La forêt était si verdoyante, si foisonnante de vie, que Dwayne
--dit Duo-- avait l'impression d'être revenu dans le temps, de se trouver
dans l'une des étendues sauvages qui existaient encore trois cent ans
auparavant. C'était étrange de savoir que ce n'était qu'une
réserve naturelle; le site était parfaitement préservé.
Il était heureux que ses camarades de classe n'aient pas jugé
bon de l'accompagner. Il y avait un petit air calme et secret dans cette forêt,
un air sacré, qu'il n'avait pas envie de partager, de voir brisé
par des rires gras et des plaisanteries de potaches.
Ca le changeait de New York en tout cas.
Bon, apparemment, d'après son plan très basique et mal imprimé,
le lac était encore à une petite heure de marche. Il irait plus
vite en suivant la rivière.
Dans la pénombre des sous-bois, une forme sombre passa en bondissant,
et l'étudiant admira, stupéfait, la forme gracieuse d'un renard
bondissant, sa queue étonnamment touffue flottant derrière lui.
Il ne s'était pas rendu compte d'après photos que les renards
pouvaient être aussi grands. Peut-être que c'était une sous-espèce
typiquement japonaise.
Il se força à cesser de sourire béatement (ou bêtement,
c'était selon) et se détourna des sous-bois, retrouvant la rivière.
Elle bondissait en rapides sur les cailloux. En bon Américain, Duo n'avait
jamais vu d'eau aussi pure, sauf en bouteille. Il se serait bien approché
pour en boire, mais le petit temple caché dans les hautes herbes attira
son attention avant.
C'était une statue de dragon, surmontée d'un petit toit. Quelqu'un
avait posé un bol de riz devant, rappelant à Duo une leçon
de son professeur sur la tradition de faire des offrandes quand on s'aventurait
sur le territoire d'un kami. Fouillant ses poches, le jeune homme en sortit
un ticket de métro, un bout de ficelle, un bonbon à la menthe
plein de poussière et une barre de Mars. Le Mars n'était qu'à
peine écrasé...
-Bon, bah ça le changera du bol de riz j'espère, murmura-t-il
avec un sourire.
Se redressant, il reprit son chemin le long de la rivière, abandonnant
son goûter sur la pierre plate devant la statue.
Le chemin resta escarpé pendant un petit moment, puis s'aplatit un peu,
tout comme la rivière s'assagissait lentement. Les arbres se clairsemaient
peu à peu, offrant plus de visibilité. Un scintillement en contrebas
le fit sourire; enfin, il arrivait au lac.
Nulle part sur la carte n'avait été indiqué ce petit cimetière
à l'européenne. Certaines des tombes semblaient bien trois fois
centenaires, et pourtant elles étaient toutes entretenues aussi bien
que possible. Le garde-chasse peut-être?
Duane de Maxwell, 1568--1589. Il y avait un tertre à côté;
Daisy, fidèle compagne. Sa femme?
Dougal de Maxwell, 1594--1665.
Dusan, 1671--1700.
Donagh. Dunstan. Dover. Drake.
Duo sentit un frisson lui remonter le dos et pensa, irrationnellement, que
quelqu'un venait de marcher sur sa tombe. Ils s'appelaient tous Maxwell, comme
lui, et leurs noms commençaient tous en D. Flippant. Fallait qu'il raconte
ça à Solo. Lui qui était passionné par la parapsychologie,
ça allait lui plaire.
Bon, fallait pas paniquer non plus. Maxwell n'était pas un nom rare,
c'était probablement juste une famille anglaise qui s'était établie
ici quelques siècles auparavant. La coïncidence était amusante;
il en rirait probablement dans quelques heures.
C'était étrange quand même; il avait été
orphelin du plus loin qu'il se souvienne. C'était la première
fois qu'il se trouvait au milieu de personnes portant son nom. Ca semblait sans
doute morbide, mais il se sentait presque chez lui.
Il abandonna le petit cimetière, se promettant de ramasser des fleurs
la prochaine fois.
Il y avait une petite cascade un peu plus loin...
Se demandant si elle était très haute, il se pencha en avant.
La pierre était couverte de mousse. Son centre de gravité n'était
pas très stable. Le résultat était à prévoir.
SPLASH!!
Les deux hommes assis sur la pierre plate au milieu du courant le regardèrent
émerger, l'air à peine surpris. Leur jetant un sourire gêné
pour s'excuser d'avoir dérangé leur partie de go (le petit brun
ébouriffé -- son âge environ-- avait l'air de gagner), il
pataugea jusqu'à leur rocher. L'homme --la trentaine? Peut-être
un peu moins-- lui tendit la main, le tirant de l'eau sans effort apparent.
-Heu, désolé, marmonna l'étudiant embarrassé.
Et puis il leva les yeux.
-T'es en retard, commenta le brun ébouriffé.
Au premier coup d'il, il avait l'air sérieux, mais quoique ne
connaissant pas la blague, Duo savait qu'il plaisantait.
-J'espère que vous avez pas trop attendu, répondit-il en essorant
sa natte.
Pendant un moment, l'étudiant se demanda pourquoi il avait dit ça, et puis les deux Asiatiques lui sourirent en désignant une place entre eux deux et ça n'eut plus d'importance.
oOo Fin oOo
Et maintenant on doit trouver le temps d'écrire la suite. On a déjà les grandes lignes du scénario, mais ça va être compliqué de se voir maintenant que Kin a déménagé... ;_;