Duo regarda avec une incrédulité teintée d'émerveillement
les grandes voiles de plumes blanches se replier doucement autour de Heero,
le contraste mettant les cheveux bruns du japonais en valeur, comme une auréole
autour de sa tête... Non, pas des cheveux, des plumes ! Des plumes sombres
et fines, souples, qui s'ébouriffaient autour de son crâne, cachant
à demi ses yeux bleus devenus soudain plus clairs.
Le regard de l'américain descendit le long du torse musclé du
soldat parfait, puis s'arrêta au niveau de la partie inférieure
de son corps. Ses jambes sortant de son short heureusement élastique
s'étaient couvertes d'écailles rugueuses et brunes, et ses pieds
s'étaient changés en serres... Des serres de rapaces, nota Duo,
en observant plus attentivement les grandes lames de kératine noire qui
brillaient à la lueur du feu et semblaient coupantes comme des rasoirs.
Finalement, Duo releva son regard pour le plonger dans celui du japonais et
ils restèrent là, plusieurs minutes, sans bouger. Heero semblait
beaucoup plus massif ainsi, mais c'était sans doute du à ses grandes
ailes repliées dans son dos et à ses jambes- pattes- épaisses
et puissantes. Duo se demanda un instant s'il avait la force de soulever un
bœuf dans les airs, ainsi.
- Woaaaaaaaa... finit par souffler l'américain, interrompant par là
une longue apnée.
- Que deux des cinq pilotes de Gundam aient des... capacités particulières
me paraît être un peu trop pour n'être qu'une simple coïncidence.
Fit Heero d'un ton doux et concerné peu habituel chez lui. Bon, d'accord,
pas habituel du tout !
- Mais... Commença Duo. Comment les professeurs auraient pu être
au courant ? Je veux dire, avant d'arriver sur Terre je ne savais pas ! Je ne
m'étais jamais vu une seule écaille, et pour ce que j'en sais,
toi, tu ne savais pas non plus, non ?
Heero secoua doucement la tête en souriant. En souriant ? Duo lui décocha
un regard inquiet, s'apercevant soudain du changement de comportement du soi-disant
soldat parfait au masque permanent d'impassibilité depuis qu'il s'était
transformé en piaf.
- Heero ? Fit l'américain d'une petite voix.
- Nani ?
- T'as pas l'impression que... quelque chose cloche ?
Le japonais lui dédia un regard interrogatif.
- Tu ne te rends pas compte que t'as l'air vachement plus humain depuis que
tu as tes plumes ?
Le regard d'Heero s'éclaira soudain (si, si, juré!) et il tourna
son visage vers l'océan à quelques dizaines de mètres d'eux.
Le bruit du ressac leur parvenait comme une douce musique agréable et
apaisante à la fois, en même temps qu'une brise chargée
de relents marins rafraîchissants. Le garçon aigle déplia
ses ailes, laissant le vent jouer entre les plumes blanches, et secoua légèrement
la tête, donnant ainsi plus de prises à la bise dans sa crinière
de plume.
- Je me sens... vivant. Alors... Je parais plus vivant. Fit-il d'une voix basse
et douce.
Duo comprenait. Lorsqu'il était sous l'eau un peu plus tôt, qu'il
sentait l'onde se refermer sur son corps, qu'il sentait sa longue chevelure
flotter autour de lui et qu'il se mouvait à sa guise, dans un monde totalement
différent, où la guerre n'existait plus... Il se sentait alors
vivant. Pleinement. Il n'y avait pas d'autre mot et il aurait été
inutile d'essayer d'en chercher d'autres. Comment décrire ce qui n'est
que pures sensations ?
Il frissonna. Ça, c'était de la sensation, tient! Le vent frais
de l'océan le gelait complètement, et avec ses cheveux trempés,
sans compter le fait qu'il n'avait que sa chemise humide pour seul vêtement,
il était parti pour choper une triple crève si pas une pneumonie,
malgré le feu qui brûlait joyeusement entre lui et Heero.
Celui-ci s'aperçut des frissonnements de l'américain et se leva
pour venir s'asseoir près de lui, levant ses grandes ailes pour l'abriter
du vent. Duo le regarda avec toute l'incrédulité dont il était
capable, et se demanda s'il n'allait pas se mettre une ou deux baffes histoire
de vérifier s'il ne rêvait pas lorsque Heero-face-de-cercueils-Yuy,
Heero-je-suis-le-soldat-impassible-et-parfait-et-je-ne-sais-rien-faire-d'autre-que-la-guerre-Yuy,
Heero donc, passa ses bras autour de ses épaules et l'appuya contre sa
poitrine.
- ... Qu'est-ce que tu fais ? Bredouilla Duo en se sentant rougir jusqu'à
la racine des cheveux.
- Tu es mouillé et tu as froid. Répondit simplement le pilote
de Wing d'un ton qui rappelait plus celui qu'il devrait normalement avoir, mais
avec tout de même une touche d'humanité qui n'avait plus ou moins
rien à faire là.
- Va pas en profiter, hein. Marmonna l'américain en se pelotonnant un
peu plus contre lui. Bon sang, le torse de Heero était bouillant, comme
s'il avait de la fièvre. Dans les brumes de l'épuisement qui commençaient
à lui dégringoler sur le coin de la tronche, il se souvint avoir
lu quelque part que les oiseaux avaient une température plus élevée
que celle des mammifères.
- Baka.
Heero n'en resserra pas moins ses bras autour de Duo qui sombrait bel et bien
dans le sommeil.
Duo se réveilla d'un rêve où il nageait avec des dauphins.
Les cétacés riaient autour de lui tandis qu'ils faisaient la course
dans les rouleaux de l'océan, si vivants, si libres, si bien... L'eau
l'appelait.
Il avait comme un nœud dans la poitrine, il avait besoin de sentir la force
de l'océan autour de lui. Dans un état second, il se dégagea
des bras et des plumes qui l'entouraient, sans tiquer un seul instant au fait
qu'il se trouvait dans les bras d'Heero, que celui-ci était à
moitié transformé en un lointain parent du pigeon, et qu'en plus
ses mouvements ne l'avaient pas réveillé. Alors qu'en temps normal,
s'il avait le malheur de se retourner un peu trop bruyamment dans ses draps,
le soldat parfait était immédiatement debout, flingue à
la main et œil aux aguets.
Titubants presque, le vent emmêlant la masse de ses cheveux toujours défaits,
il s'avança jusqu'au bord de l'eau où d'incessant rouleaux venaient
lui lécher les orteils. Au fur et à mesure qu'il s'avançait,
ses jambes se soudaient, d'abord au niveau des cuisses puis descendant jusqu'au
pied, et se recouvrirent d'écailles grises qui, sous la faible lueur
de l'aube, prenaient des teintes irisées.
Il tomba en avant dans l'eau, ses jambes devenues queue ne le soutenant plus,
et s'enfonça d'un coup de rein jusqu'au fond de l'océan, avançant,
ondulant. Il aurait ri s'il l'avait pu.
Il... était... vivant...
Heero grommela et referma ses bras sur... du vide. Vaguement surpris de la
disparition d'un corps tiède contre sa poitrine, il ouvrit les yeux,
puis se redressa complètement. Où était passé Duo
?
Il se leva en étirant ses ailes, et s'aperçut avec un sourire
qu'il ne les avait jamais gardé aussi longtemps. Le feu était
éteint depuis un bon moment, et de la fumée s'échappait
encore du tas de cendres sur le sable, mais le ciel qui allait en s'éclaircissant
malgré la présence de nombreux nuages permettait d'y voir suffisamment
clair pour qu'il puisse s'apercevoir de l'absence de l'américain dans
les environs. Une forme sombre sur le sable près de l'eau accrocha son
regard. Il s'avança en se dandinant malhabilement sur ses grosses pattes
de rapace, et ramassa l'objet noir qui s'avéra être la veste de
curé de Duo.
Okay. Le pilote de Deathscythe se baladait les fesses à l'air, mais probablement
pas sur la terre ferme. Il fit encore quelques pas, jusqu'à ce que l'écume
s'accroche à ses serres, et scruta l'océan, en espérant
apercevoir le sirein.
Peine perdue. Ce baka à la natte pouvait être n'importe où
dans l'eau, et il n'était pas question qu'il y aille avec ses plumes
et ses serres. Heero abandonna avec regret ses ailes et, tandis qu'elles retournaient
à l'intérieur de son corps, sa vision du monde... changea. Pas
qu'il y voie mieux sous sa forme ailée, mais... C'était comme
si les couleurs devenaient plus ternes, les choses moins intéressantes.
Et son humeur se fit aussi brusquement moins bonne. Jurant et pestant mentalement
contre Duo, il se lança dans l'eau en laissant la veste de son compagnon
sur le sable, frissonnant au contact de l'onde glacée, et se jurant de
faire passer un sale quart d'heure à l'américain quand il lui
aurait remis la main dessus.
Wufei Chang scrutait les radars de Shen Long avec énervement et impatience,
alors que Trowa et Quatre faisaient de même dans la zone où avait
eu lieu l'affrontement de la veille. C'était de l'imprudence pure que
de revenir sur le lieu de la bataille, de l'inconscience même, mais l'absence
des deux pilotes disparus était trop longue, et surtout trop silencieuse.
Il n'y avait aucune raison qu'ils se soient fait capturés, puisqu'ils
avaient rempli la mission et anéanti tous les mobiles dolls. Alors qu'avait-il
bien pu leur arriver ? Wufei se maudissait intérieurement de ne pas s'être
aperçu qu'aucun des deux ne le suivait lorsqu'il était parti.
- J'ai quelque chose sur mon radar. Fit soudain la voix de Quatre dans l'intercom.
C'est le signal de Wing ! Rajouta-t-il après quelques instants.
Le chinois étouffa un soupir de soulagement, en espérant que le
pilote, lui, soit entier. Il arriva rapidement là où Quatre avait
repéré le Gundam 01, rapidement suivis par Trowa et Quatre et...
Resta muet de surprise en tombant presque nez à nez, au pied de la falaise,
avec Wing et Deathscythe, face-à-face et leurs cockpits grand ouvert.
- Mais où sont-ils ? Fit à nouveau la voix de Quatre.
- Pas la moindre idée. Souffla Wufei en détachant son harnais
et sortant de Shen Long. Comme s'il voulait s'assurer qu'il voyait bien la même
chose que les caméras de son Gundam.
Trowa, qui se trouvait un peu à l'écart, fit remarquer:
- Il y a une plage par ici, avec les restes d'un feu et des marques sur le sable.
Aussitôt, le chinois retourna à l'intérieur de son Gundam
pour amener celui-ci à la plage citée par le brun, et fit s'accroupir
Shen Long dans l'eau avant de sauter sur le sable, vite rejoint par les deux
autres pilotes.
La tête baissée vers le sol, Trowa regardait avec intérêt
la large trace venant de la mer laissée par quelque chose qui, visiblement,
s'était traîné sur le sable. Ou avait été
traîné.
- C'est quelqu'un qui a été traîné sur le sol ? Demanda
Wufei en s'approchant.
- Hn. Fit le grand brun en secouant la tête. Il montra du doigt des traces
de... mains, de part et d'autre de la grandes marques.
- C'est quelque chose qui s'est traîné; quelque chose qui a des
mains, mais pas de jambes. Et qui est sorti de l'eau.
Le chinois fronça les sourcils. Qu'est-ce que ça pouvait bien
vouloir dire ? Il songea soudain que les marques qui se trouvaient ici n'avaient
peut-être rien à voir avec les deux pilotes manquants. Mais dans
ce cas, où est-ce qu'ils pouvaient bien être ? Il tourna la tête
vers l'océan, et le vent puissant qui mugissait à ses oreilles
arracha une petite mèche noire de son élastique. Agacé,
il la retira derrière son oreille, et son regard tomba sur la veste de
Duo, abandonnée sur le sable ; il s'en approcha à grands pas et,
après avoir vérifié qu'il s'agissait bien du vêtement
de l'américain, fit à l'adresse des deux autres :
- J'ai trouvé la veste de Duo.
- Et moi les affaires de Heero. Rajouta Quatre en revenant vers eux, l'éternel
débardeur vert du soldat parfait et ses baskets encore humides dans les
bras.
- Ils nous ont peut-être fait une striptease party ? Suggéra le
petit arabe blond en souriant.
C'était fou l'influence que Duo avait eu sur lui, et le jeune pilote
se lâchait encore plus depuis qu'il avait conclu avec Trowa. Lequel se
cacha du mieux qu'il put derrière sa mèche, en espérant
faire passer son rougissement pour un effet du vent frais de l'océan.
Raté. Il était bien trop rouge pour ça...
Wufei soupira, et se figea soudain. Il avait rêvé ou... ? Il se
tourna brusquement vers l'océan où deux têtes apparaissaient,
à une vingtaine de mètres de la plage. Le mugissement du vent
de permettait pas de comprendre grand-chose à ce qu'ils disaient mais
ça n'avait pas l'air d'être une conversation amicale. Un bras sorti
soudain de l'eau est s'agita en direction des trois pilotes, suivie d'une voix
reconnaissable entre toutes.
- Wooooooooéééééééé
! ! Les gaaaaaaaaars ! ! !
Duo.
Et à ses côtés, Heero, qui lui enfonça la tête
sous l'eau, étouffant le dernier cri de joie de l'américain en
une quinte de toux pour tenter de se débarrasser de la flotte qu'il venait
d'ingurgiter. Bientôt, les deux garçons arrivèrent jusqu'à
la terre ferme et Heero sorti de l'eau en secouant la tête pour faire
sortir l'eau de mer de ses oreilles, puis récupéra ses affaires
dans les bras de Quatre et entreprit d'enfiler tee-shirt et baskets, pas le
moins du monde gêné par le sable qui collait à la plante
de ses pieds.
Duo restait allongé dans l'eau, frissonnant, ses longs cheveux flottants
derrière lui
- Wuffy ?
- M'appelle pas comme ça. Répliqua le chinois, branché
en mode automatique.
- Tu me files ma veste teuplé ? Demanda l'américain d'une petite
voix enfantine.
Wufei baissa les yeux sur la veste de curé qu'il tenait toujours et la
lança vers le baka à la natte actuellement sans natte mais Heero
l'intercepta au passage et lança un regard noir à Duo.
- Heero... Chuis tout nu, file-la moi... Fit celui-ci avec un air de pure innocence
juré-c'est-pas-moi-j'ai-rien-fait-je-suis-gentil, frissonnant toujours
autant dans l'eau pas franchement chaude de l'océan. Le soldat parfait
se contenta de le fixer d'un air furax en tapant légèrement du
pied par terre. Devait vraiment être énervé.
- Mais où est ton pantalon ? Demanda Quatre avec l'air vibrant d'innocence
qui le caractérisait. Trowa savait depuis quelques temps que ce n'était
qu'une façade. Oh que oui.
- J'l'ai perdu. Souffla l'américain d'un air contrit et tenta encore
d'attendrir le japonais en clignant deux ou trois fois des paupières
sur ses grands yeux améthystes, mais l'autre ne cilla même pas.
Vaincu, autant par le froid que par Heero, Duo sortit de l'eau d'un bond , arracha
sa veste et se la noua autour des hanches, en tirant au passage un bout de langue
à Wufei qui avait détourné la tête, par pudeur. Trowa,
lui, avait baissé les yeux et mit la main sur ceux de Quatre, estimant
que son petit amant n'avait pas besoin qu'on lui donne des idées, il
lui en venait bien assez sans aide.
Heero planta ses yeux dans ceux de l'américain.
- Ne...Recommence... Jamais... Ça. Fit-il en grinçant des dents.
Sans plus de cérémonie, il se détourna et entreprit de
regagner Wing.
- Mé heu !! Je me suis déjà excusé, t'as oublié
? S'exclama Duo en sautillant autour de lui comme un cabri, tout en essayant
de ne pas perdre le tissu recouvrant sa dignité, mais le japonais ne
lui lança même pas un regard. L'américain finit par abandonner
et lui tira la langue dans le dos. Bon, d'accord, il avait fait une connerie.
Il n'aurait jamais dû retourner dans l'eau, surtout sans le prévenir.
Mais il y était si bien. C'était comme un rêve. Un rêve
qui s'était brutalement brisé quant quelque chose lui avait empoigné
les cheveux et remonté jusqu'à la surface. Il s'était alors
retrouvé nez à nez avec un Heero furibard qui l'avait proprement
engueulé avant de lui ordonner de reprendre son apparence normale. A
près d'un kilomètre de la côte, dans un océan pas
franchement calme et plein de courants plutôt violents qui ne les poussaient
pas vers la plage. Duo avait bien tenté d'expliquer que sans sa queue,
il nageait à peu près aussi bien qu'un fer à repasser en
fonte, mais le japonais n'avait rien voulu savoir. Il avait donc dû remorquer
Duo jusqu'à ce qu'ils aient pied, et l'américain n'était
en fait pas si mécontent que ça de la balade. Tout nu dans l'océan,
accroché sur le dos musclé d'Heero nageant une brasse puissante...
Dommage que Heero-soldat ne soit pas aussi cool que Heero-l'oiseau. Songea Duo
en s'asseyant dans le cockpit de Deathscythe, frissonnant un moment au souvenir
de la cabine se remplissant d'eau, la panique, le harnais qui refusait de le
lâcher, la porte qui ne s'ouvrait pas... Il secoua la tête et se
mit en marche, suivant Quatre et Trowa qui attendaient en haut de la falaise,
Heero étant déjà loin.
Wufei soupira en s'asseyant dans le cockpit de Shen Long, soulagé au-delà
de ce qu'il imaginait que les deux pilotes n'aient rien. Il balaya un instant
du regard la place qu'avaient occupés Wing et Deathscythe pendant la
nuit, à la recherche d'une éventuelle trace qu'ils auraient laissé,
et tomba sur un objet sombre flottant à la surface de l'eau. Agrandissant
au maximum les caméras de son Gundam, il s'aperçut qu'il s'agissait
d'une chaussure de cuir noire, comme celles que portait Duo la plupart du temps.
Le cuir était déchiré et semblait avoir explosé
sous une forte pression venant de l'intérieur. Étrange. Le chinois
referma la main de Shen Long sur la chaussure et suivit les autres.