o O @ o O @ O o @ O o
-Pardon?
Je cligne des yeux, bêtement. Je suis sûrement mal réveillé.
Heero se tient devant moi, debout à côté de mon lit. Je
le regarde, yeux légèrement exorbités. Il n'y a pas moyen
que j'aie entendu ce que je crois avoir entendu.
-Excuse-moi, je suis mal réveillé
j'ajoute avec un sourire
nerveux. Tu pourrais répéter s'il te plaît?
Il ouvre la bouche. Cette fois, je m'assure de bien lire sur ses lèvres,
si par hasard une distorsion de l'air avait changé ce qu'il avait dit
la dernière fois sur le trajet entre sa bouche et mon oreille.
La bouche énonce la même chose que mes oreilles entendent, encore
une fois.
-Quoi?! je m'exclame.
Je suis trop stupéfait sur le moment pour me soucier de la manière
dont mes mots peuvent le toucher en ce moment précis.
Il le répète encore, et cette fois-ci, c'est encore plus bas,
comme un murmure. Les yeux baissés, déjà en train de tourner
les talons vers la porte, il prépare déjà sa fuite. Mais
après tout je ne lui ai pas donné de raison de penser que j'accepte
qu'il reste. Mais ce n'était pas pour être méchant, juste
parce que
De toutes les choses qu'il aurait pu dire, celle-ci n'était
même pas sur ma liste des choses extrêmement hautement improbables
même dans un million d'années et avec une méga cuite.
-Je
t'aime, Duo
Je n'arrive pas à réagir et reste là à le regarder,
bouche ouverte, il rond, un vrai poisson hors de l'eau. Non, non, ce n'est
pas du tout une réplique Yuyesque, ça. Je vais te tuer, par exemple,
c'en est une bonne. Ou boucle-la, Duo. Ca aussi c'est une bonne réplique
venant de lui. Ou espèce de baka. Des trucs comme ça.
Il tourne les talons et se dirige vers la porte. Tiré de ma stupeur,
je lance un bras en avant et le retiens par le poignet. Il se retourne, le visage
volontairement inexpressif. Comme l'expression qu'il porte toujours, un mélange
d'indifférence et d'agacement qui crie: laissez-moi tranquille si vous
ne voulez pas mourir dans d'atroces souffrances, je suis très bien sans
vous. Exactement comme d'habitude, même le froncement de sourcils. Qu'est-ce
qui me fait comprends que ce n'est qu'un masque? Seulement le souvenir de ce
qu'il vient de me dire? Ou bien peut-être quelque chose au fond de ses
yeux
Voilà c'est ça, c'est ses yeux. La glace est brisée
et dessous, je peux voir une foule d'émotions qui se pressent, s'entremêlent.
Je le croyais dépourvu de toute émotion. Elles étaient
particulièrement bien réprimées, il faut le dire.
Celle qui domine est
La souffrance. La détresse. Pourquoi?
Oh mon dieu je suis si stupide, il pense que je l'ai rejeté
Et
sa douleur est telle, je la vois, que je ne peux pas le laisser comme ça.
Heero est mon meilleur ami après tout, je refuse de le blesser de cette
manière alors qu'il a laissé glisser l'armure qui le protégeait
rien que pour moi. Il m'a donné une ouverture et je pourrais lui faire
tant de mal rien qu'avec un mot de travers
Oh seigneur, pendant un moment
j'ai peur de l'achever.
-Je
Ne sais pas quoi dire, j'avoue en baissant les yeux, mais sans lâcher
son poignet.
Si je le lâche, il va se mettre à courir et jamais je ne le reverrai
pas le vrai Heero du moins, ce Heero que je vois depuis la première fois,
le réel, celui qui ressent. Juste cette marionnette de petit soldat.
Il fera semblant de rien, comme si rien ne s'était passé, et il
mourra lentement à l'intérieur de sa coquille
-Je
Heero
C'est juste
Je ne veux pas te rejeter, mais
-Je sais, tu ne ressens pas la même chose, répond-il à voix
basse, sans me regarder. Je ne m'y attendais pas.
-Ce n'est pas ça!!! Heero, je ne sais même pas ce que je ressens
en ce moment!! Tu m'as pris par surprise, ok? Donne-moi un peu de temps pour
Pour enregistrer ce que tu viens de dire, d'acc? J'ai juste un peu de
mal à
Je fais des gestes avec mon autre main, mais je me garde bien de le lâcher.
Il a toujours ce regard de chien battu et abandonné au bord de l'autoroute.
Et il ne cesse de calculer la distance qui le sépare de la porte.
-Ecoute, laisse-moi quelque temps pour penser à ce que tu viens de me
dire, et ce soir, on en reparlera, tu veux? je lui propose d'une voix douce.
Jamais j'emploierais ce genre de voix avec lui en temps ordinaire, ni à
moins d'une centaines de mètres d'un adulte, seulement pour un enfant
mais il me semble si fragile soudain, si innocent, que je ne peux faire autrement
que de prendre la voix que Père Maxwell utilisait sur les nouveaux qui
avaient des cauchemars à l'orphelinat. N'importe quoi d'autre d'un soupçon
plus rude serait mal pris.
Il acquiesce à ma proposition, mais je peux bien voir que c'est parce
qu'il panique et regrette ce qu'il m'a dit, et serait prêt à dire
oui à n'importe quoi pourvu qu'il puisse sortir d'ici et ne plus jamais
avoir à me regarder en face.
Soupirant, je le lâche
et l'arrête juste au moment où
il pose la main sur la poignée.
-Heero
Tu m'as pris au dépourvu. Laisse-moi juste un peu de temps.
Mais en tout cas, ne va pas penser que je vais te détester pour ça,
OK? Tu es mon ami et tu le resteras quoi qu'il arrive. D'accord?
Il hoche la tête en silence, puis ouvre la porte et la referme derrière
lui, silencieux comme une ombre. Je ne sais pas si ce que je lui ai dit s'est
vraiment gravé dans son crâne que je sais plutôt dur, mais
en tout cas j'aurai fait ce que j'ai pu pour limiter la casse
Je retombe
sur mon oreiller, mes pensées entrant dans une danse folle.
Heero est mon partenaire uniquement suite à un ordre, sinon jamais il
ne se serait associé à un baka mal discipliné. Heero est
le meilleur hacker qui existe; toujours rivé à son ordinateur.
Heero est un putain de sacré bon pilote; LE meilleur, en fait. Heero
est la seule personne au monde qui ne sourie jamais à mes blagues. Heero
est froid, non émotionnel, non expressif. Heero est un tueur, l'un des
hommes les plus dangereux et les plus intelligents au monde. Heero ne m'adresse
la parole que pour me dire de me la boucler ou m'envoyer balader, ou me parler
d'une mission à la rigueur. Heero n'a pas de VIE hors de la mission.
Heero m'aime.
Il m'aime. Moi.
Faut pas le prendre du mauvais sens, mais
Qu'est-ce que j'ai fait pour
mériter ça? Je ne suis pas sarcastique en disant ça. Je
me demande, c'est tout. Je me demande vraiment. Je ne comprends pas.
Finalement, je ne vais pas en cours. Je suis trop bloqué pour penser
à autre chose qu'à la confession de mon camarade. Je vais m'installer
sous un arbre et je m'étale sur le dos, bras croisés derrière
la tête, et je pense. Et puis je pense encore un peu. Pis encore un peu
plus.
Le soir venu j'ai le cerveau prêt à me dégouliner par les
oreilles.
C'est bientôt l'heure à laquelle il finit les cours. Je retourne
au dortoir. Et j'attends.
-Si tu essayais d'attendre que je dorme pour éviter d'avoir à
me parler, c'est raté.
Pendant un quart de seconde, Heero se fige et a un air presque penaud avant
de se faufiler dans la chambre sombre. C'est là que je me rends compte
à quel point il est nerveux et tendu. Mais il faut qu'on parle, et on
parlera. Je lui ai promis qu'on le ferait; je ne mens jamais.
Je tapote le lit à côté de moi. Une distance correcte je
trouve, pas trop loin pour qu'il ne se sente pas rejeté, pas trop près
non plus. Normalement je m'en fous, j'adore les contacts, je tripote tout le
monde, mais là c'est pas le moment.
-Tiens, viens t'asseoir là, je lui demande de ma voix-spéciale-Heero-émotionnel.
Il obéit, ne me regarde toujours pas. Je saisis son menton, tourne son
visage vers moi, fermement.
-Heero, regarde-moi, s'il te plaît.
Il essaye, je peux voir qu'il essaye. Mais sa honte est trop forte et il garde
les yeux baissé
Même s'il ne retire pas son visage de sous
ma main.
J'enlève ma main, doucement. Il faut toujours que je trouve un juste
milieu avec lui en ce moment, dire qu'avant je croyais qu'il se foutait de tout
Mais sur ce plan là il n'a aucune confiance en lui, ça je peux
le voir. Si j'ôtais ma main trop vite, il croirait qu'il me dégoûte.
Ce n'est pas vrai.
-Dis, tu pourrais me raconter pourquoi au juste tu as commencé à
t'intéresser à moi? J'aimerais comprendre mieux
J'avoue
que je ne te connaissais pas aussi bien que je le croyais, jamais je ne l'avais
imaginé
Je veux dire, je savais que tu m'appréciais, au
moins un peu, je SAVAIS que j'avais réussi à passer tes défenses
et que tu me considérais presque comme un ami, mais y avait juste des
moments où je me demandais si je le savais pas comme Relena sait que
tu l'aime, si tu vois ce que je veux dire
Tu ne donnes pas tellement d'indications
Heero grimace. J'ai touché un nerf. Alors il n'apprécie pas la
petite princesse?
-Heero
Pourquoi moi? Pourquoi pas Quatre? Il est tellement gentil
Ou Trowa, vous vous comprenez lui et toi!
Il a un micro sourire.
-J'aurais pas voulu les séparer, chuchote-t-il, et je reste là
à le fixer, ébahi.
Il vient de faire une plaisanterie. Je laisse échapper un petit rire
plus surpris qu'autre chose.
-Ca a commencé comme de la simple curiosité
Je ne te comprenais
pas. Je ne te comprends toujours pas d'ailleurs. Mais
Je n'arrivais pas
à saisir comment tu faisais. Tu es un soldat, tu tues des gens, tu fais
des choses extrêmement dangereuses requérant un maximum de concentration
et de talent, et
Tu passes ton temps à faire le clown, à
rire
Je ne comprenais pas comment tu pouvais réussir avec une attitude
aussi désinvolte. Je me disais que tu ne comptais que sur ta chance et
que bientôt, tu n'en aurais plus et tu serais tué
Et ce serait
bien fait. Je te méprisait à l'époque, et tu n'inspirais
pas un énorme respect.
Il me jette un regard d'entre ses cils et je hoche la tête, lui laissant
comprendre que je ne suis pas vexé.
-Et puis
Tu n'as pas été tué. Tu continuais à
combattre et tu continuais à réussir. Et je me suis mis à
t'observer de plus près. Je me suis rendu compte que même si tu
semblais te reposer uniquement sur la chance, tu étais en fait plus professionnel
que ça, bien plus
Et j'ai commencé à t'estimer un
peu plus. A me méfier de toi aussi. Je suis dangereux et je le montre.
Tu es dangereux et personne ne s'en douterait; ça te donnait un avantage.
J'ai commencé à me sentir entrer en compétition avec toi.
C'était idiot bien sûr
Mais tu étais trop mystérieux
pour que je puisse te juger exactement, alors je n'arrivais pas à te
saisir
A savoir où exactement tu te situais par rapport à
moi. C'est devenu un de mes hobbies favoris, t'observer, décortiquer
tes faits et gestes
Mais tu ne révèles jamais rien. J'ai
passé des heures à t'écouter et tu n'as jamais rien dit
d'importance. Rien dit qui aurait pu me donner un indice de ce qu'il y avait
derrière
Derrière le masque.
Je tremble, imperceptiblement. Il me regardait depuis tout ce temps
? Et
je n'ai rien vu, rien du tout
Je sentais bien qu'il m'observait, mais
il fait ça avec tout le monde, il se concentre sur tout le monde, c'est
un de ses trucs de soldat parfait; je n'avais pas réalisé que
je recevais tellement plus d'attention
Sans doute parce que nous sommes
toujours ensemble. Parce que je passe mon temps à essayer de me frayer
un passage derrière ses yeux de glace, pour découvrir l'humain
au sang chaud qu'il y a derrière
Et il faisait la même chose.
Pendant tout ce temps nous avons été chercher derrière
le masque de l'autre et nous n'avons jamais réalisé que l'autre
faisait pareil.
-Tu laissais aller tes émotions librement, mais quand à tes pensées
J'avais l'impression que tu réfléchissais sur trente niveaux en
même temps, tu sautes d'un sujet à l'autre sans aucune logique
apparente et je ne comprenais pas, j'étais tellement frustré
Je me suis mis en colère contre toi, plusieurs fois. Je n'avais jamais
été en colère contre quiconque avant. Agacé, oui,
gêné, oui, mais en colère
Tu avais réussi à
passer mes défenses et je n'avais pas compris comment. Et malgré
toutes les fois où je te repoussais, tu revenais, tu m'offrais de l'amitié,
moi qui ne savais même pas que ça pouvait exister, et tu ne me
demandais rien
Et ça me faisait bizarre. Je cherchais le piège,
sans arrêt. Il y avait forcément un piège, forcément.
Mais tu m'ouvrais tes émotions et tu m'autorisais à te faire du
mal sans rien demander en échange et je
Je ne sais pas. Et après
la colère, il y a eu d'autres choses. La surprise, plusieurs fois. Quand
tu préparais le petit déjeuner pour moi, ou que tu restais éveillé
à m'attendre au retour d'une mission
Et
de la.. gratitude,
je crois
Je ne sais pas, je ne sais pas, c'était
D'autres
choses, d'autres
émotions
Je croyais qu'elles étaient
mortes.
J'ai la lèvre inférieure qui tremble maintenant. J'espérais
qu'il apprécie l'amitié que je lui offrais, j'espérais
qu'il se réchauffe
Je pensais que ça ne marchait presque
pas. Qu'il me faudrait des siècles avant d'éroder complètement
sa coquille. Jamais je n'ai imaginé que je l'avais atteint si profondément.
Si j'avais su, je
Qu'est-ce que j'aurais fait? Je ne sais pas si j'auras
changé ça. Je veux dire, c'est ce que je voulais, non? lui apprendre
à ressentir à nouveau? J'ai réussi, au delà de toutes
espérances.
Comment est-il passé si discrètement de pas d'émotions
du tout à une telle intensité?
Je commence à comprendre. Il les avait réprimées depuis
si longtemps que quand elles ont été libérées, c'était
comme si elles étaient toutes neuves. Pas encore usées.
-Et puis cette soirée
Tu te souviens après la mission avec
Trowa? Quand tu nous as expliqué pourquoi tu t'appelais Shinigami, que
tu nous as raconté ton passé
J'étais
Stupéfait.
Je veux dire, que tu étais intelligent et dangereux, je l'avais déjà
compris avant, mais que tu aies autant souffert, jamais je ne m'en serais douté
Tu es toujours si gai et optimiste
Tu es passé par l'enfer et tu
étais toujours d'accord pour offrir ton cur comme ça, alors
qu'il avait déjà été brisé je ne sais combien
de fois
Tu n'avais pas peur d'avoir mal encore une fois. Ca
Je ne
sais pas, ça m'a fait bizarre. Et cette nuit-là, quand je t'ai
vu recroquevillé sous la fenêtre
Tu ne t'autorises pas à
verser une larme éveillé, mais
Tu pleurais Duo, tu pleurais
dans ton sommeil, et je savais que le lendemain tu sourirais de la même
manière qu'avant. Et que tu ne ferais pas semblant. Comme si de rien
n'était. Je crois que c'est cette nuit-là que
Cette nuit-là
que j'ai commencé à vouloir te protéger. Sauf que je ne
savais pas comment, se met-il à rire, amèrement.
Je ferme les yeux, brièvement. Oh oui, il m'a vraiment observé
de près. Je me rappelle cette soirée. J'en avais assez, et j'ai
craqué. D'habitude je fais toujours en sorte de garder les autres pilotes
à peu près de bonne humeur, de sourire sans cesse
Mais ce
soir-là j'en avais trop marre pour continuer la mascarade. Pas que je
fasse tout le temps semblant, non, mais quand les temps sont durs, il en faut
bien un pour rendre un peu d'optimisme aux autres.
Sauf que ce soir-là, l'école où nous étions cachés
s'était retrouvée détruite. Avec tous les amis que je m'y
étais fait
Les filles avec lesquelles j'étais sorti
Les garçons avec qui j'avais ri et joué au basket
Ca faisait
mal. Ca fait toujours plus mal quand ce sont des gens de votre âge. Encore
plus quand ce sont des personnes qu'on connaît. Et j'avais craqué,
mais ils s'étaient contentés de me dévisager puis de me
laisser seuls. J'avais cru qu'ils s'en fichaient. Du moins j'avais cru que Trowa
ne savait pas trop quoi faire, handicapé émotionnel lui aussi,
et que Heero s'en foutait royalement, totalement amputé des sentiments.
Ca m'avait fait presque aussi mal que le reste.
-C'est cette nuit que j'ai commencé à tomber amoureux de toi,
souffle-t-il.
Il se tait, le regard fixé sur ses mains. Jamais je n'aurais pensé
qu'il puisse parler aussi longtemps. Ca me fait plaisir qu'il se soit forcé.
Mais à mon avis il gardait ça enfermé en lui depuis si
longtemps qu'il commençait à en avoir gros sur le cur; une
fois qu'il a été lancé
Il a l'air si seul, si fragile
Je passe un bras autour de ses épaules.
-Merci de m'avoir expliqué, Heero. Merci.
Je l'embrasse sur la joue, tout doucement. Je ne l'aime peut-être pas
comme il m'aime moi, mais j'ai de l'affection pour lui; énormément.
Et une grosse poussée de tendresse.
Il se tend sous mon bras, et un instant je me demande si je n'ai pas fait une
erreur. Il bouge, mais se retient au dernier moment. Je comprends qu'il voudrait
rendre l'accolade mais qu'il n'ose pas, effrayé que la signification
ne soit pas la même chez lui que chez moi.
-Duo
Sa voix s'étrangle d'émotion.
-Hmm?
-Duo, ce n'est pas seulement platonique
L'attraction que je ressens; ce
n'est pas juste moralement
Je rougis un poil et relâche un peu mon étreinte. Ca doit être
ma hanche contre la sienne qui le gêne. Je me recule.
Bon sang, même son cou est écarlate.
-Heero, je comprends que tu aies env
Sois attiré physiquement par
moi, ce n'est pas si grave, je réussis à dire, mais ma voix est
quand même un peu forcée.
-Ca ne te dégoûte pas? me demande-t-il, d'une toute petite voix
de petit garçon. Je ne sais pas comment arrêter ça
-N'arrête pas alors. Tu as le droit de penser ce que tu veux, c'est ta
tête
C'est normal pour un ado en pleine santé, tu sais.
-Normalement, les garçons n'aiment pas savoir que
Je veux dire,
je sais que tu ne voudras jamais
Tu es hétérosexuel après
tout
Je ne peux pas m'en empêcher, je pouffe dans ma main.
-Heero, Heero
Qu'est-ce qui te fait penser ça? je le tance, amusé.
Il me regarde, étonné. Il est adorable avec ses yeux bleus ouverts
tout grands et sa bouche entrouverte comme ça. Il a l'air d'avoir à
peu près douze ans.
-Mais
Toutes les filles avec lesquelles tu sors?
-Je suis bi, Heero. Si tu me vois plus avec des filles qu'avec des garçons,
c'est parce que les garçons d'accord pour sortir avec moi sont bien moins
nombreux que les filles, et qu'en plus je peux être affectueux en public
avec une fille, pas avec un mec. Mes mecs, je les cache. Ca me ferait trop remarquer,
et j'aurais des ennuis en classe, en plus; tu sais comment sont certaines personnes
à ce sujet.
-Oh
-Et toi, Heero?
Il secoue la tête, puis essaye de réorienter ses pensées
vers ce nouveau sujet. Plus gênant mais moins dangereux, je pense qu'il
le trouve.
-Je n'en sais rien.
-Tu sais pas si tu es homo ou hétéro?
-Les seuls garçons que je fréquente, c'est vous quatre; et la
seule fille que je fréquente, c'est Relena, ajoute-t-il avec un froncement
de sourcils agacé. Si je te
Si je pense à toi physiquement,
c'est parce que je
Il bloque sur le mot.
-Je sais
je l'encourage. Et?
Il me jette un regard reconnaissant et continue. Vu comme il parle, lentement,
pesant ses mots, je suis sûr qu'il n'a jamais pensé aux choses
comme ça, qu'il les formule au fur et à mesure.
-
Alors je ne sais pas si je pense à toi comme ça et pas
à Relena parce que je suis vraiment homosexuel, ou parce que c'est juste
Juste toi. Je suis presque sûr que si Relena ne m'attire pas, c'est avant
tout parce qu'elle est qui elle est, pas parce qu'elle est une fille, il ajoute
en faisant la moue.
C'est trop; je me mets à rire. Il me regarde, outragé.
-Je me moque pas de toi, je lui assure entre deux gloussements. C'est juste
Et dire qu'elle te court après depuis qu'elle t'a vu pour la première
fois! La pauvre, qu'elle va être déçue si jamais elle apprend!
Il fronce encore plus les sourcils et détourne la tête. Je pense
qu'il croit que je me fiche de lui.
-Heero, ce que tu viens de me dire, ça pourrait être compris comme:
j'aime encore mieux tourner pédé que me faire Relena. Tu imagines
comme c'est flatteur pour une fille?
Il a un tout petit demi-sourire et je lui donne un coup de poing joueur dans
le haut du bras.
-Mince, tu parles d'un bleu à son ego!!
Il secoue la tête, désapprobateur, mais il a toujours ce petit
sourire aux lèvres. Bon sang, il a l'air tellement plus approchable comme
ça. Plus humain. Ca lui va bien. Je lui avais dit, avant, qu'il avait
un beau visage, quand cet innocent m'avait demandé ce que lui trouvaient
les filles de notre classe; mais je suis positif. Si jamais elles le voyaient
comme ça, elles ne se contenteraient plus de lui sourire et de se mettre
à glousser derrière son dos, et de lui faire quelques avances.
Elles l'enlèveraient pour aller le violer dans un coin.
A quoi je pense, moi? Oui, je suis bi, oui, je trouve Heero mignon et vachement
bien roulé, même plus que ça. Merde, ce mec est un dieu
grec en devenir. Mais c'est mon meilleur ami et je refuse de prendre avantage
de ses sentiments pour moi juste pour le sauter. Si je sors avec lui, ce sera
du sérieux. Je ne peux pas gâcher notre amitié et son cur
tout neuf juste pour une aventure.
-Duo
Qu'est-ce qui va arriver maintenant? me demande-t-il.
Son ton est celui d'un petit garçon qui s'attend à prendre un
coup d'une seconde à l'autre.
Je ne demande pas "comment ça?" bien que j'en meure d'envie.
Ce serait juste gagner du temps, et on est toujours plus sincère quand
on n'a pas le temps de réfléchir à ce qu'on dit de toute
façon. Et Heero ne mérite pas moins que mon absolue sincérité.
-Je ne sais pas
Mais en tout cas, nous sommes amis comme avant. Merde,
ça sera même mieux qu'avant. Je ne m'attends pas à ce que
tu sois toujours comme ce soir, mais ne pense pas que tu vas réussir
à évader mes super questions maintenant que je sais que tu es
capable de tenir un bout de conversation
-Duo, ce n'est pas
Ce que je demande, répond-il dans un souffle.
Je passe mes mains dans mes mèches.
-Je ne sais pas si je pourrai sortir avec toi, Heero. Ce que moi, je ressens
pour toi, c'est une amitié énorme, sincère. On peut aimer
d'amitié presque aussi fort que d'amour, tu sais. Tu es quelqu'un d'extrêmement
précieux pour moi. L'une des plus précieuses. Seulement, je ne
sais pas si ça pourra être plus. Je n'ai jamais pensé à
ce que ça devienne plus. Peut-être que oui?
Je passe une main sur sa joue, lentement. Son visage est si proche du mien que
je sens ses mèches me caresser le front.
-Je tiens trop à toi pour gâcher notre amitié dans une aventure
stupide. Alors tant que je ne serai pas sûr que je t'aime comme toi tu
m'aimes, je crois qu'on en restera là. Je refuse de profiter de toi.
C'est vrai que tu es beau, dehors comme dedans, que je t'apprécie, mais
Tu sais, j'ai l'impression que tu m'as donné un trésor. Tu m'as
donné ton cur, et il est si fragile que je suis terrifié
à l'idée de l'abîmer
Tant que je ne pourrai pas te
donner le mien en échange, ce ne serait pas juste à ton égard.
Est-ce que tu comprends? Je suis sûr que toi non plus tu ne veux pas moins
que ça.
Il hoche la tête, mais il n'a pas l'air entièrement convaincu.
Il semble si triste...
-C'est ce que je me dis, des fois, répond-il à voix basse. Que
mon amour ne sert à rien si je n'ai pas le tien en échange. D'autre
fois, je me dis juste que je serais si heureux de pouvoir juste l'imaginer.
Parce que ce serait mieux que rien. Juste pouvoir rêver
-Heero
Je le serre dans mes bras. Il y a une telle souffrance dans sa voix
J'ai
l'impression d'être un salaud. Il me veut, il me veut tellement. Non,
c'est plus que ça. Il a besoin de moi. Est-ce que je vais être
un tel égoïste et lui refuser ce dont il a besoin sous prétexte
que je ne ressens pas ce besoin-là?
-Oh, Heero, je
Il pose un doigt sur mes lèvres.
-Tu as raison
C'est mieux comme ça. Je ne veux pas que tu fasses
semblant juste par pitié. Je ne veux pas de ta pitié. Je ne me
contenterai pas de quelque chose de moins que ton cur entier.
Et soudain il éclate en sanglots. Et se jette dans mes bras si fort que
j'en tombe à la renverse sur le lit, et que je reste là, à
regarder le plafond, stupéfait, écoutant ses sanglots et sentant
son corps tressauter contre le mien, ses larmes traverser mon t-shirt. Il enfouit
sa tête dans mon cou, ses lèvres cherchent ma peau, balbutiant
des mots que je ne comprends pas. Son émotion l'a fait retourner à
sa langue natale, mais de toute façon, les syllabes qu'il réussit
à sortir sont si hachées qu'elles en deviennent incohérentes.
Et là, je fais quelque chose de vraiment stupide. Je panique.
-Heero?! Heero!! Arrête, mec, arrête!! Calme-toi, tout va bien!
je lui dis en lui frottant le dos, un peu trop vite.
Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas. Il pleure toujours, il pleure dans
mon cou. Les larmes ont complètement imbibé mon t-shirt et ça
continue, mais je m'en fous. Ses bras se referment autour de moi, comme s'il
se noyait. Et d'une certaine manière c'est le cas.
-Heero, s'il te plaît!! Heero, arrête! je le supplie, mais il ne
m'entend pas.
Ca me fait trop mal d'entendre ses sanglots à s'en arracher le cur
Et je suis sûr que c'est de ma faute. Je ne voulais pas lui faire de mal,
j'aurais dû savoir que c'était illusoire, je fais du mal à
tout ceux qui me touchent. Je n'ai pas fait attention, c'était de ma
faute, j'aurais dû dire autre chose, autrement
-Suki da, suki da, il répète, et là je comprends. Ai shiteru,
Duo
Je t'aime, je t'aime, je t'aime, répète-t-il, une litanie
de mots d'amour, si pleins d'émotion que ça me fait mal.
Il se met à m'embrasser, un baiser après chaque "je t'aime"
désespéré, dans le cou d'abord, puis sur chaque centimètre
carré de peau qu'il peut atteindre. Mes joues, mes paupières,
mon front, le bout de mon nez, tout y passe. Et je suis toujours en train de
le supplier d'arrêter de pleurer, d'une voix qui craque elle aussi.
-Ca va aller, Heero ça va aller
Calme-toi, Heero, ça va
aller
Je pleure moi aussi et je ne m'en étais même pas rendu compte,
persuadé que l'humidité sur mes joues venait de lui. Il n'a pas
touché une fois mes lèvres, peut-être effrayé de
prendre trop de ce que je ne lui ai pas donné, de passer le point de
non-retour.
Son visage est à quelques centimètres du mien et il me regarde
à travers ses paupières gonflées, ses cils collés.
-
Duo
?
-Ca va aller, je répète en continuant à frotter son dos
en gestes circulaires. Ca va aller
Heero, je murmure, avant de dégager
un de mes bras pour décoller doucement ses mèches se son visage
et les repousser en arrière.
Ma main se glisse derrière son crâne et je l'embrasse tout doucement
sur ses lèvres closes, chastement. J'attire sa tête dans le creux
de mon cou encore une fois, et je referme les bras sur lui. Il se tend brièvement,
avant de se laisser aller, trop épuisé pour résister encore.
-Chhh, je suis là
Nous restons immobiles pendant longtemps. Si longtemps que nous finissons par
nous endormir, toujours enlacés.
Au matin, la position n'a pas changé beaucoup. Mis à part qu'il
a roulé sur le côté et que nous sommes à présent
tous les deux sur le flanc, nous sommes toujours enlacés serré,
et sa tête dans le creux de ma gorge. Ses jambes sont mêlées
aux miennes. J'ai le visage tout bouffi de larmes. Je suppose que lui aussi.
Il commence à se réveiller, je le sens. Je resserre ma prise;
je ne veux pas qu'il me laisse. C'est trop confortable pour bouger.
-Heero
je murmure dans ses cheveux, tout doucement.
Ils sentent l'odeur de mon propre shampoing. Ca me fait une drôle de petite
vrille au cur.
-Heero, j'essaye encore, et cette fois je le sens réagir, même
s'il lutte pour ne pas bouger. Est-ce que lui aussi a peur de briser le moment?
-Tu sais, tu es la première personne à m'avoir jamais dit ça
je chuchote. A me l'avoir dit sérieusement je veux dire. Il y a eu juste
sur Helen avant toi, personne d'autre
C'était la sur
responsable de l'orphelinat, ma seule vraie mère
Ma mère
biologique ne m'aimait pas, elle m'a abandonné dès qu'elle a trouvé
que les allocations ne valaient plus la peine de me supporter.
Sa prise se resserre sur mes flancs, et je le remercie de son support en lui
caressant les cheveux. C'est dur de parler de ça, mais c'est le moins
que je puisse faire.
-J'ai été un gosse des rues, avant d'être recueilli par
l'orphelinat. Sur Helen était débordée et je l'énervais
avec mes bêtises, père Maxwell aussi
Je savais qu'ils m'aimaient
mais ils n'avaient jamais le temps de me le dire
Et puis je me battais
sans arrêt. Alors ils devaient me punir. Et il y avait tellement d'autres
enfants, j'étais jaloux
Et après je me sentais mal d'être
jaloux. J'avais l'impression de les décevoir, de ne pas les mériter.
Solo, c'était le leader de mon gang avant l'orphelinat, il avait autre
chose à foutre
Il était dur, il ne croyait pas en des trucs
comme ça. C'était pour les femmelettes, selon lui.
Sa main bouge en cercles contre mon dos, comme la mienne le faisait hier.
-Je ne t'ai jamais rien demandé à ce sujet parce que je croyais
que personne ne pouvait me les dire, et tu me donnes quand même, ces mots
Ca me va droit au cur, tu sais, Heero, vraiment. Je
Merci.
Il ne répond pas, se contente de reculer et de me regarder dans les yeux.
Ma lèvre tremble sous le souvenir.
-S'il te plaît
Dis-le moi encore
Il me fixe pendant une éternité avant de se pencher sur mon oreille.
-Je t'aime, Duo
me dit-il avec force et une détermination que je
n'avais pas entendue hier.
Fini le désespoir dans sa voix. J'ai accepté ses émotions
et même si je ne les lui rends pas, il sait que je suis loin de les rejeter.
-Merci, je souffle. Tu sais, Heero
Je ne sais pas si je pourrai t'aimer
comme tu le mérites
Mais je te jure que j'essayerai. J'essayerai
de toutes mes forces.
Il se recule d'un bond et me regarde, stupéfait. Apparemment il n'a jamais
pensé qu'il méritait d'être aimé. Je sens mon instinct
de protection se réveiller et monter au front en flèche.
-Je t'aime, Duo, répète-t-il, mais cette fois, très fermement.
Je t'aime.
Il a regagné de la confiance, de la fierté. Il n'a plus honte
de ses sentiments
Quand il se serre contre moi et enfouit sa tête dans mon cou avec un petit
soupir, et puis se rendort dans mes bras, en toute confiance, je me demande
si ce sera réellement un si grand effort que ça.