Cercle de Silence

2e partie: Le Monde Magique

Chapitre 4: L'ange noir

Deux jours plus tard, Ashram lui proposa de venir en ville avec lui. S'ennuyant un peu, et pensant qu'il n'y avait pas trop de risques (il n'allait pas la violer devant tout le monde quand même!), elle accepta. Et puis, ce serait l'occasion de rencontrer son cousin Reiyel, dont les deux frères lui parlaient très souvent.
Reiyel était cousin lointain et ami proche d'Ashram. Lui aussi avait une famille pas ordinaire, même pour cette ville de métissages. Sa mère était un ange déchu (privé de ses droits en tant qu'ange et de la possibilité d'entrer dans une ville d'anges et de fréquenter ceux de sa race), et son père, un démon des Glaces, frère de sang du père d'Ashram.
Le démon lui expliquait tout ça sur son cousin, tout en descendant une rue assez peuplée, majoritairement de démons, mais aussi d'orques, de trolls, de centaures… Qui tous lorgnaient Alizea d'un œil concupiscent, mais n'avaient pas osé s'approcher. Encore heureux pour eux!! pensait-elle en écoutant Ashram. Elle venait d'apprendre d'Uriel qu'un certain sort de protection physique individuelle de gros diamètre, lancé vite tout près d'une personne, avait tendance à projeter ladite personne assez brutalement à plusieurs mètres de distance. Sort qu'elle avait très bien mémorisé.
Ashram avait donné rendez-vous à son cousin à la terrasse d'une taverne. Ils s'assirent donc pour l'attendre, prêts à y passer une petite heure ou deux, l'exactitude, selon Ashram, ne faisant pas partie de la culture des démons et encore moins de celle de Reiyel. Ash commanda un pichet d'une sorte de vin, et se mit en devoir de le descendre tout seul pour passer le temps, Alizea lui ayant rappelé qu'elle n'aimait pas l'alcool.
Quand Alizea lui demanda quelle était la part d'ange que Reiyel avait en lui, Ashram répondit avec un petit rire:
-Ce qu'il a d'un ange? Les plumes.
-Et?
-C'est tout. Et encore, elles sont pas de la bonne couleur. Mis à part qu'il a des plumes au lieu de cuir, il a toutes les tendances du parfait démon, de ceux dont on parle dans votre Bible. Il a presque tous les défauts, j'te jure! Il est voleur comme un pilleur de tombes, menteur comme un arracheur de dents de vampire, aussi bagarreur que moi et trois fois plus vicieux.
-Ca, c'est pas possible, s'exclama Alizea, moqueuse. Et comment il ferait ça? Question vice, t'en connais pourtant un rayon…
-Mais moi, je me limite aux jeunes filles.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Alizea était devenue écarlate.
-Oh, non… Tu veux dire qu'il est…
-Aussi bisexuel qu'un troupeau de phoques hétéros! Et gros, rajouta-t-il pour enfoncer le clou, tant qu'y a un trou, il bourre!
Choquée par les paroles crues d'Ashram, Alizea se détourna. Ashram devait encore exagérer rien que pour la voir rougir, c'était son petit jeu favori… Elle ne le croyait pas vraiment.
-Tiens, quand on parle du démon… ajouta Ashram en vidant son verre.
-On en voit la queue! termina pour lui un jeune homme, qui devait descendre du ciel car Alizea ne l'avait pas vu approcher.
Ce devait être, Reiyel, se dit-elle en voyant les ailes étroites aux fines plumes noires qu'il faisait disparaître.
-C'est une proposition sérieuse que tu me fais, Ashounet? ajouta-t-il avec un sourire encore plus moqueur et vicieux que celui d'Ashram dans ses grands jours.
Il esquiva en riant le coup de poing qu'Ashram faisait mine de lui donner, puis se tourna vers Alizea, l'examinant de bas en haut, la déshabillant du regard, avec sur le visage une expression de loup affamé qui se demande si la brebis qu'il vient de trouver vaut vraiment la peine d'être mangée. Puis il eut un grand sourire, méchant, moqueur… Beau.
C'était vrai que l'ange noir était indubitablement séduisant. Ses yeux étaient allongés vers les tempes, presque bridés, bordés de cils noirs et fournis fabuleusement longs, et ses iris étaient d'un bleu clair froid qu'on ne peut voir qu'au cœur des glaciers. Ses cheveux couleur aile de corbeau étaient fins, très longs, jusqu'aux reins s'ils n'avaient pas été attachés en une queue de cheval haute qui dégageait sa nuque, tirant tous ses cheveux en arrière sauf quelques mèches devant les oreilles et en travers de son visage, qui donnaient encore plus de malice à son regard. Il était beaucoup plus grand qu'Ashram, dans les 1M85 environ, et plus large d'épaules aussi.
-Miam miam! s'exclama-t-il en passant sa langue sur ses lèvres. T'as ramené un souvenir de voyage, à ce que j'vois, mon chéri!!
-Va te faire foutre!! J'suis pas ton chéri et écarte-toi d'elle!! râla Ashram, énervé qu'il se penche sur Alizea.
-Elle est à toi, c'est ça? répliqua Reiyel d'un ton moqueur, sans bouger d'un pouce.
-Oui, elle est à moi!!! Ecarte-toi vite, sinon…
Ashram se leva à demi de sa chaise, arborant un air menaçant que Reiyel ne prit visiblement pas au sérieux. Il ne s'écarta pas le moins du monde, loin de là, et passa même un bras autour de la taille d'Alizea, qui ne savait que faire et était devenue écarlate, gênée autant par sa conduite que par la réponse d'Ashram.
-Reiyel, je te le dis pour la dernière fois.
Reiyel se pencha sur Alizea sans faire mine d'avoir entendu, ravi de pouvoir à la fois lutiner une fille et ennuyer son cousin.
L'ange noir avait fait là une belle connerie. Avant qu'Alizea ait eu le temps de voir quoi que ce soit, le démon avait frappé son cousin d'une droite au menton qui le précipita à terre. Reiyel atterrit sur les fesses, entre deux chaises, renversant une table au passage, et faisant tomber de son tabouret une très belle démone dont il profita de la position pour lorgner sous sa robe. Ashram, excédé, prit une chaise par le pied et la lui lança, espérant attirer son attention.
Reiyel adressa un grand sourire amical à Ashram, et fit éclater la chaise à vingt centimètres de son visage d'un sort de protection de l'Eau. Il avait l'air très doué en magie, vue la facilité qu'il avait eue à sortir le sort, et Alizea fut très surprise et un peu effrayée de la puissance qu'il se mettait à dégager… Il était nettement plus fort qu'Ashram. Elle s'éloigna précipitamment d'une bonne dizaine de mètres, comme tous les spectateurs.
Il se releva, s'époussetant distraitement, souriant toujours, et leva négligemment la main. Une aura bleue en émanait. D'une intensité qu'elle n'avait jamais encore ressentie. Brutalement, sans avertissement, il la lança sur Ashram. A mi-chemin, l'aura prit la forme d'une douzaine d'éclats de glace acérés comme des rasoirs, fonçant droit sur le démon.
Ashram saisit une table par le pied et s'en servit comme d'un bouclier, puis, une fois que les éclats de glace s'y furent incrustés jusqu'à la traverser presque, il la jeta sur Reiyel, et comme celui-ci la déviait sans même la toucher, il se jeta sur lui et le renversa. Ils roulèrent à terre, se battant comme des chiffonniers, échangeant des coups de poing, de griffes, de genoux, comme ils le pouvaient, frappant comme des brutes.
Cette fois, Reiyel était désavantagé, ayant moins de force purement physique, et il saisit la première occasion pour se séparer de son cousin et pour s'écarte d'une roulade.
Ils se relevèrent ensemble, d'un bond, et se préparaient chacun à utiliser un sort, quand le tavernier intervint. Il se précipita sur eux pour leur demander de dégager et d'aller se battre ailleurs, après, bien entendu, avoir payé les dégâts et les consommations. Son fils, qui l'accompagnait, prit très mal l'éclat de rire de Reiyel et se précipita sur lui pour "le lui faire rentrer dans la gorge".
L'ange noir prouva à Alizea qu'Ashram n'avait pas exagéré tant que ça sur ses mœurs. En clair, il saisit le jeune homme par la taille d'une main, le plaquant contre lui, tandis que, profitant de son déséquilibre, il lui roulait une pelle, et lui pelotait les fesses bien comme il faut de sa main libre. Puis, avant qu'il ne soit revenu de sa surprise, il l'envoya valdinguer à quelques mètres, accompagné d'une tape sur le postérieur. Le père, outré, allait à son tour se précipiter, quand Ashram lui lança sous le nez un joli petit mur de flammes. Le tavernier stoppa net. Il semblait avoir enfin réalisé de quelle caste de pouvoir étaient ses deux clients, et se mit à trembler.
-Pitié, nobles seigneurs, ne faites pas de mal à mon fils!! Sinon, qui m'aidera à la taverne? Et ne détruisez pas mon établissement!!
-Si t'as plus de taverne, suggéra Reiyel en riant, t'as qu'à te reconvertir dans la maison close!! T'as déjà un employé plus qu'appétissant! ajouta-t-il en lorgnant le fils, qui devint écarlate quand l'ange noir lui lança un baiser et un clin d'œil.
Il regarda Ashram, puis laissa s'évanouir son sort.
-Tavernier, ajouta celui-ci, mains sur les hanches, il n'est pas question de te payer les réparations, mais si tu nous sers du vrai vin et pas de cette piquette, peut-être qu'on te laissera un pourboire…
Il chercha Alizea du regard, puis lui fit signe de les suivre au fond de la salle, où ils s'assirent.

Pendant des heures, elle les regarda se saouler en racontant toutes les histoires de cul les plus scabreuses dont ils avaient entendu parler, ou qu'ils avaient commis eux-mêmes, se disputer sporadiquement, s'insulter, se réconcilier, avaler bien plus de litres d'alcools divers que l'estomac pouvait censément contenir, chanter les chansons paillardes les plus choquantes qu'on ait jamais chanté dans les bouges les plus mal fréquentés, draguer toutes les serveuses et les clientes, et, dans le cas de Reiyel, les serveurs et les clients aussi…
Quand Ashram fut presque par terre, il fit, très sérieusement, jurer à Alizea qu'elle ferait tout pour le défendre si l'ange noir voulait profiter de son état pour tenter de le violer. Reiyel, quand à lui, le remercia de l'idée qui ne lui était pas venue, puis promit tout aussi sérieusement à Ashram que dès que celui-ci serait majeur, il l'épouserait, puis, à Alizea, qu'il la dépucellerait, et bien mieux que ne saurait le faire Ashram, lequel était encore un gamin ne connaissant rien au sexe. Ledit gamin, se levant pour le frapper, tout en beuglant qu'Alizea était à lui et qu'il arracherait les couilles du premier qui poserait la main sur elle, s'écroula par terre, vaincu par l'alcool, et malgré tous ses efforts, ne put se relever, assommé pour le compte, sur quoi Reiyel déclara enfin qu'ils avaient assez bu pour aujourd'hui.
Quand le tavernier se présenta pour leur demander de régler l'addition, Reiyel (qui tenait apparemment mieux l'alcool qu'Ashram, lequel se débrouillait déjà pas mal) lui déclara tout net:
-Il n'est pas question que je paye si c'est toi qui présentes la note.
Le père hésita longuement, déchiré entre son amour pour son fils et son besoin d'argent pour réparer les dégâts, et finit par se résigner à appeler son rejeton. Le pauvre jeune homme s'approcha avec une réticence compréhensible, et une tête de condamné à mort, pour recevoir l'argent. Avec un grand sourire quelque peu aviné, Reiyel fouilla quelques instants dans sa bourse, puis il en eut assez de ne pas trouver ce qu'il voulait et la lui donna carrément, la jetant sur la table. Quand elle s'ouvrit et que son contenu se répandit sur la table, Alizea put constater qu'elle était bourrée de pièce d'or. Et vu la tête des tavernier, c'était bien plus que ce qu'ils attendaient.
Reiyel se releva difficilement, se raccrochant à Alizea pour ne pas tomber -tout en en profitant pour glisser sa main sur sa taille-, puis déclara avec l'éloquence pompeuse du type qui commençait à être considérablement habitué aux éléphants roses -ou aux dragons à pois, comme on disait ici:
- C'est assez pour que vous nous appeliez un coche, je suppose?
Il ne fit pas mine d'entendre la répartie du fils ("c'est assez pour vous en acheter trois, oui!!"). Mais il lui laissa quand même un "pourboire".
Sa main aux fesses.

Reiyel, qui faisait partie des très rares personnes chez qui la magie noire n'annulait pas la blanche, avait grâce à son ascendance d'ange accès à quelques sorts mineurs de guérison, et entre autres à un sort dont Alizea n'aurait jamais imaginé l'existence, et qui avait comme fonction de faire disparaître les symptômes désagréables de l'ivresse.
Malheureusement, ce sort, il ne pouvait le faire marcher que sur lui. Il arriva donc à marcher à peu près droit.
Quand à Ashram, il était tellement bourré qu'il ne tenait presque plus sur ses jambes. Reiyel voulait bien l'héberger pour ce soir dans sa propre maison, mais pour le mettre au lit, ce fut le problème d'Alizea. L'ange noir était quand même trop mal en point pour saisir sa chance de concrétiser ce dont il menaçait son cousin toute la journée.
Le conducteur du coche, moyennant un petit pourboire, l'aida à porter le démon jusque dans le salon. Elle réussit ensuite toute seule à le tirer vers la chambre d'amis et à le hisser tant bien que mal sur le lit.
Mais elle ne s'attendait pas à ce que, dans son état, il lui restât assez de force pour la retenir contre lui quand elle voulut se dégager, grâce au bras qu'il avait passé autour de sa taille quand elle l'aidait.
-Ashram, ça suffit, lâche, demanda-t-elle d'une voix lasse tandis qu'il l'attirait contre lui.
Il tira sur sa chemisette et posa une main sur sa cuisse, et elle tenta de se dégager.
-Ashram, arrête!!!
Sa bouche se posa sur son cou, et il lui mordilla l'épaule. Elle savait bien que mordiller, ça pouvait être un jeu assez agréable, mais pas aussi fort!! Pour un peu ses crocs allaient lui percer la peau…
-Tu me fais mal, arrête!!
Elle se débattit, mais il refusa de la lâcher.
Et soudain, elle eut peur.
Son regard avait perdu toute sa tendresse, tout son humour. Il était devenu froid et agressif, et bien déterminé à aller jusqu'au bout.
Il la serrait si fort qu'il lui fit mal. Elle tenta de le repousser, mais il ne fit même pas mine de s'en apercevoir. Uriel avait eu raison, il était bien trop fort pour elle… Elle commençait à avoir vraiment très peur. Le type qui la serrait contre lui à l'en faire hurler n'était pas l'Ashram qu'elle connaissait. On aurait dit que l'ivresse faisait disparaître tout son côté ange. Le vrai démon prenait le contrôle, et il était bien déterminé à la violer, comprit-elle avec un début de panique.
-LACHE-MOI!!! cria-t-elle en le bourrant de coups de poing, mais il ne semblait pas entendre ni ressentir quoi que ce soit.
Il arracha son chemisier, le déchirant de haut en bas.
-NOOON!!! ARRETE!!! hurla-t-elle, paniquée, se débattant de toutes ses forces.
Peine perdue. Ses gestes n'étaient pas très précis ni très vifs, mais suffisants pour lui interdire le moindre mouvement tandis qu'il déchirait ses vêtements, n'ayant pas la patience de la déshabiller plus doucement. Et il ne lui donnait pas la moindre occasion d'échapper à son étreinte, à demi couché sur elle… Il se collait à elle en se débarrassant comme il pouvait de ses propres habits, l'embrassant jusqu'à la morsure, la caressant si violemment qu'il la meurtrissait… Alizea était totalement paniquée et il lui sembla qu'elle allait s'évanouir. Se débattre n'avançait à rien, juste à ce qu'il soit plus brutal… Et elle était si faible à côté de lui…
Elle se rendit compte soudain, à travers sa terreur, qu'il avait cessé de bouger. Au bout de longues minutes où elle attendait la fin du répit, elle osa remuer. Il l'étouffait sous son poids, totalement inerte. Elle se tortilla, puis réussit à le repousser suffisamment pour se glisser d'en dessous de lui, sa panique lui donnant des forces.
Il s'était endormi, assommé par tout l'alcool qu'il avait ingurgité dans la soirée. Il ronflait.
Elle s'enfuit de la chambre en pleurant, seulement vêtue de sa culotte et de la chemise déchirée. Elle passa la nuit dans le couloir, recroquevillée dans un angle pour échapper aux courants d'air qui faisaient baisser la température déjà glaciale que Reiyel semblait adorer. Elle n'avait pas très envie d'aller le trouver en pleine nuit pour lui demander quoi que ce soit. Il serait comme Ashram… Quoique peut-être moins brutal. Mais pour le même résultat.

Le lendemain matin, elle se réveilla en sursaut. Ashram venait de sortir de sa chambre et avançait vers elle d'un pas incertain, se tenait le crâne comme s'il craignait que sa tête ne tombe. Il devait s'appuyer sur le mur pour ne pas tomber. Il l'aperçut et la dévisagea, surpris.
-Bah, kestufous là? T'as pas passé la nuit dans le couloir quand même?!
Elle se redressa, le dévisageant pendant cinq bonnes minutes avant de se décider à lui répondre. Il avait essayé de la violer et maintenant il la regardait comme s'il la trouvait folle… Comme s'il n'avait pas la moindre idée de ce qui lui avait pris de dormir dans un endroit aussi inconfortable. On aurait dit qu'il avait tout oublié…
-Tu ne te souviens pas de ce que tu as fait hier? demanda-t-elle d'une voix à l'hystérie difficilement maîtrisée.
-Ben… J'me suis bourré la gueule, mais à part ça… soupira-t-il. J'ai encore fait une connerie?
-Tu as voulu me violer, répondit-elle avec une violence contenue. Et si tu t'étais pas endormi tellement t'étais bourré, j'y serais passée.
-Quoi?! s'exclama-t-il. Mais, j'ai pas réussi, t'as dit?!
-Non, mais c'était juste, soupira-t-elle, commençant à se calmer.
S'il ne se souvenait plus de ce qu'il avait fait, c'était qu'il n'était pas vraiment responsable…
-Tant mieux… franchement, j'ai fait des trucs cons, mais te dépuceler et pas m'en souvenir, j'l'aurais regretté toute ma vie!
Il aurait REGRETTE DE NE PAS S'EN SOUVENIR. Elle cria, révoltée :
-Et me violer, tu l'aurais pas regretté?!! Enfoiré!!!
Il se redressa, la toisant d'un air froid.
-Non, pas vraiment. C'est vrai que j'aimerais mieux que tu sois consentante, mais si tu me fais trop attendre… J'éviterai toujours au maximum de te brutaliser, mais ne compte pas que j'attende toute ta vie.
Pendant longtemps, elle le fixa, abasourdie, entendant presque ses illusions sur lui s'écrouler avec fracas. Au fond, il était bien un démon comme les autres, dans le vrai sens du terme… Seulement, quand il était ivre, il ne le cachait pas.
La claque n'avait pas fini de résonner sous le haut plafond qu'elle avait tourné les talons, se dirigeant au pas de course vers la chambre de Reiyel. Elle entra en faisant taper la porte dans le mur, et arracha ses couvertures pour le réveiller. Il dormait nu, mais ce n'était pas ce qui allait la gêner, dans l'état d'esprit où elle était.
-Oh, charmant réveil, bâilla-t-il en souriant à sa tenue pour le moins déshabillée.
-Trouve-moi des habits et dis-moi comment rentrer chez Uriel.
-Hein? demanda-t-il, encore à moitié endormi. Pourquoi, des habits? J'te trouve bien comme ça…commença-t-il à plaisanter.
Mais un regard à son expression l'arrêta net. Elle serrait les dents et son regard était d'une fixité effrayante.
-OK, mettons que je n'aie rien dit… Y a des habits de femme dans le placard du fond, tu devrais en avoir à ta taille sans problèmes si j'ai bien noté les mensurati… OoooKay. Patapé, hein? Habille-toi, conseilla-t-il en tentant de changer de sujet, une sueur froide au front devant son regard meurtrier. J'te raccompagnerai.
Il s'assit au bord du lit pour la regarder fouiller dans son placard, y mettant au passage un bordel pas possible. Quand elle eut trouvé une robe moins déshabillée que les autres- mais très sexy quand même- elle se retourna vers lui et le regarda en soupirant.
-Reiyel, s'il te plaît…
-Quoi? Oh, excuse-moi…
Et il se tourna.
- J'aime bien le miroir que tu as collé derrière ta porte, Reiyel… dit-elle avec un sourire forcé sur les lèvres qui prédisait que le sourire n'allait pas tarder à se changer en rictus de fou homicide. Tu peux pas plutôt "sortir"? demanda-t-elle en insistant lourdement sur le "sortir".
-Oh, franchement, t'es pas sympa, dit-il en obtempérant, ses propres habits sur le bras.
La robe était faite de tissu, assez large, mais ouverte jusqu'en haut des cuisses; quand au dos, il était ouvert jusqu'aux reins… Mais à comparé des autres, on aurait dit un habit de nonne. Une fois habillée, elle sortit de la pièce, et fut accueillie par un Reiyel admiratif, mais qui se tint à distance quand il eut constaté que son expression n'avait pas changé.
-Dis, Reiyel, simple curiosité… Qu'est-ce que tu fous avec autant de robes dans ton placard?
-Oh, j'en fais collection… En général, je les ai trouvées tellement sexy sur la fille qui les portait que je les ai gardé en souvenir.
Elle lui jeta un regard affligé, se demandant avec quoi sur le dos la fille en question repartait, puis sortit. Il la raccompagna, la guidant dans la ville. Mais à un moment, il la laissa seule, au cri de "Wahou, mais j'l'avais jamais vue cette vendeuse ici!!". Elle haussa les épaules, affligée, et continua lentement, espérant qu'il la rattrape avant la fin de cette rue pour lui dire où il fallait tourner.
Un mouvement d'énergie derrière elle l'alerta et elle se retourna lentement. Six démons commençaient à l'encercler. Elle ressentait leur puissance au moins de haute bourgeoisie, peut-être même de basse noblesse, comme Ashram. Elle aurait pu crier pour alerter Reiyel, mais elle était bien trop en colère pour ça. Elle les laissa approcher à moins de deux mètres, puis, souriant sadiquement, elle déploya son sort de protection le plus vite qu'elle put, en envoyant voler la moitié dans les murs. Mais les trois autres résistèrent, reculant tout au plus de quelques pas.
Elle les observa de bas en haut, toujours avec le sourire. Et laissa jaillir toute sa puissance, prête à en découdre, en leur déclarant d'une voix faussement douce:
-Vous voulez vous battre, mes chéris? A votre service!
Les démons échangèrent un regard, puis s'enfuirent à toute allure. Elle les regarda partir avec un mépris absolu. Bande de lâches!! Quel dommage, se bastonner lui aurait fait tant de bien…
Reiyel alerté -un peu tard- par son aura, se dirigeait en courant vers elle, l'air abasourdi. Elle se rendit compte que ce n'était pas elle qu'il fixait, mais quelque chose au-dessus. Se calmant, elle se rendit enfin compte qu'il y avait une chose de bizarre dans sa perception de son corps… Dans son dos. Elle ramena lentement une aile devant son visage, et passa la main sur les plumes si blanches, le visage sans expression.
-On y va, Reiyel.
Il lui obéit sans discuter.

[Une famille composite] [Papa]