Les Tribulations d'un Chevalier au Japon

Auteurs: Kin la pauvre innocente et Suka la diabolique
Série: Les malheurs de Duo, continué
Couple: 1x2x5?
Genre: (Kin essaye d'assassiner Suka) MAIS QU'EST-CE QU'IL FOUT ICI CET ANGST?!!
Avertissements: Attendez l'épilogue avant de m'assassiner? Siouplé?

Chapitre 9 : Où l'on angste ENCORE PLUS.

Le pays entier était contre lui.

Il pleuvassait toujours, le sol était boueux, et la forêt ne cessait de l'attaquer en traître. Branches trop basses, ronces, buissons cachant des trous, cailloux glissants...

Bizarrement, il fallait qu'il se force pour remarquer tous ces petits désagréments qui d'ordinaire l'auraient fait pester.

Rien ne pourrait améliorer son humeur.

Il entendit un cliquetis de sabots derrière lui et amenda; presque rien.

-Daisy, ma belle...

La jument de guerre était suivie de près par Wufei, Heero s'appuyant sur son large cou, les mains dans sa crinière.

En fait si.

-Traîtresse, murmura-t-il en jetant à sa monture un regard noir.

Il se détourna, continuant de gravir la pente en ignorant les deux dragons. Il les entendit lui emboîter le pas, mais pendant un long moment personne ne dit rien.

Ca n'allait pas durer, il le savait, mais il se prit quand même à souhaiter que personne ne brise le silence. Il était toujours trop furieux pour leur parler; il ne savait pas s'il ressentirait jamais autre chose que de la rage et de la douleur envers eux.

-...Duo...

Comment Heero osait-il prendre ce ton triste et perdu? Il n'avait pas le droit!

-Tais-toi, gronda-t-il en réponse, sans se retourner.

-Nous te devons des explications, intervint Wufei d'un ton raisonnable.

-J'en veux pas de vos explications!!

Cette fois Duo s'était retourné; poings serrés, tous ses muscles tendus. Comment osait-il lui parler comme à un gamin irrationnel?

-Les explications c'était au début qu'il fallait me les donner ! Mais vous l'avez pas fait, hein? C'était plus amusant de me mentir et de vous foutre de la gueule du gaijin stupide derrière mon dos!!

Heero était blessé, remarqua-t-il, mais il s'interdit de ressentir de l'inquiétude. Il était un kami, il guérirait.

-On ne t'a jamais menti!! protesta le petit brun furieusement.

-Mentir, cacher la vérité, c'est quoi la différence?!

-On ne t'a jamais menti! C'est toi qui ne posais pas les bonnes questions et interprétais les réponses de travers!!

Là, il allait le tuer.

-Alors maintenant tout est de ma faute?! rugit-il, faisant un pas en avant.

Wufei s'interposa, posant une main sur l'épaule de son compagnon pour lui signifier de se calmer.

-Ce n'est pas ce qu'il veut dire. C'est juste que... Tu ne connais pas notre mythologie, nos références. Un japonais aurait compris tout seul, sans que nous ayons besoin de le lui dire, alors au début, nous n'avons même pas pensé à te l'épeler. En général, on n'en parle même pas aux gaijin, ils ne comprennent pas ce que nous sommes.

-Pas comprendre? Vous me prenez vraiment pour un crétin!! Pendant tout le temps que je suis resté avec vous, j'ai prouvé que je ne comprenais pas vos coutumes, que je n'essayais même pas!?

Wufei baissa les yeux, gêné.

-... Non... au contraire... c'est un plaisir de t'apprendre, de te raconter des légendes, de discuter de coutumes avec toi...

Duo planta ses mains sur ses hanches d'un air dédaigneux.

-Oh je vois, c'est parce que tu aimes m'apprendre de nouvelles choses que tu m'as rien dit.

-On comptait te le dire, protesta Heero.

-Bien sûr. Quand?

Après qu'ils l'aient tous les deux sauté peut-être? Il secoua la tête, ne voulant pas s'attarder sur cette pensée maintenant. S'il y pensait trop, il risquerait de réaliser-- de croire que c'était ce qu'il avait voulu.

-Peu importe, les coupa-t-ils alors qu'ils cherchaient toujours une réponse qu'il accepterait. Tout ce que je vois, moi, c'est que vous aimiez bien que je reste ignorant, et si c'était pas pour vous moquer de moi, je vois pas pourquoi.

Heero se délivra de la prise de Wufei et fit un pas vers lui, poings serrés.

-Oui, on aimait que tu saches pas!

Il y eut un moment de silence.

-...Quoi? murmura l'Anglais.

Il avait pensé que c'était vrai, mais il réalisait maintenant qu'une petite part de lui avait espéré un démenti. Et ça faisait mal.

-Duo... intervint Wufei d'une voix douce. Est-ce que tu nous aurais traités de la même manière si tu avais su? Est-ce que tu aurais été aussi honnête et désinvolte ?

-Est-ce que tu te serais bagarré avec moi? reprit Heero. Est-ce que tu aurais taquiné Wufei? Qu'est ce que tu aurais fait différemment si tu avais su que nous sommes des dieux?

-Tout, répondit-il sans réfléchir.

-Voilà ta réponse.

Duo se détourna à demi, mâchoire serrée.

-Comme si ça pouvait compter pour des dieux.

-Ca compte.

-Fichez-vous de moi. Vous êtes supérieurs aux humains en tout. Vous avez des pouvoirs dont on ne peut que rêver, vous êtes probablement immortels, mais quel besoin vous avez d'un pitoyable humain?

Heero avait l'air furieux.

-Au cas où, je suis NE humain, Duo.

Coupé dans son élan, l'Européen se figea, le dévisageant avec des yeux ronds.

-Tu quoi?

-Je suis né humain. J'ai été humain jusqu'à mes quatorze ans.

-Mais...

-Tu te souviens comment on s'est rencontrés Wufei et moi? Tu te souviens de la borne?

Duo se figea, les fixant d'un air abasourdi.

'-Je l'ai repêché dans la rivière'
-Il faisait quoi?
-Je me noyais.'

'Il y a quelqu'un qui s'est noyé ici, Duo'

'Ici naquit Yuy Ichiro, dragon protecteur de la rivière née de la montagne Eruan'

-Je me suis jeté à l'eau pour sauver une gamine. J'ai perdu prise. La rivière m'a entraîné. Il m'a repêché, mais c'était trop tard.

-... Mais-- pourtant-- tu es vivant! bégaya Duo en réponse.

Il ne comprenait plus rien. Heero, mort? Mais-- Il était vivant-- Duo se rappelait de sa chaleur, de son souffle dans son cou alors qu'il se collait à lui pour dormir, pour se bagarrer...

Wufei prit la parole.

-C'est un rituel compliqué, mais l'esprit d'un mort peut être changé en esprit gardien. Heero avait déjà fait preuve d'un instinct de protection à la limite du suicidaire; c'était plutôt facile d'altérer sa nature.

Le Chinois eut un petit sourire sans joie.

-Pour tout dire j'étais ravi quand j'ai senti son corps glisser dans mes eaux. C'était peut-être égoïste de ma part, mais je me sentais seul. Nous les kami, nous sommes immortels, mais nous ne pouvons pas nous éloigner facilement de notre source de pouvoir. A moins que notre territoire d'influence ne côtoie celui d'un autre kami, nous ne voyons que très peu de gens.

-Heu, et ta femme?

Les deux dragons firent la grimace de concert.

-Y a pire que d'être seul pour toujours, répliqua Heero, c'est de devoir supporter une mégère pareille pour l'éternité. Y a bien une raison pour laquelle il a accepté si facilement d'émigrer ici avec son clan, tu sais.

-... Oh.

Non, il ne savait pas, mais ça expliquait des choses.

-C'est pas si bien que ça d'être un kami, murmura Heero, le surprenant. Je ne dis pas que ça a pas ses avantages, mais...

-On n'évolue pas, on a besoin de siècles pour atteindre l'âge adulte, et tout le monde refuse de vous parler de peur de vous offenser. On est respecté, mais craint aussi. C'est dur de rencontrer de nouvelles personnes quand tout le monde s'aplatit sur votre passage.

-Je veux bien admettre que je suis asocial, commenta Heero en aparté, mais il y a des limites.

Wufei lui tapota l'épaule avant de reprendre.

-Ca nous faisait plaisir d'avoir quelqu'un avec qui parler. Vraiment parler. Au début nous n'avons rien dit parce que nous ne savions pas si tu comprendrais, et ensuite parce que nous ne savions pas comment-- parce que nous craignions que tu ne réagisse comme ça.

Okay, là ils marquaient un point. Mais ils avaient déjà démontré qu'ils avaient l'art et la manière de jouer avec les mots. Il voulait les croire, mais il ne savait pas s'il le pouvait vraiment.

Et puis bon, c'était pas son seul problème.

-Pourquoi vous avez essayé de me séduire?

Là, il les avait surpris. Et est-ce que Wufei était en train de rougir?

-Tu veux dire à part tes belles fesses et ta grosse b--MMPH!!

Wufei, toujours écarlate, venait de bâillonner Heero avec dextérité.

Duo s'étouffa sur son glapissement offensé. Si ce n'était vraiment que pour ça, il allait écailler vives ces stupides anguilles montées en graine!

-Lâche-moi, gronda Heero en repoussant la main de son amant. Franchement, non, c'est pas seulement pour ton physique. Selon les critères japonais on peut pas dire que tu sois beau. T'as un gros nez, une grosse mâchoire et t'es poilu. Viril, d'accord, mais esthétique, bof.

Wufei se prit le front dans la main, accablé. Duo se fit la réflexion que c'était la première fois qu'on lui sortait des trucs comme ça.

-Hé, chez moi ils me trouvent beau gosse! protesta-t-il.

-Et chez toi ils nous trouveraient efféminés. C'est pas ça que je voulais dire, ajouta-t-il d'un ton légèrement plus conciliant.

-Ce que Heero veut dire, intervint Wufei, toujours aussi accablé, c'est que les critères japonais et européens sont très différents. Nous avons appris à apprécier ton genre de beauté, mais ce n'est certainement pas ça qui nous a attirés en premier lieu.

L'Anglais croisa les bras, acceptant cette explication. Mais c'était loin de suffire. Ca devait se voir sur son visage; avec un soupir, Heero reprit.

-La première raison, c'est que tu ne supportes pas l'injustice et que tu serais prêt à donner ta vie plutôt que de bafouer tes idéaux.

Wufei eut un petit rire.

-Suicidaire, mais tout à fait admirable. Au début nous pensions que c'était juste de l'inconscience, mais tu savais très bien ce que tu risquais pour tes idéaux, et tu l'as risqué quand même. Même les animaux, tu n'aimes pas les voir souffrir. Tu serais prêt à aider le premier venu, sous le seul prétexte qu'il a besoin de toi.

-T'as aidé Takeshi, ajouta Heero d'un air vaguement dégoûté.

Wufei reprit, sans laisser le temps à Duo de commenter.

-Tu n'es pas instruit, et je pensais que c'était de la stupidité, mais tu possèdes une vivacité d'esprit qui dément cette idée. Tu parles le japonais presque aussi bien que Heero. D'autres se seraient contentés d'engager un traducteur.

-J'avais pas l'argent, marmonna Duo en fixant le sol boueux avec attention.

-Tu es modeste, répliqua Wufei aussitôt. Amusant. Impertinent. Irrespectueux dans tes mots -- tu ne sais pas quand tutoyer, quand insérer les formules de politesse traditionnelles -- mais quand tu t'excuses, quand tu salues -- ce n'est pas juste la réponse attendue de toi, c'est sincère. C'est pour ça...

Wufei semblait à court de mots finalement.

-C'est pour ça, répéta Heero en le regardant, menton fièrement levé.

Duo se rendit compte qu'il n'était plus en colère. Quelque part pendant leur petit discours, elle avait disparu.

Comment osaient-ils lui voler sa colère?

Enfin, admit-il, si c'était tout l'effort pitoyable qu'il pouvait faire pour se remettre de sale humeur, il devait bien s'avouer vaincu. Il fallait l'admettre, c'était émouvant. Ce n'était pas une grande déclaration d'amour éternel digne d'un troubadour, mais c'était... sincère.

A propos d'éternel...

-... Je vais mourir, vous savez.

Il les avait déstabilisés. Il leur laissa charitablement une minute pour se remettre.

-Quoi?

Duo s'autorisa un sourire amer face à leur expression effarée.

-Pas maintenant, mais éventuellement. Je vais vieillir, et puis mourir. Il doit me rester quoi, trente ans? Et c'est si je ne prends plus jamais de risque stupide de ma vie. C'est quoi, trente ans, pour vous?

-On les vivra aussi, ces trente ans, tu sais. Ca ne nous semblera pas plus court.

-Mais à la fin des trente ans, vous, vous continuerez à être jeunes et beaux et puissants et amoureux, et moi-- bref. Je veux pas être une annexe à votre couple.

-On pourrait... commença Wufei.

-Je refuse d'être un dragon, trancha Duo. Je ne supporterais pas que les gens aient peur de moi. Je ne serais pas moi si je n'avais pas rencontré tous ces gens, eu toutes ces aventures -- vous dites que vous m'aimez parce que je risque ma vie pour mes idéaux, mais qu'est-ce qu'il vaudra, mon courage, avec le pouvoir d'un dieu à mon service? Qu'est-ce qu'elle vaudra, ma capacité à me sacrifier, si je suis immortel? Je ne veux pas être un kami, répéta-t-il, un ton plus bas.

Les deux dragons échangèrent un long regard, puis Heero prit la parole.

-... Alors on a juste trente ans. C'est quand même trente ans. Mieux que rien. Moi je sais que je ne veux pas regretter pour toujours d'avoir laissé passer cette chance.

Peut-être, mais même maintenant ça lui arrachait le cœur qu'ils continueraient sans lui, peut-être exactement comme avant. Il ne savait pas s'il pourrait l'accepter. Si seulement il y avait un moyen d'être vivant, et pourtant de rester avec eux...

-C'est ton choix, murmura Wufei.

-Faut que j'y réfléchisse, admit l'Européen sans lever les yeux.

C'était vrai, il avait envie d'être avec eux. Il avait envie d'explorer ce sentiment étrange qu'ils lui donnaient quelquefois. Il avait envie de voir si sa religion avait raison, si c'était vraiment si monstrueux que ça.

Mais il ne voulait pas leur dédier sa vie juste pour être oublié, juste un épisode de plus dans leur longue vie. Il ne voulait pas leur sacrifier sa foi et les enfants qu'il n'aurait jamais s'il restait, juste pour leur servir de chauffe-lit.
Il avait besoin de savoir s'il voulait courir le risque de leur faire confiance.

Et il ne pouvait pas le faire en leur présence; ils le distrayaient, l'influençaient.

Ca et Heero dégouttait toujours du sang sur les feuilles mortes.

-Je crois que vous devriez rentrer, fit-il en désignant Heero du menton.

Les deux dragons prirent l'air catastrophé et Duo s'empressa d'ajouter,

-J'ai juste besoin d'un peu de temps seul pour réfléchir. C'est tout. Que j'accepte ou pas, je vous jure que je reviendrai vous faire part de ma décision. Pour le moment, Heero a besoin de soins. Y a vraiment que ce gosse idiot pour gambader dans la forêt en pissant le sang.

-Hé! Protesta ledit gosse, mais comme pour le contredire ses membres choisirent ce moment pour le lâcher et il dut s'appuyer sur Deathscythe qui attendait toujours paisiblement.

Wufei hocha la tête lentement, acceptant sa décision.

-Bien. Mais-- tiens, tu as oublié ça.

Il s'avança vers lui lentement, le pendentif à la main. Duo sentit un sursaut d'angoisse sans nom lui serrer les tripes.

-Je n'ai pas...

-C'est juste un cadeau amical, Duo. Même si tu choisis de ne pas accepter notre offre... C'est juste un cadeau. Pas une promesse. Juré.

Duo regarda le pendentif, avec les deux petites fioles d'eau qui se balançaient.

-C'est de votre eau, pas vrai? Le lac et la rivière.

Wufei hocha sobrement la tête.

-C'est vraiment une toute petite fraction, alors on n'aura pas beaucoup de pouvoir, mais... Où que tu sois, si tu appelles, nous viendrons.

Il lui tendit le collier, et après un moment à le contempler, Duo le passa à son cou, se débrouillant pour diriger vers le Chinois un pauvre petit sourire.

-D'accord. Alors... à plus tard.

Wufei hocha la tête et se détourna. Il passa le bras de Heero autour de son cou et s'éloigna, soutenant son amant qui clopinait, tête basse.

Duo resta seul avec sa jument.

-Bon bah... t'en pense quoi, partenaire?

La jument hennit doucement et le poussa du nez.

oOo

-Vous êtes perdu, bel étranger?

Duo soupira. Ca faisait des heures qu'il marchait au bord du lac en se creusant la cervelle, Deathscythe à la longe, et il était fatigué; il n'était pas d'humeur à subir les avances et l'humour douteux de Takeshi.

-Fiche le camp, sac à puces.

L'esprit-renard émergea des buissons qui bordaient la rive et se mit à marcher à son côté, tête penchée d'un air curieux.

-Duo-san est d'humeur maussade aujourd'hui, commenta-t-il.

L'Anglais lui jeta un regard noir, qui ne resta pas en place bien longtemps avant que son air déprimé ne revienne s'installer sur son visage.

-Tu savais que Wufei était marié?

Il eut la satisfaction de voir l'homme-renard marquer une pause.

-Première nouvelle.

-Bon bah c'était pas que moi, répondit Duo avec un soupir.

-Et c'est venu sur le tapis comment?

-Tu as vu l'orage ce matin?

Le yohko eut un reniflement moqueur.

-Un peu oui. On a dû évacuer les terriers de toute urgence.

-C'était elle. Elle est venue défier Ichiro.

-Ah c'est elle le dragon rouge? On se demandait tous, elle s'est déjà ramenée plusieurs fois... heu.

-Ouais, je suis au courant, soupira lourdement Duo. Au fait, merci de m'avoir prévenu.

-Mon cher Duo-san, autant j'admire votre corps puissamment bâti et--

-Viens-en au fait.

-Je ne suis pas tout à fait prêt à me faire mettre en pièces pour vos beaux yeux, acheva le renard avec un sourire charmeur.

-Bah au moins c'est franc.

-Et c'est ça qui vous rend si morose?

-Non, juste le choix entre servir de jouet sexuel à des dragons pendant trente ans ou respecter mes croyances, me trouver une épouse et fonder une famille.

-Vous pouvez essayer de faire les deux.

Duo lui flanqua une taloche sur la tête.

-Sérieusement, Takeshi.

-Sérieusement? Bien.

Le yohko étrécit ses yeux verts, lui jetant un long regard impénétrable.

-S'ils voulaient juste un jouet sexuel, la place serait déjà prise. Ca fait des siècles que je me propose.

-Peut-être que c'est juste que Heero peut pas te voir en peinture, répliqua Duo après un long moment de stupéfaction.

-Vous me brisez le cœur, répliqua le renard avant de redevenir sérieux. Je suis loin d'être le seul à les trouver attirants, et très loin d'être le seul à vouloir me mettre dans les bonnes grâces des deux seigneurs du lieu. Certains des êtres qui se sont proposés étaient bien plus beaux, plus experts que moi, et pourtant ils n'en ont accepté aucun.

-... heu... ah. Est-ce que je dois me sentir flatté?

-Peut-être pas, mais c'est un soulagement de savoir qu'ils ne vont probablement pas vous lâcher dès que vos fesses deviendront flasques.

-... Merci énormément, Takeshi.

-Je vous en prie.

Duo leva la main pour donner une taloche au renard, puis finalement lui ébouriffa les cheveux à la place. Il n'avait pas tort, c'était quelque chose, déjà, de savoir qu'il pouvait leur faire confiance pour la durée de sa vie. Peut-être qu'avec le temps, de savoir qu'ils auraient toujours l'autre après sa mort serait une consolation et non pas une douleur égoïste.

Depuis quand était-il aussi romantique, d'abord?

-Franchement, mis à part la religion et les enfants, quelles raisons avez-vous de refuser?

-... Heu... en fait... je sais pas trop à quoi je leur sers, admit-il à voix basse. Tout ce qu'ils ont dit admirer en moi, ils peuvent le trouver l'un dans l'autre...

-Ni Fei Long-sama ni Ichiro-sama ne brillent par leur sens de l'humour et leur joie de vivre.

-Certes.

-En fait, ce sont tous les deux des introvertis. Ils passent probablement des jours sans s'adresser la parole. Vous les sortez de leur coquille.

Du cligna des yeux. Il ne l'avait jamais vu comme ça.

-Dis donc, c'est pas eux qui t'on dit de venir me convaincre? Lâcha-t-il avec une pointe de suspicion.

Le yohko se mit à rire.

-Certainement pas. Vous croyez vraiment qu'ils me font confiance?

-Alors pourquoi tu prends la peine de le faire?

-La vraie raison? J'aime les commérages.

-Oh, toi! S'écria Duo en le menaçant du poing.

-Plus sérieusement, vous n'avez pas idée à quel point ils étaient sérieux avant que vous ne débarquiez ici. Je dirais même limite coincés du cul... Entre eux, je ne dis pas, peut-être qu'ils étaient moins hautains, mais avec nous, les tengu, les cerfs-- même les humains... On n'avait jamais l'occasion d'oublier qu'ils nous étaient supérieurs.

Duo fronça les sourcils. Ca ne ressemblait pas aux personnes qu'il connaissait. Est-ce qu'il faisait vraiment une telle différence? Est-ce qu'il avait vraiment une telle place dans leur vie?

Peut-être... peut-être que ça ne serait pas si mal de rester. Peut-être qu'ils se souviendraient de lui pour longtemps. Et puis être aimé jusqu'à sa mort, garanti, c'était plutôt une bonne affaire. Combien de personnes avaient droit à ça dans leur vie?

S'étirant, il lança un sourire à Takeshi et fit faire demi-tour à sa jument.

-... On rentre. J'ai deux anguilles à voir.

Le yohko ne bougea pas.

-L'épouse du seigneur Fei Long...

-Oui? Demanda Duo, surpris.

-...A quoi elle ressemble?

-Bah, j'ai pas bien vu, elle était loin... mais petite, brune, cheveux lisses, yeux noirs et l'air furieux.

-Et une grande épée? Ajouta le renard en reculant d'un pas.

Duo fit volte-face, sa main sur la garde de sa propre lame. A une vingtaine de mètres se tenait Nataku, ses cheveux noirs volant dans un vent qui ne concernait qu'elle. Elle avançait le long de la rive, ses yeux fixés sur Duo.

Vue la manière dont le renard tremblait, il n'allait pas être d'un grand secours.

-Takeshi, va chercher Fei et Heero.

-Ne te mêle pas de ça, renard, siffla la femme en approchant lentement, prête à attaquer.

Indécis, le yohko ne bougea pas.

-Takeshi!! cingla Duo. Tu as une dette envers moi. Va chercher Fei Long et Ichiro. Maintenant.

Sursautant à son ton, le rouquin lui jeta un regard craintif, puis fit volte-face et disparut parmi les buissons. Duo tira son épée lentement.

-Reste ici, misérable! S'écria-t-elle en accélérant le pas.

-Vous êtes laide quand vous êtes en colère, vous savez.

La femme-dragon sursauta comme s'il l'avait giflée.

-Comment oses-tu?! Minable petit prostitué qui vends ton cul à mon chien d'époux!

Duo fit signe à sa jument de reculer. Elle commençait à piaffer, répondant à la tension dans l'air, et il ne voulait pas qu'elle le gêne.

-Avec une épouse comme vous, ça m'étonne plus qu'il se tourne vers les hommes, répliqua-t-il sans chercher à se défendre.

-Et tu m'insultes en plus, misérable mortel!!

Un peu qu'il l'insultait. Elle allait l'attaquer de toute façon -- elle avait décidé de le faire avant même qu'il ne la voie -- alors autant en profiter pour lui assener quelques vérités bien senties.

-Tu m'insultes bien, toi, répliqua-t-il, cessant de la vouvoyer. Le respect, ça se mérite.

Son visage se tordit de haine et Duo émit un son désapprobateur.

-Tu vas choper des rides comme ça.

-Je suis un dragon!! rugit-elle en courant vers lui. Je vais t'apprendre à me traiter comme il se doit, mortel!!

-Et moi, je suis un tueur de dragons, répliqua-t-il en lui lançant un sourire mauvais.

oOo

-Seigneur Fei Long!! Seigneur Fei Long!!!

Wufei se redressa, surpris. Il avait été agenouillé sur l'herbe de son île, entre les genoux de son amant, et pansait ses blessures aux jambes avec application.

-Seigneur!!

Un renard à trois queues courait le long de la rive de toute sa vitesse. Il s'effondra à la limite de l'eau, haletant.

-Qu'y a-t-il?

Cétait Takeshi, Wufei le reconnaissait maintenant.

-Nataku-sama est en train d'attaquer Duo!!

Poussant un juron, Heero se releva d'un bond-- et s'effondra sur l'herbe, grimaçant de douleur. Wufei le vit essayer de se redresser et le repoussa.

-Reste là. Takeshi, empêche-le de me suivre.

Il se transforma et s'envola d'un coup de reins, essayant désespérément de repérer l'Européen.

oOo

S'appuyant contre un arbre pour ménager sa jambe blessée, Duo se fit une note d'éviter à l'avenir de trop énerver les métamorphes; ils avaient tendance à se transformer par pure rage et c'était assez surprenant à gérer. D'un autre côté, il n'avait pas été formé pour combattre des humains, mais le combat contre des grosses bestioles pleines d'écailles, ça le connaissait. Certes, elle était bien plus rapide que ses congénères européens, mais elle avait tendance à foncer sans réfléchir et Duo avait pris l'habitude des mouvements d'un dragon asiatique au cours des semaines qu'il avait passées à lutter avec Ichiro.

Malheureusement il n'avait toujours pas trouvé un moyen de faire en sorte que son épée coupe à travers les écailles rouges de son ennemie. Encore heureux, elle était toujours blessée de la bataille avec Ichiro et Fei Long et quand il se débrouillait pour approfondir une de ces plaies, il avait le grand plaisir de l'entendre hurler; mais il commençait à être à court d'arbres derrière lesquels se cacher. Elle l'avait acculé à la rive. Et avec sa jambe...

Il grimaça en jetant un coup d'œil sur la plaie. Si elle n'avait pas saigné autant, il savait qu'il aurait pu voir l'os. A la seconde où Nataku le repèrerait...

La dragonne était en train de serpenter entre les arbres, lentement, le museau en l'air pour localiser sa proie. L'un de ses yeux était mi-clos, et l'une de ses longues moustaches -- vibrisses? -- tranchée. Depuis qu'il l'avait sectionnée elle n'avait plus repris l'air, mais elle restait dangereuse, bien plus longue que Ichiro et presque aussi musclée que Fei Long.

La dragonne se figea, babines retroussées, et tourna la tête dans sa direction. Duo étouffa un juron.

A la seconde où elle se ramassait pour bondir, les buissons à sa gauche explosèrent et Deathscythe la percuta de plein fouet, sabots ferrés en avant. Les deux bêtes roulèrent sur le sol, la masse de la jument écrasant la cage thoracique de la dragonne. Pendant une seconde, Duo crut que ça suffirait.

Et puis le long cou de Nataku se détendit comme une vipère qui frappe et ses mâchoires se refermèrent sur la gorge de sa jument. Un jaillissement de sang, quelques coups de sabots frénétiques, et ce fut tout.

Duo se redressa, faisant un pas chancelant vers l'endroit où sa monture était tombée, incrédule. Deathscythe... sa Daisy...

Le dragon rouge se dégagea, se secouant avec difficulté, et fixa Duo d'un regard brûlant de haine. Ses écailles rouges avaient à présent de nombreux reflets mouillés.

Elle se précipita vers le tueur de dragons, son long dos se détendant avec vigueur, gueule grande ouverte.

Duo leva sa lame et se contenta de la maintenir fermement devant lui.

Le choc les envoya bouler tous les deux par-dessus la rive et ils heurtèrent la surface de l'eau avec violence, mais Duo ne lâcha pas sa prise sur la lame qui lui transperçait la gueule, pas plus qu'elle ne détendit les anneaux enroulés autour de lui.

Quelques-unes de ses côtes se brisèrent sous la force avec laquelle elle le serrait, et il cracha tout son air, mais même ainsi il refusa de lâcher prise.

L'eau était rouge. Et sombre; de plus en plus. Il se rendit compte qu'il était en train de mourir. Autour de lui, Nataku était agitée de derniers soubresauts. L'une de ses mains se desserra avec difficulté de la garde de son épée, agrippa maladroitement le collier qu'il portait toujours.

C'est bête, pensa-t-il. Je leur avais dit que je reviendrais...

Son corps engourdi ne sentit pas les griffes d'un Fei Long frénétique déchiqueter le corps sans vie autour du sien et se refermer sur lui. Il eut un petit sourire plein de regret pour ce qui ne serait pas, et puis tout devint noir.

[Où l'on angste. Beaucoup.] [Epilogue: Où l'on rentre à la maison]

Notes: Oui, il est mort. Oui, sérieusement. Non, ils l'ont pas sauvé à la dernière minute. Non, c'est pas un poisson d'avril.

Lisez quand même l'épilogue? Promis, ça se finit bien. Enfin, nous on trouve que ça finit bien.

En quelque sorte.