Alizea sortit de la salle de réunion avec le flot et se prépara
à rejoindre sa salle pour le premier cours de l'année. Elle était
passée de justesse, en travaillant comme une malade pour compenser son
absence, mais en voyant sa classe elle se demandait si elle n'aurait pas fait
mieux de redoubler. Elle avait à peu près les mêmes pétasses
que l'année dernière, sauf quelques unes qui étaient parties,
et qui, comme par hasard, étaient celles avec qui elle s'entendait le
mieux- enfin, se disputait le moins.
La journée s'était déroulée à une lenteur
ahurissante, entre les disputes idiotes qui avaient recommencé aussitôt,
et les profs abrutissants. Quoique… Les pétasses s'étaient
montrées plus… respectueuses depuis son retour. C'était peut-être
sa nature d'ange, développée depuis son voyage, qui les influençait.
C'était vrai qu'elle avait changé: elle était plus calme,
plus sûre d'elle, et n'avait plus peur de grand-chose.
Un mois après son retour, une fois la valse des questions des psys passée,
elle était retournée voir la vieille dame qui lui avait appris
la magie, et avait recommencé à étudier avec elle, même
si la vieille avouait sans fard qu'Alizea était d'un niveau bien supérieur
au sien, et que quelquefois sa facilité à assimiler de nouveaux
sorts et à en modifier au jugé lui faisait un peu peur. Elle allait
la voir une ou deux fois par semaine et elles parlaient un peu, de magie surtout,
et des créatures du monde magique. La vieille dame était ravie
d'avoir des nouvelles fraîches d'un monde dont elle avait cru à
l'existence comme on croit au bon Dieu, sans preuves autres que sa foi.
Quelquefois, Alizea sortait la robe d'Ashriel de sa cachette et l'étalait
sur son lit pour la regarder. Elle était salie, verdie par l'herbe, les
buissons l'avaient déchirée, et sur la poitrine, une tache du
sang d'Ashram avait viré au brun. Et pourtant elle était toujours
aussi belle. Mais jamais Alizea ne l'avait remise. Ici, chez les humains, elle
n'était pas à sa place, comme un déguisement.
Depuis six mois qu'elle était rentrée, elle avait commencé
à penser à oublier ce que lui avait fait son père. Mais
oublier, peut-être, pas pardonner. Même si sa tête, avec du
recul, comprenait ses raisons, son cœur n'acceptait pas ce qu'elle avait
vécu comme une trahison.
N'empêche, ce voyage avait été plus qu'intéressant.
Même six mois après elle y pensait tous les jours, avec une nostalgie
poignante. Elle était tombée amoureuse de ce monde… Elle
avait tellement appris, sur elle-même et sur d'autres choses, et avait
rencontré des gens si importants pour elle… Ashriel était
une vraie copine, amusante, énergique, Uriel était adorable, et
souvent dans ses moments de cafard elle aurait voulu qu'il soit là pour
l'encourager et la réconforter, Reiyel était tellement amusant
une fois qu'on avait appris à supporter ses habitudes et son caractère…
Particulier. Quand à la licorne, Askerian, il avait été
si gentil, si compréhensif avec elle, même si sa sympathie n'était
pas sans but!! Il y avait plus désagréable que de se faire courtiser
par un beau blond sympathique et plutôt marrant, après tout…
Surtout qu'elle pouvait sentir qu'au fond, son intérêt était
sincère.
Et Ashram… Elle ne savait plus vraiment où elle en était
avec lui. Il lui manquait tellement à des moments… Elle ne comptait
plus le nombre de fois où elle s'était retournée pour lui
parler et où elle s'était retrouvée au bord des larmes
en constatant qu'il n'était pas là. Il l'énervait, il se
fichait d'elle sans arrêt, il était tout sauf galant, il était
grossier, mal élevé, irrespectueux, bagarreur, agressif, impatient,
et par-dessus tout il la traitait comme sa chasse gardée… Mais…
Elle en pleurait, des fois. Ashram… Enfin, lui, il devait l'avoir oubliée,
depuis le temps, et s'être consolé sans problèmes…
Si même elle lui avait manqué. Elle ne savait pas si elle devait
ou non espérer lui avoir manqué. Si c'était le cas, ce
serait cruel pour lui, puisqu'elle n'allait pas retourner le voir, et si ça
ne l'était pas, c'était cruel pour elle… Parce que lui, il
lui manquait tellement…
Elle en était là de ses réflexions quand elle entendit
piailler deux gourdasses à côté d'elle. Elle n'essaya pas
vraiment d'écouter leur conversation, mais leurs voix étaient
si aiguës qu'elle n'arrivait pas à les bloquer.
-Ouais, je crois que j'vais être souvent malade cette année!! T'as
vu le nouvel infirmier? Il est trop mignon!!
Et quel était le sujet? Des mecs, comme d'hab… Alizea soupira.
-Sans dec'?
-Ouais… Tiens, justement, le voilà, il rapplique par ici…
Distraitement, Alizea jeta un coup d'œil, par réflexe.
Elle retourna à son sac, cherchant un cahier de textes, puis jeta un
autre coup d'œil, pour clarifier la drôle de sensation qu'elle ressentait.
Et manqua en faire une crise cardiaque.
Le jeune homme qui marchait vers elles sans les regarder, vêtu d'une blouse
blanche et portant des dossiers sous le bras, était en effet très
mignon. Mais ce n'était pas ça qui la scotchait.
Cheveux noirs et lisses très longs, à la taille, ramenés
en catogan, grands yeux bleu-mauve, et une démarche pas très assurée,
comme s'il avait des problèmes d'équilibre…
Drao le centaure, l'envoyé de son père.
Non, ce ne pouvait pas être lui, se dit-elle, au bord de la crise d'hystérie,
c'était un humain, et les yeux du centaure qu'elle avait rencontré
étaient franchement violets, pas bleu lilas… Mais elle se rappela
soudain que quand Ashram prenait forme humaine, ses yeux passaient de doré
à vert jaune, la couleur la plus proche disponible chez les humains.
Etait-ce vraiment lui? Ou son désir de retrouver le monde magique lui
occasionnait-il des hallucination?
Mais elle fut vite fixée. Il leva les yeux, l'aperçut, et ses
yeux s'éclairèrent d'un coup quand il la reconnut. Il lui sourit,
comme s'il était heureux de la revoir, et voulut changer de direction.
Malheureusement, il fut intercepté par le directeur.
-Je vais vous montrer les locaux de l'infirmerie, monsieur Chiron (Chiron? Il
avait le sens de l'humour…). Notre établissement est conscient de
la chance qu'il a de posséder un aussi bon infirmier que vous, vous savez,
nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté…
Et il le guida jusqu'à l'infirmerie en continuant son monologue. Elle
vit Drao lui faire un petit signe de la tête avant de s'éloigner.
Drao.
Dans le monde des humains.
Dans SON lycée.
Au nom du ciel, mais POURQUOI? Il devait avoir quelque chose à lui demander,
réfléchit-elle. Mais s'il s'était fait embaucher, c'était
qu'il pensait qu'il lui faudrait du temps pour la convaincre. Alizea ne réussit
pas à savoir si elle était heureuse de le revoir et de pouvoir
obtenir des nouvelles de l'autre monde… Elle avait bien tenté de
l'oublier, mais ça n'avait pas marché… ce monde si étrange…
Elle avait eu l'impression d'essayer d'oublier une partie d'elle-même.
A la récréation, elle se dirigea d'elle-même vers l'infirmerie,
ayant décidé de mettre tout de suite les choses au clair. Elle
ne savait pas trop comment elle devrait se comporter face à lui. D'un
côté, il était très gentil, et il connaissait la
magie qui faisait si fort partie d'elle à présent, de l'autre,
il était envoyé par Gabriel.
-Da… Alizea! s'exclama-t-il en la voyant entrer.
Il s'était repris de justesse avant de l'appeler 'Dame'. Il s'avança
vers elle avec un sourire et l'invita à s'asseoir. Elle obtempéra,
sans lui rendre son sourire. Elle le sonda discrètement comme il s'asseyait
en face d'elle, et s'aperçut qu'il était sous le coup d'un sort
de changement de forme, lancé par quelqu'un dont la signature magique,
bien que d'un niveau incroyablement supérieur, ressemblait fort à
la sienne.
Drao commença par lui envoyer les salutations de son père, mais
elle le pria sèchement d'écourter.
-Pourquoi t'es-tu fait embaucher ici?
-Il me faut une couverture, tout autant qu'un moyen de me payer à manger,
vous savez…
-Ca va faire bizarre qu'un adulte vouvoie une élève, tu sais…
Drao sourit et se pencha en avant.
-Bon… d'accord… Ton père souhaiterait que tu ailles lui rendre
visite à la cité des Anges. Il a une tâche à te confier
qu'il ne peut accomplir lui-même. Il voudrait que tu le retrouve pour
lui permettre de te donner des explications que je ne peux …
Alizea se sentit soudain monstrueusement déçue, et au bord des
larmes. Ce n'était pas parce qu'elle lui manquait qu'il voulait la revoir,
mais parce qu'il avait du sale boulot à lui refourguer.
-Désolée, Drao, le coupa-t-elle, je ne veux pas en savoir plus.
Elle tenta de ne pas voir le regard blessé qu'il lui adressait comme
elle se relevait. Elle était désolée de lui faire de la
peine, mais elle ne pouvait pas en entendre davantage. Elle ne le supporterait
pas.
Elle sortit de l'infirmerie et retourna vers la salle de cours. Les seules places
qui restaient étaient au premier rang. Elle s'assit, toute à ses
sombres pensées. Une des garces tenta de lui faire une réflexion,
mais elle lui intima le silence d'un regard, sans y penser. L'influence mentale,
ça existait aussi en magie blanche, contrairement à ce qu'elle
avait cru…
Le professeur alla fermer la porte. Juste avant qu'il ne la ferme en plein,
on entendit un bruit de course effrénée dans le couloir.
-Attendez, m'sieur!! lança une voix masculine.
Le retardataire entra dans la salle puis alla s'asseoir tout droit à
côté d'Alizea, qui s'était immobilisée alors qu'elle
fouillait dans ses cahiers.
-Salut Aza!
Elle aurait reconnu cette voix entre mille.
Le professeur, agacé, demanda sèchement au voisin d'Alizea de
se taire.
-Ce n'est pas parce que vous êtes passé dans cette classe sans
problèmes que vous pouvez vous dispenser de suivre les cours, monsieur
Astaroth.
Elle tourna doucement la tête, se demandant si ce n'était pas encore
un rêve; elle en avait fait tellement de ce genre-là… En général,
elle se réveillait en sursaut, les bras tendus pour le serrer contre
elle, et éclatait en sanglots comme elle comprenait que ce n'était
qu'un songe.
Ashley faisait mine de prendre des notes. La tête penchée sur sa
feuille, il lui souriait en coin. Elle était tétanisée.
Bouleversée. Ravie. Mais… Que faisait-il là? Comment était-il
arrivé ici? Est-ce que c'était vraiment lui? Oui, c'était
lui… Même si elle n'avait pas reconnu ses yeux et son sourire, elle
n'aurait pu se tromper sur son aura.
Sans cesser de recopier, il glissa une main sous la table et alla doucement
saisir la sienne, qu'elle avait crispée sur son jean en le voyant. Il
la décrispa et la serra dans la sienne, enveloppant son petit poing de
sa paume chaude et de ses longs doigts forts. Elle lui abandonna sa main, le
cœur battant.
Ashram… Comme il lui avait manqué…
-Tu ferais bien de recopier, lui suggéra-t-il avec un clin d'œil
malicieux.
-Mais qu'est-ce que tu fais là?
-Question stupide, je rentre de vacances, c'est bien aujourd'hui la rentrée,
non?
Elle éclata d'un rire nerveux, sans pouvoir se retenir, les larmes aux
yeux. Ce n'était pas drôle à ce point, mais l'émotion
qui l'envahissait toute entière devait trouver une porte de sortie, ou
elle allait exploser. Elle se fit réprimander par le professeur, mais
ça n'allait pas la calmer… La main d'Ashram était toujours
autour de la sienne. Encore heureux qu'elle ait été gauchère…
Mais elle se fichait bien des notes qu'elle prenait mécaniquement. Jamais
une heure de cours ne lui avait paru aussi longue.
Quand la sonnerie retentit, et qu'elle sortit, tendue à l'extrême,
elle se fit la réflexion qu'enfin, après une parenthèse
de six mois, sa vraie vie recommençait. L'arrivée de Drao, puis
d'Ashram… Finie la vie de petite écolière modèle!!
A propos de Drao… Elle n'avait pas senti son énergie, trop occupée
à réfléchir activement sur Ashram et le pourquoi et le
comment il avait fait irruption de nouveau dans sa vie. Il la saisit par le
bras comme elle passait la porte du couloir pour aller dans la cour.
-Alizea, il faut vraiment que je te parle, c'est important!!
Il l'entraîna dans un coin, et elle le suivit sans réfléchir,
trop surprise pour se dégager. Finalement, elle se ressaisit et s'écarta
de lui, reculant contre le mur, et chercha une issue des yeux. Elle ne craignait
pas Drao, mais elle n'avait vraiment pas envie de lui parler, encore moins maintenant.
Un bras surgit entre eux, les séparant. Ashley se plaça entre
la jeune fille et le brun qui la bloquait avec un regard menaçant.
-Laisse ma copine tranquille, demi- canasson, elle veut rien te dire, t'es sourd?
-Mais… Mais… chevrota Drao comme la puissance cachée d'Ashram
se dévoilait à lui. Vous… Un démon?! Mais qui…
Il le reconnut finalement, procédant par élimination. Des démons
amis de la fille de Gabriel, il n'y en avait pas beaucoup, encore moins qui
connaissaient le monde des humains…
-Vous êtes Ashram du clan Astaroth, c'est ça? Que faites-vous dans
ce monde? Vous n'avez pas l'autorisation d'être là!! Et par où
êtes-vous passé? demanda Drao, stupéfait au dernier degré,
mais à voix basse pour éviter d'intéresser les spectateurs
curieux.
-Je suis venu pour voir ma copine, répliqua Ashram sur le même
ton, la menace en plus; et ton autorisation, tu peux te la foutre au cul! Quand
au comment, disons que j'ai des amis parmi les anges…
Il avait dû demander à son frère, pensa Alizea.
-Mais tous les sorts de passage ont été effacée des grimoires
il y a deux mille ans!
-Pas de celui-là, vieille carne.
Et il sortit de son sac le grimoire d'Alizea. Elle s'était toujours demandée
où elle avait pu le perdre. Sans doute pendant l'ouverture du cercle,
s'il était resté dans le monde magique… Comment Ashram l'avait
récupéré, c'était une autre histoire. Elle le prit
avec révérence, ravie de retrouver l'antique recueil, et le serra
contre elle.
Ashley passa son bras autour des épaules d'Alizea et la dirigea vers
la sortie en plantant là le pauvre centaure stupéfait. Ils prirent
ensemble le chemin du retour, marchant côte à côte, comme
avant. Pour un peu, Alizea aurait pu croire qu'ils étaient revenus aux
premiers jours, avant le départ pour le monde magique.
Finalement, elle se ressaisit et se dégagea de son étreinte, s'écartant
légèrement. Elle était ravie et plus de le revoir, mais
si ça se trouvait, il allait lui faire le même coup que Drao, lui
demander de faire elle ne savait quoi…
- T'es vraiment revenu pour moi?
- C'est ce que j'ai dit à l'autre, non?
-Mais ça veut pas dire que c'est forcément vrai, t'es menteur
des fois… répliqua-t-elle, l'habitude de leurs joutes verbales revenant
en force.
-Ben cette fois, je mens pas, lui assura-t-il fortement, détournant le
regard.
Elle le regarda, incertaine d'avoir bien interprété le ton qu'il
avait employé. Il avait l'air… Gêné? Il refusait de
croiser son regard, et il y avait une légère rougeur sur ses joues,
elle en aurait mis sa main au feu. Elle sourit lentement, incrédule et
heureuse de ce qu'elle avait compris.
-Je t'ai manqué? demanda-t-elle en riant.
Il se retourna brusquement comme si elle l'avait insulté.
-PAS DU TOUT!! Ca va pas non?! C'est juste que… J'étais bien content
de rentrer chez moi, mais en ce moment, il ne se passe rien d'intéressant
à Pandémonium. Je m'emmerdais presque autant que quand j'étais
dans le cercle!! Et j'ai plus de chances de voir se passer un truc intéressant
si t'es dans les parages, t'attires toutes les bizarreries…
Elle lui jeta un coup d'œil ironique, et il rajouta, moqueur:
-Et puis, je t'ai toujours pas dépucelé…
-Idiot!! Et puis, comment t'as fait pour revenir?
-Ben, quand j'ai su qu'on brisait le sort de surveillance des pentacles pour
permettre à un des sbires de Gabriel de passer, je me suis débrouillé
pour passer ailleurs en même temps… J'avais récupéré
ton grimoire à côté du cercle que tu avais utilisé
pour partir.
Il haussa les épaules d'un air désinvolte. Mais elle commençait
à bien le connaître, son démon favori.
-Autrement dit, tu t'ennuyais sans moi… C'est bien que je t'ai manqué,
alors!!
Il poussa un hurlement rauque imitant celui d'une bête sauvage et fit
mine de se jeter sur elle pour la dévorer. Alizea poussa un petit cri
de surprise et partit en courant, riant aux éclats. Il se lança
à sa poursuite en riant aussi, jouant à faire semblant de la rater
de justesse pour la faire courir plus vite. Elle se précipita dans un
petit parc, espérant le semer.
Il la rattrapa entre deux buissons touffus. Il avait bien choisi son endroit!!
Personne ne les voyait…
Le cri de surprise d'Alizea fut vite étouffé par le baiser qu'il
lui donna. Il l'enlaça, la débarrassant de son sac, puis passa
son bras autour de sa taille fermement, comme s'il craignait qu'elle ne lui
échappe.
Alizea se laissa aller contre lui, heureuse de sentir son corps si fort, si
rassurant contre le sien… Elle avait eu le temps d'y penser pendant qu'ils
étaient séparés. Ce n'était pas si grave de le laisser
faire… C'était agréable, il avait raison…
Il se laissa glisser à terre, dans les hautes herbes, et elle suivit
le mouvement, en confiance. Il l'embrassait de plus en plus ardemment, sur les
lèvres, sur le visage, dans le cou… La serrant contre lui comme
s'il craignait qu'elle ne disparaisse. Elle accueillait ses baisers avec plaisir,
totalement détendue. Elle avait totalement oublié qu'elle lui
en avait voulu à mort, juste avant de partir. C'était tellement
loin… Elle était maintenant sûre que même s'il ne l'aimait
peut-être pas vraiment, il tenait du moins beaucoup à elle…
Et pas seulement pour son corps, malgré ce qu'il en avait dit, le soir
de la beuverie. Askerian et Uriel avaient été dans le vrai. Son
soulagement était tellement grand qu'elle ne réagit que par un
soupir quand il l'enlaça encore plus serré, la plaquant contre
lui.
-Hum… Excusez-moi, je ne voudrais pas déranger… dit doucement
Drao, debout à quelques mètres derrière eux.
-Pourtant, c'est ce que tu fais, répondit Ashley d'un ton que même
Reiyel, avec son amour de la neige, aurait trouvé insupportablement glacé.
Ashley se releva, poings serrés. Alizea était partagée
entre la gêne que le centaure les ait surpris, la colère qu'il
se même de leurs affaires et sa peur pour lui. Le ton d'Ashram n'augurait
rien de bon pour le pauvre centaure, qui n'était pas de taille, malgré
toute sa bonne volonté et son bon naturel, contre la puissance et la
mauvaise humeur du démon. Ledit démon commençait d'ailleurs
à se voir plus facilement derrière l'humain Ashley. Très
mauvais signe.
Drao déglutit et pâlit visiblement sans reculer d'un pouce, prenant
de plein fouet l'humeur massacrante du démon et sa montée en puissance.
Alizea décida charitablement d'intervenir. Au fond, elle aimait bien
Drao. Ce n'était pas sa faute s'il avait une dette envers son père.
-Du calme, Ashram, dit-elle en le retenant par la manche de son blouson. C'est
seulement un messager… Je vais l'écouter et après il s'en
ira. OK Drao?
- D'accord. Merci de m'écouter, lui reprocha-t-il d'un ton las. Tu ne
m'as pas laissé le temps de finir… Ce problème concerne le
monde des humains. Il est dangereux pour ton peuple. Tu n'as pas le choix de
nous aider ou pas; ce problème, c'est ta faute.
Elle se redressa lentement, stupéfaite. Elle, mettre en danger les humains?!
-Je ne peux pas t'en dire plus moi-même. Il faut que tu retournes voir
ton père pour qu'il t'explique. Et aussi parce qu'il veut te voir en
personne pour des raisons plus… Personnelles. Il m'a chargé de te
dire qu'il t'aime, Alizea. Il t'aime vraiment. Accepte au moins de l'écouter,
lui aussi.
-Il m'aime, sérieusement? demanda-t-elle d'un ton agressif qu'elle regretta
tout de suite. Il a une drôle de façon de le montrer!! … De
toute façon, je ne peux pas, on vient juste de reprendre les cours, je
ne vais pas sécher dès maintenant! Je ne veux pas d'ennuis! Il
n'a qu'à venir lui-même si c'est si urgent!!
-Alizea, soupira Drao, je sais que tu aimes notre monde et que tu ne serais
pas contre le fait d'y revenir… Je le sens, tu te souviens? Quand aux cours,
tu n'en as pas le week-end, si je ne m'abuse… Et nous sommes vendredi.
Elle se prépara donc à partir.
Elle rentra chez son oncle et prépara son petit sac avec le nécessaire,
lui laissant un mot laconique pour le prévenir qu'elle dormait chez une
amie tout le week-end. Puis elle redescendit retrouver Ashram et Drao qui l'attendaient
en bas, au cas où le vieux con aurait été là.
- J'ai tout, lâcha-t-elle, encore agacée d'avoir cédé
si facilement.
-Tu as pris à manger aussi?
-Oui, un peu… J'espère que j'arriverai vite, au moins.
-Alizea… Tu aurais besoin d'aide pour ta mission, tu sais.
-Eh, j'ai pas dit que j'acceptais!! râla-t-elle, plus par principe qu'autre
chose d'ailleurs, et il le savait.
-Tu ferais bien de recruter le plus d'aide que tu pourras là-bas. Moi,
je peux venir avec toi si tu veux jusqu'à la ville des Anges, mais Ashram
ferait mieux de rester là…
-Pourquoi? ronchonna Ashram.
-Tu es entré ici en douce sans l'autorisation du Pacte, et tu comptes
aller attendre la fille de Gabriel devant son palais?
Le centaure était exaspérant de bon sens.
-Exact… soupira le démon. Donc je reste ici…
-Tu sais, Drao, je crois que je peux me débrouiller seule. Je suis assez
maîtresse de mes pouvoirs, et puis… J'aimerais mieux lui parler seule
à seul. Reste ici, toi aussi.
-Comme tu veux, mais je ne sais pas où on t'attendra…
-Moi je sais, soupira Alizea. Allez, suivez-moi.
Elle les conduisit chez la vieille, et sonna. La réponse ne se fit pas
attendre. La vieille dame leur ouvrit le portail et salua Ashram de la tête.
-Alizea… Vous désirez une autre leçon? je ne pense pas que
vous en ayez encore besoin, du moins pas des miennes…
-Non, répondit Alizea, je voulais emprunter votre pentacle, j'ai à
faire 'là-bas.'
La vieille dame hocha la tête et lui ouvrit tout grand la porte.
Une fois à l'intérieur, Alizea eut la surprise de voir des valises
dans l'entrée.
-Bah… Vous partez?
-Oui, je vais visiter la communauté des magiciens aux Etats-Unis. C'était
ça ou ma famille me mettait à l'hospice… Ils n'arrivent pas
à comprendre qu'on puisse atteindre les cent dix ans et toujours se porter
bien dans sa tête autant qu'au physique… rit la vieille dame.
-Je vous comprends! Je ne pense pas qu'ils comprendraient si vous leur disiez
que la magie conserve! sourit Alizea.
-Exact, jeune fille!!
-Madame, demanda brusquement Ashram. Vous serez partie longtemps?
-Euh, je ne sais pas seigneur… Un mois, deux ou trois peut-être même…
-Cela vous dérangerait-il de nous prêter votre maison pendant ce
temps? Je ne sais où loger, je suppose que Drao non plus, et je ne tiens
pas à retourner chez l'oncle d'Alizea.
-Oh, bien sûr que non!! rit la vieille dame. Je cherchais justement un
gardien!! Ce sera un honneur pour moi, seigneur, de vous accepter dans mes murs.
Ashram la remercia d'une brève inclinaison du buste et d'un sourire tout
ce qu'il y avait de charmeur.
-Bon, eh bien, le taxi est là… Je vous laisse les clefs, seigneur.
Faites comme chez vous.
-Je vous remercie infiniment, ma Dame, lui dit-il en lui faisant un baisemain.
Elle gloussa comme une jeune fille et se dirigea vers le taxi, Ashram portant
courtoisement ses valises.
-Eh bé, quelle galanterie!! s'exclama Alizea, stupéfaite, quand
il les eut rejoints.
-Bah quoi, elle nous prête sa baraque… Je pouvais bien faire un effort…
-Si tu pouvais être toujours comme ça… lâcha-t-elle,
moqueuse.
-T'es pas une ancienne! protesta le démon. Dis, Zea… Si tu t'installais
ici, toi aussi? Si ton oncle râle, on l'ensorcelle un coup, et…
-Oh, oui!!! répondit-elle en battant des mains, comme une petite fille.
Ils passèrent deux heures à déménager ses affaires
en passant par la fenêtre, sous sort d'invisibilité, tandis que
Drao s'affairait avec amusement dans la cuisine. Elle s'installa dans une chambre
vide au premier étage. Ashram annexa la chambre à côté.
Drao prit une petite chambre qui donnait sur le salon et la cuisine, au rez-de-chaussée.
C'était génial, elle avait l'impression d'être émancipée,
libre. C'était grisant comme sensation…
Le vendredi soir, une heure avant la tombée de la nuit, elle partit, seule.
[Le centaure et la sirène] [Fenris le Noir du clan de la Lune de Sang]