-Y va pas être content le gars, commenta Duo en grimpant dans la camionnette
que Trowa venait de voler.
De derrière le volant, le garçon à la mèche lui
dédia un haussement de sourcil sarcastique.
-... Ooookay, tu t'en fous.
Trowa hocha la tête, un petit sourire moqueur aux lèvres.
-... Tu te fous de moi aussi.
Un second hochement de tête, le sourire un peu plus large.
-Hoche la tête une troisième fois et tu rentres à pied,
Barton, menaça Duo en essayant de ne pas sourire.
-Je suis terrifié.
-Ha! Ça parle.
-Où sont les autres? demanda l'ex-mercenaire, mettant fin à leur
échange de plaisanteries.
Duo pointa du doigt un ponton à l'abandon.
-Cachés par là-bas. Enfin, c'est là que je les ai laissés.
Trowa fit tourner la voiture et la dirigea vers le ponton. Duo s'accouda au
tableau de bord nonchalamment.
-Dis donc, d'après ce que j'ai vu tu tires plus la gueule à Quatre.
Ça m'arrange, j'aurai pas à me fatiguer à t'enfoncer une
clé à molette dans les narines. Enfin, si tu décides de
remettre ça, j'en ai gardé une grosse bien rouillée rien
que pour toi.
-Merci de ta confiance en moi, commenta l'autre avec ironie. Pour le moment
je n'ai pas l'intention de recommencer, ajouta-t-il d'un ton plus sérieux.
Duo hocha la tête, acceptant le regret implicite et la promesse, connaissant
suffisamment Trowa pour réaliser qu'elle était plus sincère
qu'elle n'en avait l'air.
-Brave toutou.
Trowa lui montra les dents tout en garant la camionnette hors de vue. Il en
descendit pour déverrouiller les portières arrière. Duo
en profita pour se glisser dans le siège du conducteur.
Wufei sortit de l'ombre en premier, jetant un coup d'œil aux alentours avant
d'indiquer aux deux autres que la voie était libre. L'un des bras de
Quatre était autour des épaules de Heero, un bras de Heero autour
de sa taille, comme si le blond avait des problèmes pour marcher seul.
Trowa se tendit légèrement. Quatre lui avait dit que sa jambe
ne lui faisait pas mal! Il laissa Wufei se débrouiller avec les portières
et se dirigea vers le guépard et son chef de meute à grands pas.
-Ta jambe? demanda-t-il d'un ton légèrement réprobateur.
Quatre releva la tête, lui laissant voir les marques du guépard
s'assombrir sur sa peau, et retroussa la lèvre supérieure, montrant
un bout de croc.
-Mes jambes iraient très bien si elles n'essayaient pas de se transformer
en pattes!
-...oh.
Effectivement, Quatre tenait ses chaussures du bout des doigts. Les orteils
de ses pieds nus se terminaient en épaisses griffes et la plante de ses
pieds s'allongeait et se rétrécissait régulièrement,
les os craquant bruyamment. Vu les grimaces qu'il ne pouvait s'empêcher
de faire, c'était très douloureux en plus d'être nettement
pas pratique. Trowa s'empressa de saisir son bras libre et d'aider Heero à
le transporter jusqu'à la camionnette.
-Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-il en asseyant le blond dans l'embrasure.
Heero haussa les épaules.
-Perte de contrôle. Crash d'adrénaline. Influence de la lune.
-En gros, t'en as aucune idée, répondit Trowa, contrarié.
-Exactement.
La voix de Heero était atone, plate. Trowa se sentit stupide de s'être
attendu à ce que son chef de meute ait toutes les réponses, mais
aussi vaguement soulagé qu'il n'ait pas jugé utile de perdre du
temps avec la manière agressive dont Trowa lui avait posé la question.
Wufei aida Quatre à reculer dans la camionnette jusqu'à ce qu'il
soit adossé au siège avant et prit place près de la porte
du fond, jetant un regard noir aux deux loups.
-On n'a pas le temps de bavarder, lâcha-t-il, visiblement agacé.
Où doit-on rejoindre le bateau?
Heero fronça les sourcils, réfléchissant.
-J'ai la direction générale, je calculerai la trajectoire précise
en route.
Duo se retourna par-dessus son siège et leur lança un petit sourire
moqueur.
-Bon, vous grimpez?
Heero s'assit à l'avant à côté de Duo et Trowa n'eut
d'autre choix que de grimper à l'arrière. Wufei referma la portière
derrière lui alors que Duo démarrait déjà, et le
garçon aux yeux verts se retrouva à s'appuyer au siège
de Heero. Au début, être si près de Quatre l'embarrassa
un peu, et puis il entendit les craquements d'os et oublia sa confusion. 'Ça
continue?' s'étonna-t-il, ne comprenant pas pour quelle raison les transformations
de Quatre étaient aussi hors de contrôle.
Quatre releva la tête, un peu trop vivement, lui rappelant un animal captif.
-Non, je m'amuse à briser mes doigts pour le plaisir, répondit-il
sarcastiquement.
Wufei lui jeta un regard bizarre, mais le moteur était bruyant, et il
était possible qu'il ait mal entendu, ou raté la question de Trowa,
aussi il cessa de faire attention à eux, se détournant pour vérifier
qu'ils n'étaient pas suivis.
Trowa lâcha un soupir de soulagement en voyant Wufei se désintéresser
d'eux, puis fronça les sourcils à l'intention de Quatre.
'Tu es encore en train de te balader dans ma tête,' pensa-t-il
avec force, se concentrant sur les mots. Il ne voulait pas que Quatre reçoive
sa surprise et sa peur de lui laisser voir des choses trop intimes.
Le guépard sursauta comme s'il avait été frappé,
et leva vers lui des yeux dont les iris avaient dévoré le blanc.
-... Merde.
'Il faudra qu'on leur dise bientôt,' Trowa continua de penser pour
Quatre. Le guépard soupira et hocha la tête, l'air coupable.
-Je suppose, murmura-t-il, sentant la connexion mentale s'évaporer.
Wufei jeta un regard curieux vers eux, et ils se turent.
* * *
Duo salua Heero de la tête quand ce dernier s'assit à la place
du mort, puis se retourna pour jeter un coup d'œil à l'arrière,
vérifiant que ses amis étaient en place. Il vit Wufei tendre la
main pour fermer la portière et démarra sans perdre de temps.
-Quelle direction? demanda-t-il en rejoignant une rue longeant le port.
-Suis la côte vers le sud pour le moment, lâcha Heero en vérifiant
sa montre. Howard a quitté le port il y a une heure et quarante-cinq
minutes, murmura-t-il pensivement en fouillant la boîte à gants
à la recherche d'une éventuelle carte de la région.
Celle qu'il trouva n'était pas vraiment assez détaillée
à son goût, mais il fit avec; la camionnette était trop
pourrie pour être équipée d'un GPS.
-Si nous arrivons à la prochaine ville en moins de deux heures, nous
aurons à peu près une demi-heure pour voler un bateau et le rejoindre
en pleine mer.
-A peu près? Je savais pas que c'était dans ton vocabulaire ça,
commenta Duo en souriant.
Heero grommela.
-J'aurais besoin de plus de temps et surtout de meilleurs instruments pour déterminer
les coordonnées précises. De toute manière, une fois que
nous serons en pleine mer, il sera moins dangereux d'utiliser les localisateurs
pour que Howard passe nous prendre.
Duo hocha la tête.
Une voiture de police contournait le rond-point qu'ils étaient sur le
point d'emprunter et les deux garçons échangèrent un regard.
Ils n'avaient pas été vus et ne savaient même pas si les
coups de feu avaient été reportés, mais la paranoïa,
c'était bon pour la survie. Les vitres étaient teintées,
ce qui rendrait leur identification plus difficile, mais... La natte! réalisa
Heero comme il jetait un coup d'œil rapide à la cabine pour découvrir
d'autres détails ennuyeux.
-On doit cacher ta natte, expliqua-t-il en tirant une vieille casquette informe
et d'un brunâtre passé de la boîte à gants.
Duo poussa un juron en réalisant qu'il était nu-tête.
-Ma casquette! Ah, merde. J'aurai plus qu'à m'en racheter une...
-Où est-elle? demanda Heero en considérant les risques qu'elle
soit retrouvée par un policier et utilisée comme indice dans l'enquête
sur la mort des chasseurs.
-Chaipas, sûrement dans la rue piétonne. Je pensais pas vraiment
à ça--eh, tu fais quoi?
Heero était en train de tordre les cheveux de Duo en torsade sur le haut
de son crâne, et le coiffa de la vieille casquette défraîchie
d'un geste vif.
-Ça ira en attendant, commenta-t-il tout en repoussant du bout des doigts
les fines mèches de cheveux devant les oreilles de Duo sous le rebord
du couvre-chef.
Il ignora résolument la légère rougeur sur les oreilles
qu'il avait frôlées et se rassit, bouclant sa ceinture.
* * *
Ils restèrent silencieux tout le temps qu'il leur fallut pour quitter
la ville, et même après que les dernières maisons de la
banlieue eurent disparu des rétroviseurs.
Une fois seuls sur la route, Heero défit sa ceinture et se retourna pour
regarder dans le coffre par la fenêtre. Il l'aurait bien ouverte mais
elle était rouillée, et il jura dans sa barbe, se résolvant
à toquer à la vitre pour attirer l'attention de ses camarades.
Wufei arqua un sourcil, et Trowa se redressa, mais de Quatre, il ne vit que
les pieds nus. Au moins ils ne semblaient plus se transformer, quoique ça
soit dur à dire à travers le carreau sale et éraflé.
-Okay? demanda-t-il en silence, sachant qu'ils liraient facilement sur ses lèvres.
Wufei grimaça brièvement, puis hocha la tête, même
s'il n'avait pas l'air très convaincu. Heero l'interpréta comme
"maintenant ça va à peu près, mais ça y a mis
le temps." Il jeta un regard pensif à Trowa, qui le lui rendit,
tout aussi sérieux. Il ne semblait pas trop inquiet, aussi Heero décida
que ça devait vouloir dire que Quatre allait mieux. Le Japonais se rassit
et reboucla sa ceinture.
-Alors? demanda Duo.
-Ça a l'air d'aller mieux, mais étant donné qu'on ne sait
toujours pas pourquoi ça a commencé...
-Peut-être la tension... commenta l'Américain pensivement. La fusillade
et tout ça, ça a dû le mettre sur les nerfs.
Il allait encore bien quand Trowa et lui étaient partis chercher une
voiture, mais Duo ne voyait pas beaucoup d'autres raisons à la perte
de contrôle qui avait conduit le guépard à se transformer.
La pleine lune ne datait que de quelques jours, aussi son influence était
encore forte, mais pas suffisamment pour les transformer contre leur gré
en plein jour. Quatre avait dû se concentrer pour garder le contrôle
pendant toute la poursuite et la fusillade, et dès qu'il s'était
senti à l'abri avec eux tous, il s'était laissé aller.
Sauf que ses émotions étaient encore trop intenses. Ouais, plus
il y pensait et plus il se disait que ça devait être ça.
Heero ne commenta pas, le nez sur la carte routière usée.
Un quart d'heure de trajet de plus se passa dans le silence, mais la route était
droite et il n'y avait rien d'intéressant, aussi Duo résolut de
trouver un moyen de se distraire.
-Alors... Wufei ET Trowa?
Heero cligna des yeux, puis finalement nota le ton suggestif et vaguement moqueur
de son camarade.
Oh. Les chaleurs.
-J'avais besoin de baiser et ils étaient là, répondit-il
d'un ton plus sec qu'il en avait eu l'intention.
-Le harem de Heero, commenta le garçon à la natte, ironique.
-Quoi, tu es jaloux? répliqua le Japonais sans réfléchir.
Il y eut une petite seconde de silence tendu pendant laquelle Heero réalisa
pleinement ce qu'il avait dit, et Duo essaya de rattraper son sourire moqueur
avant qu'il ne s'écrase lamentablement à ses pieds.
-... Putain, ouais, répondit finalement le garçon aux yeux violets
d'un ton faussement dégagé. Je veux un harem aussi. Avec ces missions
à droite et à gauche, ça fait des mois que j'ai même
pas eu l'occasion de sortir avec quelqu'un. Enfin, au moins un de nous deux
a une vie sexuelle... termina-t-il en riant faiblement.
Le silence gêné s'étendit à nouveau dans l'habitacle.
-... La prochaine fois que je suis en rut, je te promets de t'attraper, ça
te va? lâcha Heero, ne plaisantant qu'à moitié.
Chacun des deux savait qu'à moins que la guerre ne soit finie d'ici là,
c'était une fausse promesse, mais c'était l'intention qui comptait.
Ou quelque chose comme ça.
-Merci bien. Et je serai quoi, concubine numéro cent vingt sept? répondit
Duo, de meilleure humeur.
-Oh, tu feras au moins partie des trente épouses, pas des simples concubines.
-Aussi longtemps que tu me fais pas porter des jupes à moitié
transparentes, un soutif avec des sequins et un voile, je suppose que ça
devrait suffire.
-Tu ruines tous mes fantasmes, lâcha Heero d'un ton monocorde.
Il fut très satisfait de voir Duo exploser de rire. Il n'aimait pas le
voir morose et mal à l'aise.
-Quel pervers! Je parie que tu t'imagines affalé sur un grand lit avec
nous quatre en costumes de harem prêts à servir tes moindres désirs.
Loin de se récrier, Heero décida de renchérir. Ça
amusait Duo et le trajet serait encore long.
-Sally et Cathy aussi.
Duo écarquilla les yeux et lui jeta un vif coup d'œil, oubliant de surveiller
la route pour une seconde.
-Sally? Cathy?!
-Elles ont des gros seins, expliqua Heero d'un air faussement innocent.
-Heero!!! s'offusqua Duo, deux secondes avant de s'effondrer de rire. Alors
t'as décidé que t'es bi finalement?
-Il faudra que j'essaye les filles avant de décider ça, mais au
moins l'idée ne me répugne pas.
Duo hocha la tête pensivement. Il n'avait apparemment rien à répondre,
et Heero rien à rajouter, aussi le silence retomba entre eux. Heero l'aurait
laissé faire, s'il n'avait pas vu que la bonne humeur dans le regard
de son camarade s'effaçait doucement, remplacée par une humeur
songeuse, et même, s'il en croyait l'odeur, un poil mélancolique.
-Duo... Tu crois que ça compte comme de la bestialité de trouver
que la croupe de la forme animale de quelqu'un est ... sexy?
Heero dut agripper le volant pour redresser le véhicule; Duo riait tellement
fort qu'il avait failli les flanquer dans le fossé.
* * *
Le seul bateau qu'ils purent finalement s'approprier était un petit
hors-bord défraîchi attaché à l'écart des
pontons principaux, et même là, ils faillirent se faire remarquer
une bonne douzaine de fois.
-On peut se relever? finit par demander Quatre après une quinzaine de
minutes, criant pour se faire entendre par-dessus le bruit du moteur.
Avec Duo et Wufei, il était allongé au fond du bateau, à
l'abri des regards. Comme le hors-bord n'était pas vraiment plus gros
qu'une barque, ils étaient plus ou moins entassés les uns sur
les autres, et le mouvement des vagues, quoique trop léger pour poser
un problème à Trowa qui pilotait, était cependant suffisamment
prononcé pour leur donner un début de mal de mer et s'assurer
qu'ils reposent dans une flaque d'eau froide puant le sel et les algues. Les
éraflures diverses de Duo et Quatre n'appréciaient pas vraiment
le sel, et les deux félins-garous étaient aussi irrités
l'un que l'autre d'être mouillés.
Cet enfoiré de Heero était assis à l'avant du bateau, jambes
étendues, adossé négligemment au pare-brise derrière
lequel Trowa se tenait. Il se retourna, s'accoudant à la vitre, et jeta
un regard amusé au tas de pilotes dans la flaque, puis regarda derrière
eux pour juger de la distance. La petite ville avait presque disparu au loin,
aussi hocha-t-il la tête, magnanime. Aussitôt, les trois pilotes
sur le sol commencèrent à essayer de se relever tous en même
temps, s'emmêlant encore plus et se cognant les uns contre les autres
plusieurs fois.
-Efface ce sourire moqueur de ton visage ou je l'effacerai pour toi, gronda
Wufei en lui jetant un regard noir, se battant avec sa queue de cheval pour
la rendre à nouveau présentable.
Le sourire de Heero s'élargit et il prétendit ne pas avoir entendu.
Trowa jeta un regard entendu au Chinois derrière lui et donna un coup
sec au volant. Heero manqua tomber à l'eau, ne restant sur l'avant du
bateau que grâce à sa prise solide sur le pare-brise.
-BARTON!!
-Si tu me disais dans quel sens aller, au lieu de provoquer Wufei? murmura-t-il,
laissant Heero lire sur ses lèvres.
Bien qu'ils n'aient pas entendu la remarque de Trowa, Quatre et Duo étaient
quand même morts de rire, et Heero leur jeta un regard noir avant de se
retourner. Wufei s'assit en face d'eux sur la lisse, un petit sourire satisfait
sur son visage.
Le Japonais se dit en grommelant qu'ils pouvaient bien rire tant qu'ils voulaient;
c'étaient eux qui étaient trempés et serrés comme
des sardines. Il vérifia son localisateur d'un coup d'œil et pointa dans
la bonne direction, s'adossant de nouveau au pare-brise.
En un quart d'heure, ils étaient en vue du porte-avion qui flottait tranquillement,
les attendant. Trowa manœuvra pour les emmener au bas de l'échelle.
Howard attendait, penché par-dessus la rambarde. Duo lui fit un signe
de la main et escalada les marches prestement.
-Alors vieil homme, on voulait nous laisser en plan? plaisanta-t-il quand il
arriva en haut.
Howard ricana et fit mine de repousser le jeune homme à l'eau du pied.
Duo se tordit souplement pour garder l'équilibre sur l'échelle
et grimpa lestement sur le pont.
-Et moi qui espérait pouvoir garder ces charmantes demoiselles pour moi
seul, lança le vieil homme, s'attirant des roulements d'yeux amusés
de la part de Hilde et Sally.
Derrière ses lunettes noires, il était en train d'observer la
manière de bouger de son protégé, s'assurant qu'il n'était
pas blessé. Mais il se déplaçait librement, aussi Howard
décida de cesser de s'inquiéter.
Sally fut la suivante à approcher, donnant à Duo un bref coup
d'œil avant de regarder Wufei qui émergeait à son tour.
-Statut?
-Quelques bleus et coupures ici et là pour Tro, Quat et moi, répondit
Duo à sa place. Wu et 'Ro sont arrivés en retard et sont donc
frais comme des gardons.
Wufei eut un grognement dédaigneux, comme offensé.
-Quatre a de jolies éraflures de balles, continua Duo, mais rien de trop
profond. Enfin, d'un autre côté, ajouta-t-il d'un air pensif, il
s'est roulé dans la poussière et les ordures, alors...
-Rien de pire? Sûr? demanda-t-elle d'un ton suspicieux.
Duo se pencha par-dessus la rambarde pour suivre la progression du reste de
ses coéquipiers des yeux.
-Ben... il est arrivé un truc un peu bizarre... Quatre a perdu le contrôle
de ses transformations pendant quelques minutes, mais on sait pas pourquoi.
Ça va mieux maintenant, ajouta-t-il pour rassurer Sally qui fronçait
les sourcils, mais pendant un moment ses jambes ont pas arrêté
d'essayer de se transformer dans un sens puis dans l'autre.
La jeune femme posa la main sur sa hanche, prenant un air ennuyé et inquiet.
-Qu'est-ce qui s'est passé? Et quelqu'un l'aide à grimper, j'espère,
ajouta-t-elle d'un ton péremptoire en se penchant par-dessus la rambarde
à son tour.
-Duo vient de te dire que ça allait bien maintenant, lâcha Wufei
d'un ton agacé en s'éloignant.
Sally ignora son ton grincheux avec toute la force de l'habitude. C'était
son job de s'inquiéter, quand même. Et puis ces garçons
n'étaient jamais fichus d'avouer quand ils n'étaient pas à
cent pour cent.
Quatre finit de grimper et arriva sur le pont, suivi de près par Heero
puis Trowa. Sally lui fit immédiatement signe de la suivre, et avec un
roulement d'yeux amusé à Duo, le blond obtempéra. Il n'avait
même pas eu le temps d'ouvrir la bouche.
Trowa fronça les sourcils imperceptiblement en observant le reste du
groupe.
Heero et Duo venaient de se lancer avec Howard dans une discussion de la manière
dont la modification du trajet en bateau allait influer sur leur prochaine mission,
et Hilde les écoutait sans trop s'approcher, se mordillant la lèvre
nerveusement. Wufei était sans doute dans la cale avec Shenlong et le
docteur et son patient se dirigeaient vers l'infirmerie.
Quelqu'un manquait.
-Où est Catherine? demanda-t-il à voix basse à Hilde.
La jeune fille sursauta.
-Hein? Heu... On l'a laissée au dernier port, Howard disait qu'il pourrait
y avoir du grabuge et qu'il voulait pas d'une civile à bord.
-... oh.
Il pouvait imaginer qu'elle n'avait pas été ravie d'être
plantée là. Ça expliquait son absence du comité
d'accueil en tout cas... Enfin, ça le soulageait un peu, il fallait dire.
Il aimait bien Catherine, mais il l'avait pas mal évitée ces derniers
jours en restant dans la cale tout le temps et il n'avait pas trop envie d'essuyer
l'une de ses fameuses engueulades... même s'il l'avait bien méritée.
Et puis, il n'aimait pas la mettre en danger, et entre la guerre et les problèmes
relatifs à la lycanthropie, l'endroit le plus sûr pour elle n'était
certainement pas avec eux.
Il se retourna vers ses deux camarades et le vieil homme, se demandant vaguement
de quoi ils parlaient.
-Quelle excuse avez-vous trouvée pour partir aussi brusquement du port?
demandait Heero en fronçant les sourcils.
Howard eut un sourire amusé.
-Facile. On a fait courir la rumeur qu'une source avait rapporté l'existence
d'un galion espagnol quelque part sur ces côtes. Vu que notre job aux
Sweepers est effectivement la récupération d'épaves en
tous genres, c'était valable. Alors quand ils nous ont vu lever l'ancre
discrètement comme si on avait peur d'être suivis, ils se sont
tous bien foutus de notre gueule, mais ils ont pas pensé qu'on avait
une autre raison. Fais-moi confiance, personne ne fera le lien entre nous et
un groupe de gamins s'opposant à des hommes armés en ville.
Heero cligna des yeux, comme confus.
-... Un galion espagnol?
Comprenant que Heero avait du mal à trouver les références
nécessaires pour comprendre, Duo se dévoua pour lui expliquer.
-Bateaux datant du... heu... quinzième siècle après Jésus-Christ
à peu près. Ils étaient censés contenir de l'or
et des trésors. Pas mal se sont perdus en mer, alors les chasseurs d'épaves
se lancent en quête régulièrement.
Heero le dévisagea, puis se retourna vers Howard et le dévisagea
aussi.
-Et on a honnêtement cru que vous, le leader des Sweepers, étiez
assez crédule pour partir à sa recherche?
Duo explosa de rire.
-Heero, regarde comme il se fringue! Il aurait pu affirmer le plus sérieusement
du monde qu'il partait à la recherche d'un OVNI et personne n'aurait
douté que c'était effectivement ce qu'il faisait.
Howard foudroya le garçon à la natte du regard.
-Comme ça, porter des chemises hawaiiennes est un signe que je suis...?
-Je dirais bien excentrique, mais loufoque sonne mieux.
-Sale gosse.
Trowa secoua la tête, vaguement amusé. Ils n'avaient pas besoin
de lui dans cette conversation, aussi, après un moment d'hésitation,
se résolut-il à aller voir où en était Quatre. Le
blond avait probablement besoin de soutien; Sally pouvait être féroce
quand elle voulait des réponses à ses interrogations médicales.
* * *
-Bon, alors... Si on pioche dans tes stocks, on a assez de carburant pour compenser,
résuma Duo après avoir calculé rapidement de tête
le changement de trajectoire.
Howard hocha la tête.
-Oui, on pourra se réapprovisionner une fois que vous serez partis, pas
de problème. C'était tout ce dont vous vouliez me parler?
Duo consulta Heero du regard. Ce dernier hocha la tête.
-C'était tout.
Après un petit salut de la tête, Howard s'éloigna et Heero
se tourna finalement vers la jeune fille qui se tenait toujours à l'écart,
la regardant quelques secondes en silence.
Duo fronça les sourcils et ses yeux allèrent vivement de l'un
à l'autre, se demandant d'où venait la tension qu'il sentait entre
eux deux.
-Quelles autres informations potentiellement fatales as-tu oublié de
nous transmettre? demanda le Japonais à voix basse.
Les yeux de Duo s'agrandirent imperceptiblement. Hilde se mordit la lèvre
et lui jeta un coup d'œil, mais il fronça les sourcils d'un air pensif
et croisa les bras, signifiant implicitement qu'il n'interviendrait pas.
-... rien d'autre, murmura-t-elle d'un ton gêné.
Heero lui lança un regard dubitatif.
-Tu en es sûre?
-... Il est possible que les Alphas essayent de vous faire intégrer une
meute de force...
-On le savait déjà, lâcha Duo.
-... alors non, rien d'autre.
Heero la regarda d'un air suspicieux mais accepta son affirmation.
-Je veux une liste complète et détaillée sur cette organisation
de chasseurs de garous. Nombre d'hommes, chaîne de commandement, entraînement,
background, régions où ils opèrent le plus souvent. Ensuite
tu prendras contact avec Sally. Elle a sûrement une mission pour toi,
et si elle n'en a pas, un de ses contacts en aura probablement.
La louve eut un gémissement perdu. L'Alpha de ce territoire venait de
lui faire comprendre qu'elle n'était plus la bienvenue. Pendant un moment,
elle voulut protester, se rebeller, mais ça ne ferait que le braquer
encore plus, probablement.
Heero lui jeta un dernier regard froid puis tourna les talons et partit. Elle
avait mis en danger la meute, et il n'allait pas l'oublier comme ça.
Duo haussa les épaules et lança une grimace de sympathie à
la jeune fille, mais ne resta pas pour lui parler.
Elle resta immobile pendant une longue minute, puis donna un grand coup de pied
à un taquet. Bien évidemment, étant soudé à
la coque, il ne bougea pas d'un millimètre et elle eut l'impression de
s'être cassé les orteils, mais ça la soulagea un peu.
Elle en voulait à Duo de ne pas la soutenir, et à Heero de ne
pas lui pardonner, mais elle comprenait, même si elle ne voulait pas comprendre.
Ça n'était pas quelque chose qu'elle aurait dû oublier.
Officiellement, l'opinion de Heero n'avait pas plus de poids que celle des autres,
mais des pilotes, seul Quatre la soutiendrait contre lui, et c'était
plus par pitié que parce qu'il serait d'accord avec elle. Trowa était
calculateur et efficace et n'avait aucun lien émotionnel avec elle, et
elle avait le sentiment que Wufei la méprisait pour ce manque de professionnalisme.
Certes, c'était le bateau d'Howard, et lui ne la rejetterait pas, mais...
Elle ne ferait qu'ennuyer les pilotes si elle restait. Mieux valait se racheter
en se rendant utile.
Elle soupira et retourna à sa cabine.
* * *
Duo ne dit rien pendant un long moment, et Heero se détendit. Il n'avait
pu s'empêcher de craindre que son partenaire ne s'oppose à sa réaction,
ne prenne le parti de la jeune fille.
Le garçon à la natte garda le silence pendant un moment, puis
commenta à voix basse.
-Tu sais... C'est pas la seule à blâmer. On aurait pas dû
sortir...
Heero secoua la tête.
-Il n'y avait aucune présence militaire dans la ville. Vous ne pouviez
pas savoir qu'un autre groupe hostile était dans les environs.
Duo lui lança un regard en coin.
-Il n'y a pas si longtemps, tu aurais trouvé notre envie de sortir un
risque stupide et inutile, musa-t-il de l'air de ne pas y toucher.
Heero grommela quelque chose dans sa barbe, et Duo lui jeta un regard curieux,
se demandant s'il avait bien entendu.
-Il n'y a pas si longtemps, répéta le Japonais à contrecœur,
je trouvais l'idée de travailler en groupe risquée, stupide et
inutile.
Son embarras s'effaça presque entièrement quand il reçut
un sourire en retour. Le garçon à la natte ne commenta pas, comprenant
son envie de prétendre qu'il n'avait rien dit. Ils marchèrent
en silence pendant quelques minutes de plus.
-... Tu vas lui faire la gueule longtemps à Hilde? demanda finalement
Duo d'un ton désinvolte.
Heero fronça les sourcils, mais après un regard à Duo,
décida qu'il ne portait toujours pas de jugement négatif sur sa
décision.
-Vous vous en êtes sortis entiers, mais elle a quand même oublié
de nous prévenir. Elle a été soldat, elle devrait être
plus responsable que ça.
-Tu la laisseras revenir?
Heero lui jeta un regard surpris.
-Depuis quand me reconnais-tu autorité sur la fréquentation de
personnes extérieures à notre groupe?
Duo eut un petit rire et haussa les épaules d'un air dégagé.
-Oh, je continuerais à la fréquenter. Mais si tu peux plus la
voir en peinture, je l'inviterais pas à nous rejoindre. Je doute qu'elle
se sentirait confortable en ta présence de toute manière.
Heero secoua la tête. Il aurait dû s'en douter.
-On verra comment se passe sa prochaine mission, trancha-t-il. Qu'as-tu appris
sur eux? demanda-t-il, changeant la conversation.
Ils n'avaient pas pu en parler sur le bateau, le bruit que faisait le moteur
était intolérable, mais il avait vu Duo fouiller les portefeuilles
qu'il avait récupérés avant de les jeter à l'eau.
-Oh, pas grand-chose de valable. Ils viennent d'un peu partout sur le continent.
Ils n'ont pas tous le même métier. L'un d'eux était barman,
l'autre éleveur de chiens, un autre fonctionnaire. Ça m'a tout
l'air d'une société secrète ; à part leur hobby,
ils n'ont rien en commun.
Heero grommela. Ça rendait leur repérage plus difficile.
-Enfin, continua l'Américain, faudrait voir combien ils sont en tout.
Et on est toujours en mouvement... Seulement deux d'entre eux avaient des chiens,
et sans les clébards, ça m'étonnerait qu'ils puissent nous
repérer.
-Nous, Duo? releva le Japonais, amusé. Je ne pense pas que tu sois une
cible aussi.
Duo rougit. Il ne pouvait s'empêcher de s'assimiler aux quatre autres
pilotes de Gundam.
-... Okay, vous, concéda-t-il. Mais quand même, à force
de traîner avec vous tout le temps, je dois puer le garou. Ça serait
possible qu'ils me repèrent.
Heero lui jeta un regard dubitatif mais décida de ne pas insister.
* * *
Trowa frappa doucement à la porte de l'infirmerie et l'entrouvrit, jetant
un coup d'œil à l'intérieur. Sally n'était nulle part en
vue mais Quatre était assis au bord du lit, vêtu d'un t-shirt propre
et de son caleçon. Bleu pâle. Trowa prétendit ne pas avoir
remarqué et n'être intéressé que par l'aspect de
ses jambes.
-Comment ça va?
Quatre leva les yeux vers lui et fit une petite moue que le brun ne put déchiffrer
avant de relever le bas de son t-shirt et la jambe de son caleçon, dévoilant
un grand morceau de cuisse. Pendant une seconde, Trowa se demande si c'était
une tentative de séduction. Si c'était comme ça qu'il comptait
le convaincre, il n'irait pas bien loin.
-Regarde. Tu ne vois rien?
Trowa fixa des yeux la cuisse du jeune homme. Mis à part quelques rougeurs
et un ou deux bleus, sa peau était aussi pâle et lisse que d'habitude.
-Non, rien. Je devrais voir quelque chose? demanda-t-il, une seconde avant de
remarquer la tache brun rouge sur l'extérieur du sous-vêtement.
-Plutôt, oui. C'est là que la balle m'a éraflée,
confessa le blond à voix basse, sa main frôlant la peau où
seule une légère trace rouge demeurait.
-Tu l'as dit à Sally?
-Oui. Elle est dans son laboratoire en train de vérifier je ne sais quoi
dans mon sang, ajouta Quatre avec un vague sourire. Elle a une théorie
selon laquelle ma perte de contrôle serait due à mon corps essayant
de se guérir.
-Tu dois avouer que c'est une explication plausible, Quatre, répondit
la jeune femme en entrant dans la pièce par la porte du fond.
-Peut-être. Ou bien était-ce juste que j'ai cessé de refouler
l'instinct de transformation trop tôt... Des indices? demanda-t-il en
se frottant automatiquement le creux du bras, là où Sally avait
fait la piqûre.
La jeune femme soupira, repoussant une de ses nattes dans son dos machinalement.
-J'ai les résultats, mais il va me falloir des jours pour interpréter
ça. En attendant, tu me sembles en bonne santé, mis à part
ton taux de glucoses excessivement bas. Je veux que tu ailles manger quelque
chose. Trowa, assure-toi qu'il ne tourne pas de l'œil avant d'arriver à
la cuisine, ajouta-t-elle avec un petit salut de la tête au brun.
Il hocha la tête sérieusement, acceptant la mission.
-Une minute, je ne peux pas me promener dans le porte-avion en sous-vêtements,
protesta Quatre en se levant. Où avez-vous mis mon pantalon?
-A la poubelle, répondit la jeune femme. Il était sale, déchiré
et couvert de sang. Pareil pour ta chemise.
Quatre lui jeta un regard agacé mais ne protesta pas, soupirant avec
lassitude. C'était un peu tard pour aller les chercher dans le vide-ordure.
-Tu es suffisamment décent pour aller jusqu'à ta chambre et te
changer, remarqua Trowa. On n'est pas si loin. Ensuite on ira manger.
Quatre réfléchit puis hocha la tête. A cette heure, les
quartiers d'habitation seraient majoritairement vides.
L'expédition jusqu'à la chambre se fit en silence, Quatre étant
perdu dans ses pensées et Trowa l'observant avec une pointe d'inquiétude.
Le jeune homme était effectivement un peu pâle...
Quatre s'habilla rapidement, puis ils se dirigèrent vers la cuisine.
Le chef était en train de s'affairer sur le repas du soir, mais il les
laissa fouiller dans le frigo, et les deux garçons ressortirent pour
aller s'asseoir dans un coin de la cantine. Trowa grignota sur un quignon de
pain pendant que Quatre dévorait son repas, apparemment plus affamé
qu'il ne s'en était rendu compte.
-Quatre...
-Hmm?
-On est censés parler de quelque chose, je crois bien.
Quatre se rembrunit.
-La télépathie? demanda-t-il après avoir vérifié
d'un coup d'œil que personne ne regardait dans leur direction.
Trowa hocha la tête sobrement.
-Est-ce que tu as jamais lu dans les pensées de quelqu'un d'autre?
-Non, juste toi. Et pas souvent. Je ne sais pas comment ça marche du
tout, avoua Quatre en se mordillant un ongle pensivement. Le seul point commun,
c'est une émotion violente à chaque fois...
-Donc c'est toujours lié à tes émotions. Probablement un
développement de ton empathie. Tu sais pourquoi?
-Non... Il n'y a pas eu beaucoup de recherches faites sur les newtypes dans
les Colonies, peu de gens savent comment et pourquoi ils sont différents.
Je dirais bien que c'est lié à la lycanthropie, mais pour autant
que je sache, c'est peut-être juste un autre développement pubertaire.
Je ne sais pas trop comment on pourrait vérifier...
-Je doute qu'il y ait beaucoup de newtypes garou de toute façon, commenta
Trowa d'un ton songeur.
Quatre soupira et hocha la tête.
Les garous ne pouvaient vivre sur une Colonie bien longtemps, et en ces temps
de guerre entre la Terre et les Colonies, rares étaient les Colonistes
qui faisaient l'aller-retour assez souvent pour risquer une contamination. Etant
donné que les newtypes commençaient à peine à émerger
parmi les familles qui avaient vécu depuis au moins trois générations
dans l'espace, le pourcentage de personnes sur terre et dans les Colonies qui
se trouvaient être à la fois newtype et garou devait être
très proche de zéro.
-Bon, donc on sait que ton empathie est en train de s'étendre pour recevoir
aussi des pensées. Rien d'autre?
Quatre se mordilla la lèvre, l'air coupable.
-Je crois que ce n'est plus seulement une question de réception.
Trowa se redressa et le fixa.
-Je... Après la dernière pleine lune... Je me suis retrouvé
dans une ferme. En humain. J'ai... il y avait un fermier.
-Et? le poussa Trowa quand le blond ne donna pas signe de vouloir continuer.
-Je lui ai dit de ne pas aller dans ma direction, et il n'y est pas allé.
Je me suis senti coupable, et il s'est presque mis à pleurer. J'étais
en train d'imposer mes émotions et ma... ma volonté sur lui.
Quatre frissonna à ce souvenir, et s'empressa de s'assurer qu'il n'était
pas de nouveau en train d'émettre.
Il fallut un long moment au brun pour digérer l'information.
-... Je peux t'imaginer émettre des émotions aussi bien que recevoir...
commenta Trowa en se remémorant la soudaine poussée de tristesse
qu'il avait ressentie l'autre jour, après la pleine lune. Ça me
semble logique après tout. Mais commander quelqu'un comme ça?
-Je ne pense pas l'avoir vraiment... commandé... mais plutôt influencé.
Et quand je me suis griffé sur une planche en m'évadant, il s'est
aussitôt rendu compte de ma présence. Et puis il y a eu les hommes
en ville... Je leur ai ordonné de me regarder pendant que Hilde s'enfuyait.
Ça a duré jusqu'à ce qu'elle atterrisse dans l'eau, et
puis le splash les a réveillés. Je ne sais pas si c'est parce
que j'avais cessé de les pousser à me regarder ou s'il y avait
des limites à ce qu'ils pouvaient ignorer.
-Il faudra qu'on teste, commenta Trowa pensivement.
-Oui... Si j'arrive à le refaire, soupira le blond. Je ne suis pas sûr
que ça marche si je n'ai pas l'impression d'en avoir vraiment besoin.
Trowa haussa les épaules.
-Entraîne-toi. Jusqu'à ce que tu puisses le faire à volonté,
et jusqu'à ce que tu puisses lire dans mes pensées quand tu le
décides.
Quatre le fixa, surpris.
-Ça ne te dérangera pas...?
-Ça pourra être utile en cas de besoin. Je préfère
encore que tu le fasses avec avertissement que par hasard, et si tu parviens
à mettre cette capacité sous contrôle, ça veut dire
que tu ne le feras plus par accident.
L'Arabe hocha la tête. Trowa était farouchement réservé,
et il devait détester que Quatre fouille dans ses pensées. Si
Quatre s'entraînait sur lui, ça voudrait dire qu'il ne risquait
pas d'être pris à penser à des choses intimes sans même
le savoir. Ce n'était pas aussi bien que d'avoir son esprit entièrement
protégé, mais c'était mieux que de toujours devoir se demander
si, à cet instant même, Quatre n'était pas en train de jouer
les voyeurs.
-Quand est-ce que tu vas en parler aux autres?
Le blond grimaça et se passa une main dans les cheveux.
-Je préfère avoir une meilleure idée de ce que je peux
faire, franchement. Pour le moment, je n'ai lu dans tes pensées que deux
fois, et par hasard. Quand à l'influence mentale... C'était vraiment
des cas d'extrême urgence. Si le don répond à ce sentiment
d'urgence, peut-être que le simple fait de savoir que je ne suis pas en
danger parce que je peux m'en servir l'empêchera de me répondre.
Trowa eut un petit rire, un sourire ironique aux lèvres.
-Ça serait le comble.
-Ce sera moins drôle si ça arrive vraiment, répliqua le
blond avec un soupir. Je veux d'abord savoir exactement ce que je peux faire
avant de me mettre à le prendre en compte. Pour le moment, c'est bien
trop aléatoire. Je serai content de m'en servir si je peux, mais je ne
vais pas compter dessus. Je ne veux pas que les autres le prennent en compte
tant que ça ne sera pas fiable. Ils s'attendraient à ce que je
m'en serve pour les missions, mais pour l'instant, je ne peux pas, et je ne
sais pas quand je pourrai... ni même si je pourrai un jour. Je préfère
ne pas leur donner de faux espoirs.
Trowa hocha la tête pensivement.
-Très bien, on ne leur dit rien pour le moment. Mais on a quelques jours
avant la prochaine mission...
-Je trouverai des occasions de m'entraîner, agréa le blond en récupérant
sa fourchette.
* * *
Howard repoussa son livre de comptes et accepta la liste de messages que l'un
de ses Sweepers lui tendait. Il y avait quelques imprimés de mails et
des transcriptions de communications radio de ses contacts, mais la fine liasse
de papiers semblait un peu plus épaisse que d'habitude. Le vieil homme
fronça les sourcils pensivement.
Fournitures disponibles au prochain port, rapport d'un agent infiltré
--il passa quelques minutes à le parcourir -- demande d'assistance pour
la fabrication d'armes, matériaux à passer en contrebande pour
une cellule de résistants en Australie... Message de Catherine Bloom...
Curieux, il lut la première phrase et se mit à rire. La jeune
femme avait "convaincu" l'un de ses contacts à la ville portuaire
où ils l'avaient laissée de transmettre un message à "son
petit frère". Il mit le message de côté, se promettant
de rester pour regarder la réaction de Trowa quand il le lirait. De ses
années avec le cirque, Cathy avait apparemment tiré un vocabulaire
très... varié.
Il y avait également une transcription de message radio, cryptée
avec une clé qu'il n'avait pas vue depuis des mois. Il le décoda
rapidement, lisant les instructions, puis alluma son ordinateur et se connecta.
La petite fenêtre de webcam le surprit à peine quand elle jaillit
sous son nez, mais il ne s'était pas attendu à voir de si près
l'absence de nez de doktor S.
-Pousse-toi de là, S! ordonna G en le bousculant. Salut, Howard. Toujours
sur ton rafiot à ce que je vois, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil
à quelque chose juste sous la caméra, probablement une carte pour
localiser d'où venait l'appel.
-Toujours, agréa l'homme à la chemise hawaiienne.
Il ne demanda pas à G où il était. Ses vieux amis étaient
paranoïaques à l'extrême.
-Les gosses sont toujours avec toi?
Il ne demanda pas non plus comment G était au courant; Howard savait
que quelques-uns de ses hommes envoyaient des rapports aux cinq savants fous
régulièrement. Etant donné que quelques-uns des mécanos
qu'il avait formés travaillaient pour G et ses amis et que les techniciens
avaient gardé l'habitude de lui demander conseil sur leurs projets, même
les plus top secret, ils s'accordaient tous tacitement à considérer
ça comme un bon échange.
-Toujours. Je les emmène sur le site de leur prochaine mission et puis
ils iront se débrouiller tous seuls.
-Il vous reste... Une semaine? Deux? demanda G de l'air de ne pas y toucher.
Howard enleva ses lunettes, les rangeant dans sa poche avec précaution,
puis releva les yeux vers G. Ils échangèrent un long regard sérieux.
-Pourquoi tu as besoin de savoir ça?
-Nous avons eu des idées d'upgrades. Ça ne ferait pas de mal aux
gosses d'avoir de l'aide de tes mécanos. Allume ton imprimante, je t'envoie
ça directement. J! Rends-toi utile, vieux schnoque, lança-t-il
en se retournant.
Howard vit J passer derrière G, impassible, sans regarder la caméra.
Ses lunettes bioniques rendaient difficile de déterminer son humeur,
mais le pli de sa bouche était maussade.
L'imprimante de Howard s'alluma et il la regarda, pensif, cracher des feuilles
et des feuilles de diagrammes et de plans.
-C'est quoi vos idées d'upgrades? demanda-t-il pour passer le temps.
-Simple, vraiment. Nous avons tous innové pour nos Gundams. Que chacun
aie une spécialité, c'est bien, mais il n'empêche que de
prendre ce qui rend un Gundam plus dangereux et de l'ajouter sur un autre, au
final, ça ne peut qu'aider. Bon, bien sûr, il y a quelques problèmes...
Par exemple on ne pourra pas rajouter grand-chose sur Wing, son sabre laser
bouffe déjà une grande partie de l'énergie et il faut aussi
que les modifications ne coincent pas quand il passe en bird mode.
Derrière lui, J grommela quelque chose en japonais, qui ne devait pas
être flatteur vue la manière dont G ricana.
-Heavyarms et Sandrock ont besoin d'être équipés des mêmes
accumulateurs d'énergie que les trois autres si on veut leur donner un
peu plus d'armes thermiques. Pour le moment, Heavyarms ne vaut rien en combat
rapproché. Entre nous, ajouta-t-il en murmurant un peu trop fort, S devrait
s'en tenir à sa nouvelle génération d'articulations, son
Gundam bouge bien mais il est nul en armement. Qu'est-ce qu'il est censé
faire, danser entre les balles?
Une boule de papier froissé rebondit sur sa tête, et Howard ricana,
amusé. Quelquefois il avait l'impression qu'émotionnellement,
ses amis étaient restés coincés à l'adolescence.
-Enfin, le point majeur, c'est d'adapter les ailes de Deathscythe sur les autres.
C'était une idée de génie de le rendre aussi indétectable
au radar, si je puis me permettre, une idée dont les autres profiteraient
grandement...
-Tu as fini de te lancer des fleurs tout seul? grommela J en tapant sur la tête
de G avec un épais dossier. J'ai fini d'envoyer les plans, maintenant
coupe la communication avant qu'on soit repérés, ajouta-t-il en
s'éloignant.
G roula des yeux, faisant la grimace, puis lança un clin d'œil à
Howard qui se gondolait en silence en observant la scène.
-Les plans ne sont pas complets, et ce sont toujours des concepts. On est des
designers, pas des mécanos. Mais avec un peu de travail, les garçons
devraient s'en tirer. Tu passeras le bonjour à Duo?
-Pas de problème, répondit Howard en hochant la tête.
-Et dis-lui d'arrêter de râler que son bébé n'est
plus aussi unique. C'est une occasion de mettre la main sur les lance-flammes
de Shenlong après tout.
Howard se mit à rire, et il riait encore quand G le salua de la tête
et coupa la connexion.
* * *
-Il est hors de question que je laisse ces barbares voler l'équipement
de mon bébé!!
Howard se fit la réflexion que G connaissait décidément
bien Duo.
-Il faudrait les laisser entrer dans mon cockpit et fourrer leur nez partout,
et ils me voleraient ce qui fait de Deathscythe le meilleur des Gundams! Mis
à part son pilote bien sûr.
-Si tu laisses Wufei emprunter ta cape, je suis sûr qu'il acceptera de
te laisser adapter les lance-flammes, lâcha Howard innocemment.
Le garçon à la natte se tut brusquement, clignant des yeux d'un
air rêveur.
G savait apparemment à quel point Duo avait une âme de pyromane.
-Flammes? Oooh, du feu... Tu ferais ça?
-Il faudrait déjà que je veuille de ta cape, grommela Wufei en
croisant les bras. Se dissimuler pour attaquer en secret est digne d'un lâche.
Duo lui lança un regard furibond.
-Je ne vais certainement pas utiliser une telle technique!
-Ouille, commenta Howard en aparté.
Quatre étouffa un rire.
-Pour ma part, utiliser des armes non-thermiques est un avantage puisque je
ne risque pas d'épuiser mon énergie, mais si on adapte mes générateurs
sur le modèle de ceux de Wing, je ne dirais pas non à une arme
d'appoint. Trowa?
-Pareil, commenta sobrement le garçon aux yeux verts.
-De toute façon les armes de Tro peuvent pas être pire, ricana
Duo. Heavyarms et sa manie de se retrouver à cours de munitions...
Trowa lui fit un doigt d'honneur.
-Mais ses articulations sont à la fois plus souples et plus résistantes
que celles des autres Gundams, commenta Heero. S'il y avait moyen de renforcer
les articulations de Wing, ça m'arrangerait. La transformation en bird
mode les détériore régulièrement.
Les pilotes se perdirent dans leurs pensées pendant quelques minutes.
Howard les observa en silence, stupéfait, comme il l'était encore
parfois, de la compétence et du degré de compréhension
instinctive des mécaniques que ces garçons même pas sortis
de l'adolescence possédaient.
-Je suggère que nous dressions une liste de tout ce que les autres possèdent
qui pourrait améliorer nos propres Gundams, et ensuite on s'arrangera
pour les mettre en place.
Trowa et Heero acquiescèrent d'un hochement de tête, Duo lança
un grand sourire à Quatre et Wufei haussa les épaules avant de
se détourner.
-Je ne veux rien, commenta-t-il.
-Alors pense à ce que tu peux donner, répliqua le blond sans se
démonter.
Wufei jeta un long regard inscrutable à son camarade, puis eut un petit
sourire ironique et hocha la tête. Savoir que les autres Gundams allaient
être rendus plus performant parce qu'ils feraient leur une capacité
de Nataku l'amusait grandement. Il devait juste voir ça non comme un
vol mais comme un hommage qu'ils lui rendraient.
* * * * * *
Duo traîna les pieds le long du corridor, soulagé de voir enfin
la porte de sa chambre. Il avait passé sa journée à bosser
sur les adaptations de Deathscythe sur Sandrock avec Quatre, comme la journée
d'avant, et celle d'encore avant, et il était crevé. Il ne comprenait
pas comment le blond faisait pour tenir le coup, mais s'il voulait rester "encore
cinq minutes," vraiment, c'était son choix. Encore heureux que pour
le moment les cinq pilotes avaient décidé de concentrer tous leurs
efforts sur Sandrock et Heavyarms; c'était déjà difficile
d'upgrader un Gundam avec de l'aide, alors tout seul...
La lumière était allumée dans la salle commune au bout
du couloir, indiquant qu'au moins un de ses coéquipiers était
encore là-bas. Il était implicite que leurs chambres étaient
privées, et ne pouvaient être accédées sans invitation,
mais quand quelqu'un était dans la salle commune, en général
ça voulait dire qu'il ne dirait pas non à un peu de compagnie.
Et une invitation comme ça par l'un des trois anti-sociaux du groupe,
il ne la rejetait pas sans une meilleure raison qu'un peu de fatigue.
Il ouvrit la porte d'une épaule, s'appuyant contre le montant, et jeta
un coup d'œil à l'intérieur.
... Okay, peut-être qu'ils n'avaient pas vraiment besoin de lui.
Heero et Trowa étaient assis sur le canapé côte à
côte, légèrement tournés l'un vers l'autre, Trowa
nonchalamment accoudé sur l'épaule du Japonais et leurs cuisses
se touchant. Ils étaient penchés vers une feuille de papier étalée
en travers de leurs genoux et avaient été en train de parler à
voix basse quand Duo avait fait son entrée. Maintenant ils le regardaient,
interrompus.
-Ah, Duo, lâcha Heero avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche pour s'excuser.
Viens dire ce que tu en penses.
L'Américain réalisa que la feuille était un plan; le bras
d'un Gundam pour être plus précis.
-Vous faites quoi?
-On essaye de trouver un moyen de placer les circuits sans les faire coincer
dans les nouvelles articulations, répondit le Japonais, fronçant
les sourcils.
-J'y connais pas grand-chose aux articulations type Heavyarms, moi, leur rappela-t-il
en allant se pencher sur la feuille.
C'était complexe, en effet, et il dut faire un effort pour visualiser
ces lignes bleues, rouges et vertes comme un objet en trois dimensions.
-... Je vois ce qui bloque, je crois, mais c'est vrai que ça va pas être
pratique de contourner ça. A moins de faire une rallonge par là,
ajouta-t-il en suivant du doigt le bord externe du coude, mais la couche d'armure
est mince à cet endroit et ça va être plus facile à
sectionner en combat.
-On verra comment arranger ça si on ne trouve pas d'autre solution, commenta
Trowa d'un ton absent. Assieds-toi, ajouta-t-il en rapprochant du pied la table
basse.
Si Heero l'avait invité, Duo n'aurait pas été sûr
qu'il était réellement le bienvenu. Mais si c'était Trowa...
Content, Duo s'installa, ses genoux contre ceux des deux autres garçons,
et se pencha sur les plans à son tour.
Les problèmes à régler pour Wing et Deathscythe étaient
plus compliqués que ceux de Heavyarms et Sandrock, raison pour laquelle
les cinq pilotes avaient commencé à travailler sur les Gundams
03 et 04. Heavyarms et Sandrock étaient maintenant équipés
d'armes thermiques d'appoint, de générateurs plus efficaces, et
Sandrock avait hérité d'ailes modelées d'après celles
de Deathscythe, qui, refermées autour de son Gundam, le rendraient indétectable
aux radars.... Quand Quatre et Duo auraient fini du moins. Trowa n'en avait
pas voulu pour le sien, elles auraient compromis sa mobilité.
Quant à Shenlong, Wing et Deathscythe, c'était une autre histoire.
Les conduits de fuel nécessaire pour installer les lance-flammes de Shenlong
sur Deathscythe interféraient avec les circuits des boucliers de Duo.
Wing était encore plus complexe que les autres à cause du bird
mode. Quand à Shenlong, Wufei n'avait rien voulu y changer, aussi utilisait-il
son temps libre pour un check-up complet.
* * *
Quatre ouvrit la porte de la salle pour les découvrir tous les trois
à plat ventre sur le sol, en train de dessiner furieusement.
-Passe-moi le stylo rouge!
-Je m'en sers, grommela Heero sans lâcher ledit stylo.
-Salut, Quatre, l'accueillit Trowa en subtilisant le vert que Duo avait posé
par terre.
Le blond s'approcha lentement, regardant les feuilles... ah, des diagrammes.
Ça faisait des jours qu'ils nageaient dedans.
-Je croyais que tu avais fini de travailler pour ce soir, Duo, commenta-t-il
avec amusement, mais Duo ne répondit pas, trop occupé à
essayer de plaquer Heero au sol et de lui faire lâcher le stylo rouge.
Quatre se demanda s'ils étaient en train de se bagarrer pour de vrai
ou juste de jouer. Sans trop y réfléchir, il étendit ses
sens.
Il lui était beaucoup plus facile de capter les sentiments de Heero que
ceux de Duo, réalisa-t-il après quelques secondes passées
à essayer de démêler les différents "goûts"
attachés aux émotions et impulsions qu'il recevait. Mais c'était
surtout parce que le côté Loup du Japonais insistait pour faire
donner sa gorge à l'Américain. Ce n'était pas tellement
agressif, toutefois, juste un curieux mélange de protocole canin et de
jeu. Quant à Duo, il faisait ça juste pour le fun. Ce qui ne l'empêchait
pas d'apprécier la manière dont il se frottait par inadvertance
à son camarade. Rougissant légèrement, Quatre se dit que
Duo n'avait pas intérêt à continuer ou Heero allait sentir
quelque chose.
Il s'assit en tailleur à côté de Trowa, lui envoyant un
petit sourire et son amusement. Le garçon cligna des yeux, sa surprise
puis sa compréhension se transmettant à Quatre. Ils avaient souvent
testé le don de Quatre ces derniers jours, et le blond avait vite compris
comment partager ses sentiments à volonté... quoique ça
ne marchait que quand il était relaxé ou fatigué, et qu'il
avait plus de mal à commencer un partage qu'à l'arrêter.
Trowa, de son côté, avait appris à discerner ses propres
sentiments de ceux de son camarade -- ils avaient un goût vif et plus
sophistiqué que les siens -- mais il savait que s'il n'avait pas été
prévenu à l'avance de ce que le guépard pouvait faire,
il aurait eu du mal à réaliser que ces réactions venaient
de l'extérieur. Ils n'avaient jusqu'à présent jamais testé
en étant aussi proches des autres pilotes.
/triomphe/ envoya Quatre avec beaucoup de satisfaction.
/?/ Trowa leva les yeux sur lui, arquant un sourcil.
Un autre jour, l'Arabe aurait reculé devant la complexité du message
à faire passer, mais il était très content de lui et ça
ne pouvait pas être si dur.
/autre:triste-rejeté. moi:soulagement. autre:pastriste./
Trowa cligna des yeux plusieurs fois, essayant de trier ce qu'il avait reçu.
Ce qu'avait envoyé Quatre était complexe... Certaines des perceptions,
quoique n'appartenant pas à Trowa, ne ressemblaient pas vraiment non
plus à celles de Quatre, comme s'il s'était efforcé d'imiter
un autre timbre émotionnel.
Quatre vérifia que les deux autres se bagarraient toujours puis informa
Trowa d'un ton dégagé.
-Désolé d'être en retard. Un des Sweepers vient de se faire
plaquer, mais c'était à prévoir, sa copine était
une vraie manipulatrice. Il se serait senti mieux dans quelques jours mais pour
le moment il était si déprimé que ... j'ai passé
un moment à bavarder avec lui, pour essayer de lui faire voir le bon
côté des choses.
En d'autres mots, il avait lu ses émotions et avait ramené les
plus positives à la surface. Trowa hocha la tête, assez impressionné.
Les pouvoirs de Quatre marchaient rarement sur des gens qu'il ne connaissait
pas. Sauf la compulsion apparemment, mais c'était sans doute qu'il se
sentait moins coupable de forcer les gens à faire ce qu'il voulait s'ils
n'étaient pas de ses amis.
-Comment va Sandrock? s'informa le brun.
-Pas encore terminé. J'ai bien peur qu'il ne soit pas prêt pour
la prochaine mission, soupira le blond. On sera bientôt arrivés,
et on ne peut pas demander à Howard de flotter en place jusqu'à
ce qu'on soit prêts, c'est déjà assez risqué comme
ça pour lui...
-Je pense que je peux arriver à finir Heavyarms, mais ça sera
juste.
-On n'a toujours pas commencé à modifier les trois autres, au
moins ils seront prêts, commenta Quatre pensivement.
-Je peux savoir pourquoi Maxwell et Yuy sont en train de se rouler sur le sol
comme deux acteurs de mauvais porno? A moins qu'ils ne soient en train de prétendre
être deux combattants incompétents pour un film d'action de série
B...
Adossé au cadre de la porte, Wufei observait la scène, un sourcil
haussé.
-Je penche pour le porno, commenta Trowa tranquillement alors que Quatre s'étouffait
de rire.
-Je pencherais pour le porno aussi, lança Duo sans lâcher prise
sur un Heero roulé en boule autour de son stylo, mais c'est dur d'avoir
une scène de cul réaliste quand on est tout habillé.
-Depuis quand les pornos c'est réaliste?
-Monsieur est un connaisseur à ce que je vois.
-Ta collection m'a beaucoup appris.
-Tu regardes mes pornos!!! s'exclama Duo en le montrant du doigt.
-Ce n'est pas comme si tu te cachais pour les regarder, tu sais, répliqua
Trowa, l'air de ne pas y toucher.
-Gnagnagna... Hey!! Rends-moi ce stylo!!!
Heero roula sur le sol, échappant à la prise de son camarade.
-Non.
Et il s'étala de nouveau à plat ventre en face de son plan, recommençant
à tracer les lignes avec application. Duo grommela, zyeutant le loup
du coin de l'œil.
/Lui claquer les fesses ou ne pas lui claquer les fesses?/
Puisqu'il avait l'air de ne pas pouvoir se décider, Quatre le fit pour
lui. Heero glapit de surprise, sursautant, et dévisagea le blond avec
de grands yeux.
-Tu m'as donné une claque sur les fesses, accusa-t-il, clignant des yeux.
-Il ne fallait pas les montrer, répondit le guépard du tac au
tac tout en se demandant ce qui lui avait pris.
-T'as claqué le cul de Heero! s'exclama Duo, l'air à la fois admiratif
et jaloux.
Quatre rit de bon cœur, se grattant l'arrière du crâne d'un air
vaguement coupable. Il s'était laissé contaminer par l'enthousiasme
de Duo.
-Oui, et je ne vais pas le refaire. Je crois que je me suis cassé la
main.
Le dévisageant d'un air suspicieux, Trowa roula sur le côté
pour mettre son propre postérieur à l'abri. Wufei ne put s'empêcher
de ricaner de son air exagérément soupçonneux. Quelques
secondes plus tard, ils étaient tous en train de rire.
-... Je crois qu'on est tous un peu fatigués... commenta Quatre, toujours
souriant.
-On a travaillé dur ces jours-ci, répondit Duo en s'affalant contre
le canapé.
Il s'étira les jambes, et vu que l'un de ses pieds cognait contre le
flanc de Heero, décida de tout simplement poser le talon sur le dos du
Japonais. Celui-ci grommela, mais, ne pensant pas qu'une seconde bagarre serait
très indiquée, il décida de ne pas protester.
-Faudrait que je finisse mon plan avant d'aller au dodo, mais j'ai la flemme
et Heero monopolise le seul stylo rouge.
Wufei enjamba Trowa et ramassa la feuille abandonnée, lui jetant un rapide
coup d'œil.
-J'ai un stylo-feutre marron, indiqua-t-il en le tirant de sa poche.
Plutôt que de le donner à Duo, qui avait réellement l'air
fatigué, il s'assit sur le canapé près de l'Américain
et tira la petite table basse contre ses genoux pour finir de tracer les lignes
que Duo avait notées au crayon.
Quatre ferma les yeux et goûta les courants d'émotions dans la
pièce. Ils étaient tous las, mais c'était une bonne lassitude,
après une journée bien remplie. Le moral était bon et ils
exprimaient tous des variantes de contentement et de quiétude. C'était
reposant, comme l'était la camaraderie tranquille qu'ils ressentaient
tous et que, à sa surprise, il était en train de recevoir et de
transmettre, presque telle quelle.
Après cette mission, il n'y avait pas de doute que leurs petites vacances
peinardes allaient se terminer. C'était comme de shooter dans une fourmilière;
OZ allait s'agiter pendant un long moment et ça aurait des répercussions
sur le reste de la situation politique. Qui savait quand ils auraient l'occasion
d'avoir un autre moment comme celui-là?
Il s'appuya contre le mur derrière lui, les yeux toujours fermés,
partageant le sentiment d'unité tranquille avec ses quatre coéquipiers.
Il allait avoir un mal de crâne pas possible demain à utiliser
son empathie comme ça, mais pour le moment, ça en valait largement
la peine.
[Prédateurs] [à suivre]