec un petit sourire coquin.
Comme d'habitude, il y allait cash. Elle rougit comme une pivoine. Mais qu'est-ce
qu'elle avait de si spécial, pour ce monde? Elle n'avait pas l'habitude
d'être le centre d'intérêt de tous les mâles du coin
-Je ne suis pas sûre que tu puisses venir, tu sais Askerian
D'abord,
tu te souviens du démon dont je t'ai parlé? Il est là-bas,
chez moi. Il
On est ensemble.
-C'est pas grave, répondit-il avec un grand sourire moqueur, j'arriverai
bien à te séduire un de ces jours! Et puis, pour autant que je
puisse le sentir, t'es toujours vierge
ajouta-t-il en tirant un bout de
langue d'un air effronté.
-Kerry!! s'exclama-t-elle en rougissant. C'est pas vrai, t'as pas changé!!
Et puis, Fenris est obligé de venir à cause de la loi de son peuple,
et je ne pense pas que vous arriveriez à vous entendre, toi et lui
-Dis-moi plutôt clairement que tu ne veux pas de moi!! s'exclama-t-il,
blessé.
-Mais j'ai pas dit ça!! se récria-t-elle. Je serais contente que
tu viennes, mais comme mon ami, pas comme rival de mon mec et ennemi de mon
protecteur! Je t'aime bien, Askerian, c'est vrai, mais je tiens aux autres aussi!!
-Tu ne sais pas quels êtres tu vas devoir affronter, lui dit-il très
sérieusement, et un sale clebs, un démon et un centaure aussi
bizarre que l'aut' Drao ne suffiront peut-être pas à t'aider. C'est
trop dangereux pour que tu te permettes de refuser de l'aide.
-Oui
Tu as raison. Mais
ton clan?
A sa grande surprise, il se mit à rougir et baissa la tête, gêné.
-Heu. Je pense pas que ce sera un problème
en fait je pense que
ce serait mieux si je me faisais oublier un peu.
-Quoi? Ok, qu'est-ce que tu as fait encore? soupira-t-elle.
-Beeeeeeeeeeeen
-Askerian.
-Me suis fait pincer à draguer une des juments de l'étalon.
-Je rêve. T'es intenable!!
-Aussi irrésistible sois-tu, Alizea, je ne suis pas assez noble et résistant
pour pouvoir renoncer aux plaisirs de la chair pendant les six mois qu'il t'a
fallu pour revenir
Aie!
Ils rirent un peu tous les deux.
-Enfin bref, de toute façon, je suis dans la troupe des Yearlings, pas
dans la bande centrale
-Quoi? Moi pas compris, répliqua Alizea en faisant la grimace.
-Les licornes vivent en troupeaux. Plusieurs troupeaux. Y a le troupeau central,
avec l'étalon dominant, et ses juments, et les poulains, et des petites
bandes de yearlings et d'étalons subalternes qui orbitent autour, comme
une patrouille permanente si tu veux. Quand il y a des menaces pour les juments
et poulains, ils aident à défendre et dans ces cas obéissent
à l'Etalon, mais la plupart du temps ils font un peu ce qu'ils veulent.
Donc j'ai le droit de me balader si j'ai envie.
-Ok, je vois.
D'accord, tu peux venir. Mais je compte sur toi pour ne
pas faire de bêtises
Et je veux ta parole que tu m'obéiras!
Je ne peux pas me permettre de laisser un type aussi tordu que toi divaguer
dans mon monde! rit-elle.
-Parole d'honneur, mon ange!! éclata-t-il de rire.
Fenris serrait les dents, mais il ne dit rien, comme à son habitude.
Elle eut peur de l'avoir blessé et se dirigea vers lui pour poser la
main sur son épaule.
-Fenris, je suis désolée mais il a raison, j'ai besoin d'autant
d'aide que je pourrai en rassembler
Tu verras, vous finirez par vous entendre
Mais ce n'était qu'un vu pieux et il le savait comme elle. Il se
détourna avec un grognement absent, et répondit d'une voix atone:
-Ne t'embête pas à me fournir des explications, Alizea. Tu ne me
dois rien, c'est moi qui te dois tout. Je t'obéirai, quoi que tu m'ordonnes.
Je ne suis pas là pour juger de tes actes.
Quand ils arrivèrent, Alizea constata qu'elle avait réussi à
influencer la direction du pentacle. Ils étaient à quelques kilomètres
de chez elle, dans un pré en pente raide qui surplombait une route. Elle
remercia sa bonne étoile de ce qu'aucune voiture n'était en train
de passer, et se tourna vers Fenris et Askerian. Ils regardaient autour d'eux,
curieux, reniflant l'atmosphère de la banlieue d'un air absorbé.
Kerry fixait avec intérêt les poteaux du téléphone.
Les vaches dans le pré étaient tassées à l'autre
bout de l'enclos, paniquées par Fenris qui les regardait en se léchant
les babines.
-Fenris, non! Ici, on ne chasse pas ces animaux!! lui ordonna-t-elle, lui arrachant
un grognement de dépit.
Ils étaient tous les deux sous leur forme originelle, se rendit-elle
compte avec une poussée de stress. Si quelqu'un passait, on n'allait
pas tarder à savoir qu'un loup-garou et une licorne se baladaient dans
un pré à deux pas de la banlieue.
Elle les entraîna vers la haie, puis, s'assurant qu'ils étaient
hors de vue, elle demanda à Kerry de prendre sa forme humaine tandis
qu'elle traçait un pentacle autour de Fenris. Elle retrouva la formule
de changement de forme après quelques minutes stressantes, ralentie par
le grimoire qui se refermait tout seul et Fenris qui grognait, mal à
l'aise, et voulait à tout prix sortir du cercle: il avait horreur de
la magie, qui lui inspirait à la fois du mépris pour les lâches
qui l'utilisaient et de la méfiance pour ce qu'on pouvait en obtenir.
Au bout de deux minutes, Alizea lança la formule, et elle et Askerian
attendirent le résultat. Ils en restèrent bouche bée tous
les deux.
La formule qu'Alizea avait employée avait pour effet de traduire en équivalences
l'apparence de la cible. Autrement dit, si on était grand, vieux, moche,
mince, pour sa race d'origine, on le devenait pour la race qu'on prenait. Si
on avait un gros museau, des pattes fines, les sabots tordus, les écailles
plus foncées que la moyenne, ça se convertissait.
Fenris se tenait au milieu du cercle, l'air penaud comme un chien surpris à
faire une bêtise, entièrement nu- un détail qu'Alizea avait
oublié- sous une forme humaine pour le moins inattendue.
Il ressemblait -évidemment- à un garçon, plutôt mignon,
aux cheveux noirs drus et coupés en brosse, et aux yeux verts, moins
brillants toutefois que la version originelle; il était mince, mais compact,
plein de muscles durs et bien dessinés, bien que petit pour son âge
apparent. Son âge d'environ QUATORZE ans.
Alizea le fixait, médusée. Askerian laissa échapper un
sifflement surpris.
-C'est pas vrai!!? Bon sang, si c'est ça les gamins chez les garous,
j'veux pas voir les gros baraqués!!
Fenris lui lança un de ses regards menaçants par en dessous, mais
ça n'eut pas le même résultat que d'habitude. C'était
vrai qu'un ado de quatorze ans était moins terrifiant qu'un lycanthrope
de deux mètres de haut pour quatre-vingt centimètres de large!
Bon sang, il était bien plus petit qu'Alizea, et elle n'était
pas très grande, même pour une fille!!
Ce crétin d'Askerian était mort de rire.
-Ben ça, si j'm'attendais à c'que le redoutable loup-garou garde
du corps soit un gosse!! Tu sais qu't'es plutôt mignon, p'tit chou? Wahahahaha!!!!
Fenris lui prouva alors que si son apparence était moins impressionnante,
sa vitesse de réaction restait redoutable. Il bondit sur Kerry et, lui
saisissant le bras, le mordit jusqu'au sang.
-Bien fait!! lui cria-t-il d'un air à la fois furieux et blessé,
s'essuyant la bouche d'un revers de la main. Et toi, avec tes bouclettes, t'as
l'air d'un hongre qui voudrait être une jument, si tu crois que c'est
mieux!!!
La métamorphose semblait le rendre plus bavard, ou peut-être y
avait-il là un point sensible.
-Moi, un hongre?! s'exclama Askerian, une main sur son bras. Tu vas voir, sale
petit clébard!!!
Apparemment, Fenris avait lui aussi touché au vif. Askerian reprit sa
forme originelle et se prépara à charger. Le garou se campa sur
ses jambes et attendit l'assaut, mais comme c'était Alizea qui l'avait
transformé, il était resté sous sa forme humaine. Il n'avait
pas sous cette forme la moitié de sa force et de sa vitesse
Il
allait se faire embrocher!
Alizea se mit en colère et utilisa un nouveau sort d'immobilisation qu'elle
avait cru utile d'apprendre, non sans raisons!! Ce sort ayant bloqué
tous leurs muscles, elle s'approcha tranquillement et dessina un pentacle autour
d'Askerian immobilisé, qui la regardait avec appréhension, sans
daigner lui adresser un seul mot d'explication. Elle le retransforma en humain
avec le même sort que pour Fenris. Ainsi, son apparence dépendrait
seulement d'elle. Ensuite, elle se mit entre eux deux et déclara d'une
voix d'un calme effrayant:
-Si vous vous disputez encore une seule fois, je vous abandonne ici tous les
deux. Et ne vous en faites pas si, coincés hors de votre monde, vous
vous sentez un peu seuls, je viendrai vous rendre visite au zoo de temps en
temps
Elle demanda à Askerian de créer des vêtements au garou,
comme il le faisait pour lui, puis ils descendirent sur la route et se mirent
en marche vers la ville.
Trois quarts d'heure plus tard, ils étaient devant la maison de la
vieille. La traversée de la banlieue avait été infernale.
Alizea leur avait demandé de montrer le moins possible leur surprise,
mais mis à part leur ébahissement compréhensible et leurs
questions de gosses de trois ans, il y avait eu autre chose: Askerian n'avait
pas cessé de se retourner sur toutes les jeunes filles raisonnablement
séduisantes qui passaient -apparemment, il adorait le style vestimentaire
à la mode ces temps-ci: minijupe et débardeur- quand à
Fenris, il semblait souffrir le martyre, en silence comme d'habitude, mis au
supplice par les bruits autant que par les odeurs de pots d'échappement.
Elle sonna au portail. Elle n'avait pas retiré son doigt du bouton que
des pas précipité se faisaient entendre sur le gravier. Ashram
ouvrit la porte à la volée.
- T'en as mis un temps, tu te faisais culbuter en route ou quoi?
-Crétin fini!! râla-t-elle en entrant, précédant
ses compagnons de route.
Elle avait eu deux jours pour se réhabituer à l'idée de
son retour, elle s'était aussi réhabituée à leurs
disputes routinières. Et ce n'était pas parce que son absence
lui avait permis de mieux se rendre compte de ses qualités que ses défauts
avaient disparu
Elle regrettait un peu de s'être laissé coller comme ça
Il allait croire qu'elle avait abandonné la lutte.
-C'est qui ceux-là? demanda le démon en lançant un regard
soupçonneux aux deux compagnons d'Alizea. Ils sont du monde magique
Askerian se planta en face de lui, sourcils froncés et mains dans les
poches.
-Et toi, qui t'es? Je vois pas pourquoi t'aurais plus que nous le droit d'être
avec Alizea!
-Pour quoi? répéta le démon d'une voix dangereusement douce.
Pour ça!!
Alizea bénit le fait qu'ils aient été à l'intérieur
de la propriété. Ashram l'avait attrapée par le coude,
la serrant contre lui, et l'embrassait passionnément, comme s'ils avaient
été seuls. Elle ne put s'empêcher de pousser un cri de surprise
et dut faire un signe de dénégation à Fenris qui était
prêt à bondir sur le démon; vu la réaction instinctive
de recul qu'elle avait toujours dans ces cas-là, il n'était pas
improbable qu'il la croie en danger
Et elle voulait à tout prix
éviter une bagarre.
C'était mal parti. Askerian les regardait d'un air énervé.
Il était pâle de rage, et prenait visiblement le comportement du
démon pour un défi
Ce que c'était effectivement.
-Ash, lâche-moi, ça suffit, lui demanda-t-elle, gênée.
-Tu blagues?! Quand t'es partie, ça faisait plus de six mois qu'on s'était
pas vus!! Non, ça ne suffit pas!!
-Elle t'a dit de la lâcher, déclara Fenris d'un ton menaçant.
Ashram le fixa quelques secondes, puis éclata de rire.
-Et qui va m'y forcer? Toi peut-être? Va jouer ailleurs, gamin.
Fenris siffla entre ses dents, visiblement atteint dans son honneur qu'Alizea
savait très développé.
-Alizea, souffla-t-il, comme un chat en colère, rends-moi ma vraie forme,
s'il te plaît.
-Pour que tu te battes avec Ashram? Pas question, Fenris, il te tuerait, aussi
fort que tu sois! Il est sorcier, tu sais
Elle se retourna pour fixer le démon, mains sur les hanches.
-Quand à toi, crétin universel, tu fiches la paix à Fenris
ou je couche dans la chambre de Drao jusqu'à ma mort.
-Il sera mort bien avant toi, répliqua-t-il. J'y veillerai personnellement.
-Tu veux en discuter avec mon père? demanda-t-elle du tac au tac.
Touché
Ashram tira une mine de dix pieds de long, puis lui fit
une grimace moqueuse.
-Tu veux dire que je serai obligé de te dépuceler devant Drao?
demanda-t-il en faisant mine de ne pas s'apercevoir qu'Alizea rougissait. OK,
je le laisserai tranquille, ce merdeux. Mais il a pas intérêt à
me chercher. Quand à l'autre
Il se planta face à Askerian.
-Rappelle-toi qu'Ally est mienne. Et que les démons n'ont pas une manière
très douce de régler ce genre de désaccords
-Je n'ai pas peur d'un mec qui n'a même pas été foutu de
dépuceler sa petite copine et qui n'arrive qu'à la faire pleurer.
Ashram ne répliqua rien, se contentant de sourire. Alizea n'eut même
pas le temps de se placer devant la licorne pour le protéger. Un éclair
noir d'énergie ténébreuse l'avait frappé, l'envoyant
bouler contre la clôture. Fenris le regarda voler, toujours impassible,
le seul indice de sa surprise étant un sourcil haussé d'un millimètre.
On aurait dit qu'il avait toute sa vie vu des Askerian passer en trombe devant
lui
C'est à ce moment que Drao sortit de la maison.
-Ashram, soupira-t-il, dois-je te rappeler que tu n'es pas censé être
ici, et que si jamais tu te sers trop de la magie sans raison, et en pleine
ville en plus, tu risques d'attirer l'attention d'un espion du Pacte? Il viendrait
te chercher par la peau du cou, et ce serait alors le moindre de tes soucis
de ne plus pouvoir aider Alizea. Et c'est pour le coup que tu seras séparé
d'elle
Tu y tiens tant que ça à retourner dormir quelques
siècles dans un cercle?
Il alla relever Askerian, qui, affalé contre la palissade, n'était
toutefois pas blessé, comme la jeune fille l'avait craint, mais simplement
sonné par le choc.
-Ca va? demanda le centaure à la licorne.
-Ca a l'air d'aller? lui répliqua ironiquement celle-ci.
Askerian repoussa Drao et se campa difficilement sur ses jambes en face d'Ashram,
relevant fièrement le menton.
-Si tu crois que c'est comme ça que tu m'empêcheras de la draguer
Et t'as de la chance que sous cette forme je ne puisse pas utiliser la magie!!
Moi aussi, j'ai des sorts balèzes!!
Ashram n'eut pas le temps de répondre avec les insultes qu'il avait sur
le bout de la langue.
-AH, CA SUFFIT MAINTENANT!!!! tempêta Alizea, à bout de nerfs.
Je crois que je vais tous vous renvoyer et me débrouiller seule avec
Drao!! Je suis pas un objet, bon sang!! J'ai le droit de choisir moi-même,
et ça vaut pour l'un comme pour l'autre!! cria-t-elle à Ashram
qui souriait moqueusement à Askerian. Maintenant vous arrêtez vos
conneries de mâles décervelés et vous rentrez à la
maison, on va finir par alerter les voisins.
Les garçons, surpris par sa réaction, l'avaient écoutée
sans rien dire. Fenris avait arboré l'air coupable d'un chien pris en
faute, Askerian avait rougi, quand à Ashram, il s'était contenté
de hausser les épaules et de tourner le dos, mais elle le connaissait
assez pour savoir qu'il était vexé. Il l'avait cherché,
zut!! C'était vrai qu'elle avait un faible pour lui, mais ça ne
l'autorisait pas à la traiter comme sa propriété, d'abord!
Drao intervint à ce moment, apportant sa propre solution pour détendre
un peu l'atmosphère.
-Quelqu'un a faim? Je crois que c'est prêt.
Le premier transfuge de l'autre monde que Drao repéra grâce à
sa sensibilité exacerbée fut un orque, errant dans la campagne
à quelques kilomètres. Ces brutes sans cervelle n'étaient
dangereuses que pour autant qu'on devait les combattre avec la force physique.
Mais si un orque était un combattant redoutable pour un humain, il ne
valait guère face à un lycanthrope. Et encore moins face à
un démon de la noblesse, à sale caractère déjà
en temps ordinaire, mais en plus frustré sexuellement, et énervé
de n'avoir pu se battre depuis longtemps.
Ce fut un massacre.
Quand ils finirent enfin par s'occuper de lui.
Quand ils partirent à sa recherche, Alizea dut redonner sa forme aux
deux 'ennemis mortels', Askerian et Fenris. Ashram ne fit, bizarrement, aucun
commentaire sur le loup, se contentant de le mesurer du regard avec le vague
début d'une faible lueur de respect dans les yeux, commençant
à changer légèrement d'avis sur son efficacité en
tant que garde du corps. Mais quand Kerry eut l'imprudence de demander à
Alizea si elle voulait grimper sur son dos, pour faire le chemin, à portée
de ses oreilles, ce fut autre chose. Il le saisit brutalement par la queue,
et mettant à profit toute sa force de démon, il tira en arrière
ses cinq cent kilos sur quelques mètres; sans rien dire, mais avec une
expression facilement identifiable: jalousie pure.
La licorne lui lança une ruade pour le forcer à le lâcher,
qu'il esquiva au dernier moment. Il se vengea en lui claquant la croupe de toutes
ses forces. Kerry fit volte-face et le chargea, mais il n'avait pas prévu
qu'Ashram esquiverait dans le seul endroit où il ne pouvait pas l'atteindre:
dans les airs.
C'est alors qu'Alizea apprit que les licornes n'avaient pas deux formes mais
trois
Askerian s'entoura de cette lueur dorée qui préludait chez lui
aux transformations. Mais ce ne fut pas un humain qui apparut dans le halo.
C'était un animal de la taille d'un gros saint-bernard, mais qui n'avait
rien d'autre en commun avec cet animal. Sa tête était celle d'un
rapace, ainsi que toute la partie antérieure de son corps. Il avait des
serres acérées, de grandes ailes, de couleur blanche ivoire, et
la moitié postérieure de son corps était celle d'un fauve,
au poil doré et ras. Sa queue était faite de très longues
plumes
Alizea ne put admirer bien longtemps cette créature superbe qu'était
un griffon, car il avait bondi presque immédiatement dans les airs à
la poursuite d'Ashram. Elle apprit aussi que les griffons avaient quelques capacités
en magie, surtout la magie de l'air
La Foudre.
Ashram se protégea de l'éclair de justesse, mais sa puissance
lui avait fait perdre l'équilibre et il tomba, se rétablissant
juste avant de toucher le sol. Il se préparait à bondir à
nouveau dans les airs pour affronter le griffon quand Alizea se précipita
et se pendit à son cou pour le retenir.
-Fenris, attrape Kerry!! cria-t-elle.
Le griffon avait en effet commis l'imprudence de voler trop près du sol.
Il était à environs quatre mètres de haut, mais la jeune
fille connaissait la détente du loup-garou. Il l'attrapa par une patte
de derrière et ils retombèrent tous les deux, laissant une traînée
de plumes dans les airs. Fenris le cloua au sol d'une main griffue et attendit
les ordres d'Alizea, agenouillé sur les ailes de son ennemi avec un 'sourire'
de loup.
Ashram repoussa la jeune file et se dirigea vers Askerian toujours à
terre avec l'intention très nette de manger du rôti de griffon.
Elle se résigna alors à employer la seule méthode efficace
pour l'arrêter, à savoir l'enfermer dans un bouclier de protection.
Au milieu des cris de rage des deux combattants, on entendait à peine
la voix douce de Drao, mais ce qu'il disait les fit taire aussitôt.
- L'orque est maintenant à moins de trente mètres d'une ferme
et il l'aura atteinte dans moins de trente secondes. Et je sens trop bien à
mon goût ses envies de meurtre. Si vous avez fini de vous chamailler ,
les enfants
Fenris rabattit l'orque en silence vers un lieu moins fréquenté
avec autant d'habileté qu'un chien de berger avec des moutons. Alizea
ne voulait pas de mort inutile, même pas celle d'un orque, aussi elle
lui demanda tout d'abord s'il était disposé à rentrer gentiment
chez lui.
Pour toute réponse, il poussa un hurlement bestial et fonça sur
elle. Il n'avait pas fait deux mètres qu'il s'écroulait, ses jambes
partant en tranches régulières tandis qu'il recrachait ses tripes
et que sa cervelle lui ressortait par le nez. Heureusement, Alizea n'avait rien
vu de tout ça car aussitôt, Fenris s'était placé
devant elle pour la protéger. Ashram souriait, très satisfait.
-Ca fait du bien de se défouler un peu!! Si on rentrait? J'ai faim
Il fit disparaître le corps dans une grande explosion de flammes, puis
se détourna, reprit sa forme humaine et repartit vers la ville. Après
un instant d'hésitation, les autres le suivirent.