Cercle de Silence

3e partie: Réunion

Chapitre Un: La convocation

Alizea sortit de la salle de réunion avec le flot et se prépara à rejoindre sa salle pour le premier cours de l'année. Elle était passée de justesse, en travaillant comme une malade pour compenser son absence, mais en voyant sa classe elle se demandait si elle n'aurait pas fait mieux de redoubler. Elle avait à peu près les mêmes pétasses que l'année dernière, sauf quelques unes qui étaient parties, et qui, comme par hasard, étaient celles avec qui elle s'entendait le mieux- enfin, se disputait le moins.
La journée s'était déroulée à une lenteur ahurissante, entre les disputes idiotes qui avaient recommencé aussitôt, et les profs abrutissants. Quoique… Les pétasses s'étaient montrées plus… respectueuses depuis son retour. C'était peut-être sa nature d'ange, développée depuis son voyage, qui les influençait. C'était vrai qu'elle avait changé: elle était plus calme, plus sûre d'elle, et n'avait plus peur de grand-chose.
Un mois après son retour, une fois la valse des questions des psys passée, elle était retournée voir la vieille dame qui lui avait appris la magie, et avait recommencé à étudier avec elle, même si la vieille avouait sans fard qu'Alizea était d'un niveau bien supérieur au sien, et que quelquefois sa facilité à assimiler de nouveaux sorts et à en modifier au jugé lui faisait un peu peur. Elle allait la voir une ou deux fois par semaine et elles parlaient un peu, de magie surtout, et des créatures du monde magique. La vieille dame était ravie d'avoir des nouvelles fraîches d'un monde dont elle avait cru à l'existence comme on croit au bon Dieu, sans preuves autres que sa foi.
Quelquefois, Alizea sortait la robe d'Ashriel de sa cachette et l'étalait sur son lit pour la regarder. Elle était salie, verdie par l'herbe, les buissons l'avaient déchirée, et sur la poitrine, une tache du sang d'Ashram avait viré au brun. Et pourtant elle était toujours aussi belle. Mais jamais Alizea ne l'avait remise. Ici, chez les humains, elle n'était pas à sa place, comme un déguisement.
Depuis six mois qu'elle était rentrée, elle avait commencé à penser à oublier ce que lui avait fait son père. Mais oublier, peut-être, pas pardonner. Même si sa tête, avec du recul, comprenait ses raisons, son cœur n'acceptait pas ce qu'elle avait vécu comme une trahison.
N'empêche, ce voyage avait été plus qu'intéressant. Même six mois après elle y pensait tous les jours, avec une nostalgie poignante. Elle était tombée amoureuse de ce monde… Elle avait tellement appris, sur elle-même et sur d'autres choses, et avait rencontré des gens si importants pour elle… Ashriel était une vraie copine, amusante, énergique, Uriel était adorable, et souvent dans ses moments de cafard elle aurait voulu qu'il soit là pour l'encourager et la réconforter, Reiyel était tellement amusant une fois qu'on avait appris à supporter ses habitudes et son caractère… Particulier. Quand à la licorne, Askerian, il avait été si gentil, si compréhensif avec elle, même si sa sympathie n'était pas sans but!! Il y avait plus désagréable que de se faire courtiser par un beau blond sympathique et plutôt marrant, après tout… Surtout qu'elle pouvait sentir qu'au fond, son intérêt était sincère.
Et Ashram… Elle ne savait plus vraiment où elle en était avec lui. Il lui manquait tellement à des moments… Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle s'était retournée pour lui parler et où elle s'était retrouvée au bord des larmes en constatant qu'il n'était pas là. Il l'énervait, il se fichait d'elle sans arrêt, il était tout sauf galant, il était grossier, mal élevé, irrespectueux, bagarreur, agressif, impatient, et par-dessus tout il la traitait comme sa chasse gardée… Mais… Elle en pleurait, des fois. Ashram… Enfin, lui, il devait l'avoir oubliée, depuis le temps, et s'être consolé sans problèmes… Si même elle lui avait manqué. Elle ne savait pas si elle devait ou non espérer lui avoir manqué. Si c'était le cas, ce serait cruel pour lui, puisqu'elle n'allait pas retourner le voir, et si ça ne l'était pas, c'était cruel pour elle… Parce que lui, il lui manquait tellement…

Elle en était là de ses réflexions quand elle entendit piailler deux gourdasses à côté d'elle. Elle n'essaya pas vraiment d'écouter leur conversation, mais leurs voix étaient si aiguës qu'elle n'arrivait pas à les bloquer.
-Ouais, je crois que j'vais être souvent malade cette année!! T'as vu le nouvel infirmier? Il est trop mignon!!
Et quel était le sujet? Des mecs, comme d'hab… Alizea soupira.
-Sans dec'?
-Ouais… Tiens, justement, le voilà, il rapplique par ici…
Distraitement, Alizea jeta un coup d'œil, par réflexe.
Elle retourna à son sac, cherchant un cahier de textes, puis jeta un autre coup d'œil, pour clarifier la drôle de sensation qu'elle ressentait.
Et manqua en faire une crise cardiaque.
Le jeune homme qui marchait vers elles sans les regarder, vêtu d'une blouse blanche et portant des dossiers sous le bras, était en effet très mignon. Mais ce n'était pas ça qui la scotchait.
Cheveux noirs et lisses très longs, à la taille, ramenés en catogan, grands yeux bleu-mauve, et une démarche pas très assurée, comme s'il avait des problèmes d'équilibre…
Drao le centaure, l'envoyé de son père.
Non, ce ne pouvait pas être lui, se dit-elle, au bord de la crise d'hystérie, c'était un humain, et les yeux du centaure qu'elle avait rencontré étaient franchement violets, pas bleu lilas… Mais elle se rappela soudain que quand Ashram prenait forme humaine, ses yeux passaient de doré à vert jaune, la couleur la plus proche disponible chez les humains. Etait-ce vraiment lui? Ou son désir de retrouver le monde magique lui occasionnait-il des hallucination?
Mais elle fut vite fixée. Il leva les yeux, l'aperçut, et ses yeux s'éclairèrent d'un coup quand il la reconnut. Il lui sourit, comme s'il était heureux de la revoir, et voulut changer de direction. Malheureusement, il fut intercepté par le directeur.
-Je vais vous montrer les locaux de l'infirmerie, monsieur Chiron (Chiron? Il avait le sens de l'humour…). Notre établissement est conscient de la chance qu'il a de posséder un aussi bon infirmier que vous, vous savez, nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté…
Et il le guida jusqu'à l'infirmerie en continuant son monologue. Elle vit Drao lui faire un petit signe de la tête avant de s'éloigner.
Drao.
Dans le monde des humains.
Dans SON lycée.
Au nom du ciel, mais POURQUOI? Il devait avoir quelque chose à lui demander, réfléchit-elle. Mais s'il s'était fait embaucher, c'était qu'il pensait qu'il lui faudrait du temps pour la convaincre. Alizea ne réussit pas à savoir si elle était heureuse de le revoir et de pouvoir obtenir des nouvelles de l'autre monde… Elle avait bien tenté de l'oublier, mais ça n'avait pas marché… ce monde si étrange… Elle avait eu l'impression d'essayer d'oublier une partie d'elle-même.
A la récréation, elle se dirigea d'elle-même vers l'infirmerie, ayant décidé de mettre tout de suite les choses au clair. Elle ne savait pas trop comment elle devrait se comporter face à lui. D'un côté, il était très gentil, et il connaissait la magie qui faisait si fort partie d'elle à présent, de l'autre, il était envoyé par Gabriel.
-Da… Alizea! s'exclama-t-il en la voyant entrer.
Il s'était repris de justesse avant de l'appeler 'Dame'. Il s'avança vers elle avec un sourire et l'invita à s'asseoir. Elle obtempéra, sans lui rendre son sourire. Elle le sonda discrètement comme il s'asseyait en face d'elle, et s'aperçut qu'il était sous le coup d'un sort de changement de forme, lancé par quelqu'un dont la signature magique, bien que d'un niveau incroyablement supérieur, ressemblait fort à la sienne.
Drao commença par lui envoyer les salutations de son père, mais elle le pria sèchement d'écourter.
-Pourquoi t'es-tu fait embaucher ici?
-Il me faut une couverture, tout autant qu'un moyen de me payer à manger, vous savez…
-Ca va faire bizarre qu'un adulte vouvoie une élève, tu sais…
Drao sourit et se pencha en avant.
-Bon… d'accord… Ton père souhaiterait que tu ailles lui rendre visite à la cité des Anges. Il a une tâche à te confier qu'il ne peut accomplir lui-même. Il voudrait que tu le retrouve pour lui permettre de te donner des explications que je ne peux …
Alizea se sentit soudain monstrueusement déçue, et au bord des larmes. Ce n'était pas parce qu'elle lui manquait qu'il voulait la revoir, mais parce qu'il avait du sale boulot à lui refourguer.
-Désolée, Drao, le coupa-t-elle, je ne veux pas en savoir plus.
Elle tenta de ne pas voir le regard blessé qu'il lui adressait comme elle se relevait. Elle était désolée de lui faire de la peine, mais elle ne pouvait pas en entendre davantage. Elle ne le supporterait pas.
Elle sortit de l'infirmerie et retourna vers la salle de cours. Les seules places qui restaient étaient au premier rang. Elle s'assit, toute à ses sombres pensées. Une des garces tenta de lui faire une réflexion, mais elle lui intima le silence d'un regard, sans y penser. L'influence mentale, ça existait aussi en magie blanche, contrairement à ce qu'elle avait cru…

Le professeur alla fermer la porte. Juste avant qu'il ne la ferme en plein, on entendit un bruit de course effrénée dans le couloir.
-Attendez, m'sieur!! lança une voix masculine.
Le retardataire entra dans la salle puis alla s'asseoir tout droit à côté d'Alizea, qui s'était immobilisée alors qu'elle fouillait dans ses cahiers.
-Salut Aza!
Elle aurait reconnu cette voix entre mille.
Le professeur, agacé, demanda sèchement au voisin d'Alizea de se taire.
-Ce n'est pas parce que vous êtes passé dans cette classe sans problèmes que vous pouvez vous dispenser de suivre les cours, monsieur Astaroth.
Elle tourna doucement la tête, se demandant si ce n'était pas encore un rêve; elle en avait fait tellement de ce genre-là… En général, elle se réveillait en sursaut, les bras tendus pour le serrer contre elle, et éclatait en sanglots comme elle comprenait que ce n'était qu'un songe.
Ashley faisait mine de prendre des notes. La tête penchée sur sa feuille, il lui souriait en coin. Elle était tétanisée. Bouleversée. Ravie. Mais… Que faisait-il là? Comment était-il arrivé ici? Est-ce que c'était vraiment lui? Oui, c'était lui… Même si elle n'avait pas reconnu ses yeux et son sourire, elle n'aurait pu se tromper sur son aura.
Sans cesser de recopier, il glissa une main sous la table et alla doucement saisir la sienne, qu'elle avait crispée sur son jean en le voyant. Il la décrispa et la serra dans la sienne, enveloppant son petit poing de sa paume chaude et de ses longs doigts forts. Elle lui abandonna sa main, le cœur battant.
Ashram… Comme il lui avait manqué…
-Tu ferais bien de recopier, lui suggéra-t-il avec un clin d'œil malicieux.
-Mais qu'est-ce que tu fais là?
-Question stupide, je rentre de vacances, c'est bien aujourd'hui la rentrée, non?
Elle éclata d'un rire nerveux, sans pouvoir se retenir, les larmes aux yeux. Ce n'était pas drôle à ce point, mais l'émotion qui l'envahissait toute entière devait trouver une porte de sortie, ou elle allait exploser. Elle se fit réprimander par le professeur, mais ça n'allait pas la calmer… La main d'Ashram était toujours autour de la sienne. Encore heureux qu'elle ait été gauchère… Mais elle se fichait bien des notes qu'elle prenait mécaniquement. Jamais une heure de cours ne lui avait paru aussi longue.
Quand la sonnerie retentit, et qu'elle sortit, tendue à l'extrême, elle se fit la réflexion qu'enfin, après une parenthèse de six mois, sa vraie vie recommençait. L'arrivée de Drao, puis d'Ashram… Finie la vie de petite écolière modèle!!
A propos de Drao… Elle n'avait pas senti son énergie, trop occupée à réfléchir activement sur Ashram et le pourquoi et le comment il avait fait irruption de nouveau dans sa vie. Il la saisit par le bras comme elle passait la porte du couloir pour aller dans la cour.
-Alizea, il faut vraiment que je te parle, c'est important!!
Il l'entraîna dans un coin, et elle le suivit sans réfléchir, trop surprise pour se dégager. Finalement, elle se ressaisit et s'écarta de lui, reculant contre le mur, et chercha une issue des yeux. Elle ne craignait pas Drao, mais elle n'avait vraiment pas envie de lui parler, encore moins maintenant.
Un bras surgit entre eux, les séparant. Ashley se plaça entre la jeune fille et le brun qui la bloquait avec un regard menaçant.
-Laisse ma copine tranquille, demi- canasson, elle veut rien te dire, t'es sourd?
-Mais… Mais… chevrota Drao comme la puissance cachée d'Ashram se dévoilait à lui. Vous… Un démon?! Mais qui…
Il le reconnut finalement, procédant par élimination. Des démons amis de la fille de Gabriel, il n'y en avait pas beaucoup, encore moins qui connaissaient le monde des humains…
-Vous êtes Ashram du clan Astaroth, c'est ça? Que faites-vous dans ce monde? Vous n'avez pas l'autorisation d'être là!! Et par où êtes-vous passé? demanda Drao, stupéfait au dernier degré, mais à voix basse pour éviter d'intéresser les spectateurs curieux.
-Je suis venu pour voir ma copine, répliqua Ashram sur le même ton, la menace en plus; et ton autorisation, tu peux te la foutre au cul! Quand au comment, disons que j'ai des amis parmi les anges…
Il avait dû demander à son frère, pensa Alizea.
-Mais tous les sorts de passage ont été effacée des grimoires il y a deux mille ans!
-Pas de celui-là, vieille carne.
Et il sortit de son sac le grimoire d'Alizea. Elle s'était toujours demandée où elle avait pu le perdre. Sans doute pendant l'ouverture du cercle, s'il était resté dans le monde magique… Comment Ashram l'avait récupéré, c'était une autre histoire. Elle le prit avec révérence, ravie de retrouver l'antique recueil, et le serra contre elle.
Ashley passa son bras autour des épaules d'Alizea et la dirigea vers la sortie en plantant là le pauvre centaure stupéfait. Ils prirent ensemble le chemin du retour, marchant côte à côte, comme avant. Pour un peu, Alizea aurait pu croire qu'ils étaient revenus aux premiers jours, avant le départ pour le monde magique.
Finalement, elle se ressaisit et se dégagea de son étreinte, s'écartant légèrement. Elle était ravie et plus de le revoir, mais si ça se trouvait, il allait lui faire le même coup que Drao, lui demander de faire elle ne savait quoi…
- T'es vraiment revenu pour moi?
- C'est ce que j'ai dit à l'autre, non?
-Mais ça veut pas dire que c'est forcément vrai, t'es menteur des fois… répliqua-t-elle, l'habitude de leurs joutes verbales revenant en force.
-Ben cette fois, je mens pas, lui assura-t-il fortement, détournant le regard.
Elle le regarda, incertaine d'avoir bien interprété le ton qu'il avait employé. Il avait l'air… Gêné? Il refusait de croiser son regard, et il y avait une légère rougeur sur ses joues, elle en aurait mis sa main au feu. Elle sourit lentement, incrédule et heureuse de ce qu'elle avait compris.
-Je t'ai manqué? demanda-t-elle en riant.
Il se retourna brusquement comme si elle l'avait insulté.
-PAS DU TOUT!! Ca va pas non?! C'est juste que… J'étais bien content de rentrer chez moi, mais en ce moment, il ne se passe rien d'intéressant à Pandémonium. Je m'emmerdais presque autant que quand j'étais dans le cercle!! Et j'ai plus de chances de voir se passer un truc intéressant si t'es dans les parages, t'attires toutes les bizarreries…
Elle lui jeta un coup d'œil ironique, et il rajouta, moqueur:
-Et puis, je t'ai toujours pas dépucelé…
-Idiot!! Et puis, comment t'as fait pour revenir?
-Ben, quand j'ai su qu'on brisait le sort de surveillance des pentacles pour permettre à un des sbires de Gabriel de passer, je me suis débrouillé pour passer ailleurs en même temps… J'avais récupéré ton grimoire à côté du cercle que tu avais utilisé pour partir.
Il haussa les épaules d'un air désinvolte. Mais elle commençait à bien le connaître, son démon favori.
-Autrement dit, tu t'ennuyais sans moi… C'est bien que je t'ai manqué, alors!!
Il poussa un hurlement rauque imitant celui d'une bête sauvage et fit mine de se jeter sur elle pour la dévorer. Alizea poussa un petit cri de surprise et partit en courant, riant aux éclats. Il se lança à sa poursuite en riant aussi, jouant à faire semblant de la rater de justesse pour la faire courir plus vite. Elle se précipita dans un petit parc, espérant le semer.
Il la rattrapa entre deux buissons touffus. Il avait bien choisi son endroit!! Personne ne les voyait…
Le cri de surprise d'Alizea fut vite étouffé par le baiser qu'il lui donna. Il l'enlaça, la débarrassant de son sac, puis passa son bras autour de sa taille fermement, comme s'il craignait qu'elle ne lui échappe.
Alizea se laissa aller contre lui, heureuse de sentir son corps si fort, si rassurant contre le sien… Elle avait eu le temps d'y penser pendant qu'ils étaient séparés. Ce n'était pas si grave de le laisser faire… C'était agréable, il avait raison…
Il se laissa glisser à terre, dans les hautes herbes, et elle suivit le mouvement, en confiance. Il l'embrassait de plus en plus ardemment, sur les lèvres, sur le visage, dans le cou… La serrant contre lui comme s'il craignait qu'elle ne disparaisse. Elle accueillait ses baisers avec plaisir, totalement détendue. Elle avait totalement oublié qu'elle lui en avait voulu à mort, juste avant de partir. C'était tellement loin… Elle était maintenant sûre que même s'il ne l'aimait peut-être pas vraiment, il tenait du moins beaucoup à elle… Et pas seulement pour son corps, malgré ce qu'il en avait dit, le soir de la beuverie. Askerian et Uriel avaient été dans le vrai. Son soulagement était tellement grand qu'elle ne réagit que par un soupir quand il l'enlaça encore plus serré, la plaquant contre lui.
-Hum… Excusez-moi, je ne voudrais pas déranger… dit doucement Drao, debout à quelques mètres derrière eux.
-Pourtant, c'est ce que tu fais, répondit Ashley d'un ton que même Reiyel, avec son amour de la neige, aurait trouvé insupportablement glacé.
Ashley se releva, poings serrés. Alizea était partagée entre la gêne que le centaure les ait surpris, la colère qu'il se même de leurs affaires et sa peur pour lui. Le ton d'Ashram n'augurait rien de bon pour le pauvre centaure, qui n'était pas de taille, malgré toute sa bonne volonté et son bon naturel, contre la puissance et la mauvaise humeur du démon. Ledit démon commençait d'ailleurs à se voir plus facilement derrière l'humain Ashley. Très mauvais signe.
Drao déglutit et pâlit visiblement sans reculer d'un pouce, prenant de plein fouet l'humeur massacrante du démon et sa montée en puissance. Alizea décida charitablement d'intervenir. Au fond, elle aimait bien Drao. Ce n'était pas sa faute s'il avait une dette envers son père.
-Du calme, Ashram, dit-elle en le retenant par la manche de son blouson. C'est seulement un messager… Je vais l'écouter et après il s'en ira. OK Drao?
- D'accord. Merci de m'écouter, lui reprocha-t-il d'un ton las. Tu ne m'as pas laissé le temps de finir… Ce problème concerne le monde des humains. Il est dangereux pour ton peuple. Tu n'as pas le choix de nous aider ou pas; ce problème, c'est ta faute.
Elle se redressa lentement, stupéfaite. Elle, mettre en danger les humains?!
-Je ne peux pas t'en dire plus moi-même. Il faut que tu retournes voir ton père pour qu'il t'explique. Et aussi parce qu'il veut te voir en personne pour des raisons plus… Personnelles. Il m'a chargé de te dire qu'il t'aime, Alizea. Il t'aime vraiment. Accepte au moins de l'écouter, lui aussi.
-Il m'aime, sérieusement? demanda-t-elle d'un ton agressif qu'elle regretta tout de suite. Il a une drôle de façon de le montrer!! … De toute façon, je ne peux pas, on vient juste de reprendre les cours, je ne vais pas sécher dès maintenant! Je ne veux pas d'ennuis! Il n'a qu'à venir lui-même si c'est si urgent!!
-Alizea, soupira Drao, je sais que tu aimes notre monde et que tu ne serais pas contre le fait d'y revenir… Je le sens, tu te souviens? Quand aux cours, tu n'en as pas le week-end, si je ne m'abuse… Et nous sommes vendredi.

Elle se prépara donc à partir.
Elle rentra chez son oncle et prépara son petit sac avec le nécessaire, lui laissant un mot laconique pour le prévenir qu'elle dormait chez une amie tout le week-end. Puis elle redescendit retrouver Ashram et Drao qui l'attendaient en bas, au cas où le vieux con aurait été là.
- J'ai tout, lâcha-t-elle, encore agacée d'avoir cédé si facilement.
-Tu as pris à manger aussi?
-Oui, un peu… J'espère que j'arriverai vite, au moins.
-Alizea… Tu aurais besoin d'aide pour ta mission, tu sais.
-Eh, j'ai pas dit que j'acceptais!! râla-t-elle, plus par principe qu'autre chose d'ailleurs, et il le savait.
-Tu ferais bien de recruter le plus d'aide que tu pourras là-bas. Moi, je peux venir avec toi si tu veux jusqu'à la ville des Anges, mais Ashram ferait mieux de rester là…
-Pourquoi? ronchonna Ashram.
-Tu es entré ici en douce sans l'autorisation du Pacte, et tu comptes aller attendre la fille de Gabriel devant son palais?
Le centaure était exaspérant de bon sens.
-Exact… soupira le démon. Donc je reste ici…
-Tu sais, Drao, je crois que je peux me débrouiller seule. Je suis assez maîtresse de mes pouvoirs, et puis… J'aimerais mieux lui parler seule à seul. Reste ici, toi aussi.
-Comme tu veux, mais je ne sais pas où on t'attendra…
-Moi je sais, soupira Alizea. Allez, suivez-moi.
Elle les conduisit chez la vieille, et sonna. La réponse ne se fit pas attendre. La vieille dame leur ouvrit le portail et salua Ashram de la tête.
-Alizea… Vous désirez une autre leçon? je ne pense pas que vous en ayez encore besoin, du moins pas des miennes…
-Non, répondit Alizea, je voulais emprunter votre pentacle, j'ai à faire 'là-bas.'
La vieille dame hocha la tête et lui ouvrit tout grand la porte.
Une fois à l'intérieur, Alizea eut la surprise de voir des valises dans l'entrée.
-Bah… Vous partez?
-Oui, je vais visiter la communauté des magiciens aux Etats-Unis. C'était ça ou ma famille me mettait à l'hospice… Ils n'arrivent pas à comprendre qu'on puisse atteindre les cent dix ans et toujours se porter bien dans sa tête autant qu'au physique… rit la vieille dame.
-Je vous comprends! Je ne pense pas qu'ils comprendraient si vous leur disiez que la magie conserve! sourit Alizea.
-Exact, jeune fille!!
-Madame, demanda brusquement Ashram. Vous serez partie longtemps?
-Euh, je ne sais pas seigneur… Un mois, deux ou trois peut-être même…
-Cela vous dérangerait-il de nous prêter votre maison pendant ce temps? Je ne sais où loger, je suppose que Drao non plus, et je ne tiens pas à retourner chez l'oncle d'Alizea.
-Oh, bien sûr que non!! rit la vieille dame. Je cherchais justement un gardien!! Ce sera un honneur pour moi, seigneur, de vous accepter dans mes murs.
Ashram la remercia d'une brève inclinaison du buste et d'un sourire tout ce qu'il y avait de charmeur.
-Bon, eh bien, le taxi est là… Je vous laisse les clefs, seigneur. Faites comme chez vous.
-Je vous remercie infiniment, ma Dame, lui dit-il en lui faisant un baisemain.
Elle gloussa comme une jeune fille et se dirigea vers le taxi, Ashram portant courtoisement ses valises.
-Eh bé, quelle galanterie!! s'exclama Alizea, stupéfaite, quand il les eut rejoints.
-Bah quoi, elle nous prête sa baraque… Je pouvais bien faire un effort…
-Si tu pouvais être toujours comme ça… lâcha-t-elle, moqueuse.
-T'es pas une ancienne! protesta le démon. Dis, Zea… Si tu t'installais ici, toi aussi? Si ton oncle râle, on l'ensorcelle un coup, et…
-Oh, oui!!! répondit-elle en battant des mains, comme une petite fille.
Ils passèrent deux heures à déménager ses affaires en passant par la fenêtre, sous sort d'invisibilité, tandis que Drao s'affairait avec amusement dans la cuisine. Elle s'installa dans une chambre vide au premier étage. Ashram annexa la chambre à côté. Drao prit une petite chambre qui donnait sur le salon et la cuisine, au rez-de-chaussée.
C'était génial, elle avait l'impression d'être émancipée, libre. C'était grisant comme sensation…

Le vendredi soir, une heure avant la tombée de la nuit, elle partit, seule.

[Le centaure et la sirène] [Fenris le Noir du clan de la Lune de Sang]