Série: Yuyu Hakusho
Auteur: Asuka
Titre: Cauchemars
(suite de L'anniversaire de Kurama)
Genre: sérieux (allusion à des sévices ;___;)
On m'a réclamé une suite à "l'anniversaire de Kurama", voilà une suite! Je sais pas si c'est ça que vous aviez en tête les filles, mais bon. Ce fan fic fait donc comme je viens de le dire, mais vous suivez ou pas, suite à " l'anniversaire de Kurama", mais il est beaucoup plus sombre, légèrement (trébôcoup) Yaoï, et donc… Avis aux âmes sensibles, l'enfance que j'ai inventée à Hieï dans cette histoire ne sort que de mon esprit pervers et sadique, chacun a le droit à sa propre version ( perso, j'aime bôcoup la version d'Utopian Trunks qui m'a énormément inspirée…) Bon, sinon, le blabla habituel, les persos sont pas à moi et je gagne pas de fric dessus, et patati et patata...
Dédié à Ephy et Kineko ^____________^

Cauchemars

Restés seuls après le départ des invités, Kurama fixa longtemps Hieï. Il ne bougeait toujours pas, serrant sans y prendre garde Aka-chan contre lui. Le renardeau finit par lancer un piaillement de protestation.
-Hieï… dit tranquillement Kurama.
-Hn?
-Tu vas l'étouffer.
Le Jaganshi sembla sortir d'un rêve. Il lança un regard confus à la boule de poils, et relâcha vivement son étreinte, tout en essayant de recomposer son expression pour retrouver le masque froid et impersonnel qu'il arborait d'habitude. Kurama sourit, un sourire doux et amusé ; il se fichait pas mal de ce que Hieï remette ce 'masque'-- maintenant, il savait ce qu'il y avait derrière. Le Koorime n'était peut-être pas irrémédiablement froid et distant, finalement…
-Bon, on retourne au salon ? Mon beau-père et mon frère ne vont pas tarder à rentrer, on va passer à table. Tu as encore faim pour un vrai repas ?
-M-m ! acquiesça le petit démon, l'air parfaitement sûr de ce qu'il avançait- un vrai puits sans fond, à croire qu'il faisait des réserves pour l'hiver.
Il commença à suivre Kurama vers le salon, mais stoppa juste avant de passer la porte, et retint le Yohko par la manche.
-Kurama… Tu crois qu'elle a vraiment compris ? demanda-t-il d'un ton préoccupé.
- J'ai bien peur que oui, soupira le Kitsune sans lui demander de qui il parlait - de sa sœur, bien évidemment. Ce n'est pas plus mal, tu sais… Comme ça, elle est au courant sans que tu aies trahi ta promesse de te taire à ce sujet. Et elle n'a pas l'air de t'en vouloir, tu as de la chance !
-Hmmmm…
Ils n'étaient pas arrivés dans le salon que la porte s'ouvrait à la volée derrière eux.
-Eh, grand frère !
- C'est maintenant que tu rentres, Shu-chan ? demanda Kurama d'un ton faussement sévère. Où étais-tu encore ?
Shuiichi junior avait les yeux qui brillaient d'excitation. Avec de grands mouvements des bras, il se mit en devoir d'expliquer à son frère ce qu'il avait fait de son temps.
- A la galerie, j'essayais le nouveau SoulKalibur. Il est génial, vraiment ! J'ai jamais joué à un jeu de baston aussi cool ! C'est bête, j'ai pas assez d'argent pour me l'acheter… Bah, tant pis, de toute façon, il est pas marrant quand on ne joue pas à deux.
-Est-ce que ce serait une demande déguisée de participation financière ? demanda Kurama en riant, mains sur les hanches.
-Ben… Un ch'tit peu ? rit Shu-chan avant de se rendre compte du poids de deux yeux rouges. Tiens, c'est qui ce type ? demanda-t-il en fixait Hieï.
- C'est un de mes amis, il dort à la maison ce soir. Hieï, je te présente Shuichi-chan, mon petit frère.
-Eh, salut ! s'exclama Shu-chan en lui tendant la main.
Hieï la fixa quelques secondes sans savoir ce qu'on attendait de lui. Heureusement, au moment où la situation devenait gênante, Aka-chan décida qu'il en avait assez d'être porté. Il se mit à gigoter dans les bras du démon, et celui-ci, trop content de la diversion, le posa au sol.
-Eh, c'est quoi cette boule de poils ? Il est à toi ?
-A demi, répondit Kurama. Il ne peut pas le garder, alors il me le laisse. C'est un cadeau d'anniversaire…
-Tu veux dire qu'on va le garder quelques jours ou…
-Non, définitivement, je pense.
Shu-chan s'accroupit devant la boule de poils et la renversa au sol d'une main, puis il se mit à lui tirailler les oreilles et à lui secouer le museau.
-Eh, fiche-lui la paix ! s'exclama Hieï, inquiet pour sa boule de poils.
-Oh, ça va, je jouais… Marrant, ce p'tit bestiau ! Il est baptisé ?
-AkaTsuki. Mais on l'appelle Aka-chan.
-Ca lui va bien, y a pas à dire, s'esclaffa Shu-chan. (NDLA : Aka-chan signifie bébé.) Mais c'est quoi comme race ? J'm'y connais pas mal en chiens, mais un comme ça, j'ai jamais vu…
Mince, la tuile.
-Oh, c'est un bâtard quelconque, je pense…sourit Kurama en agitant la main d'un air indifférent. Allez, à ton tour de mettre la table!!
-Mais, je l'ai déjà mise hier midi… protesta le garçon.
-Et moi hier soir et ce midi. Ca te fait deux tours de suite. Allez, au boulot!!
Hieï suivait apparemment la conversation d'une oreille, mais en fait, il était plutôt intéressé. C'était bizarre, les rapports entre eux deux… Des disputes amicales, des joutes verbales, voilà qui n'était pas habituel pour lui… Il ne se disputait jamais pour rire. Ou pas de cette manière… Plutôt de la manière où seul le vainqueur rit encore… La plupart du temps parce que l'autre, de toute façon, ne peut plus.
Il regarda Shu-chan mettre la table avec l'intérêt d'un entomologiste devant une espèce rare d'insecte aux mœurs inconnues. Tous ces petits rituels de la vie entre humains le fascinaient… Il n'y comprenait rien. Il se demanda si c'était parce qu'ils étaient humains ou parce qu'il n'avait jamais su comment on se comportait en famille.

Après le repas, Kurama et son frère passèrent par le rituel du bisou de bonne nuit.
- Mes fils chéris… soupira Shiori d'un ton heureux en serrant contre elle les deux Shuichi.
Hieï leur jeta un coup d'œil en coin, puis détourna les yeux, feignant d'être fabuleusement absorbé par le mur d'en face. Shiori s'aperçut de sa réaction, et, desserrant légèrement son étreinte, elle se tourna vers lui.
- Eh bien, Hieï- kun, ça ne va pas? Tu es bien timide…
-Moi, timide?! s'exclama le Koorime. Pas du tout!
- Pourquoi tournes-tu la tête comme ça alors? Tu n'es guère plus vieux que Shu-chan, et même Shu-kun aime encore ça, malgré son âge soi-disant avancé, pas vrai Shuiichi-kun? demanda-t-elle à Kurama. Il n'y a pas d'âge pour la tendresse…Ta mère n'a pas l'habitude de te faire des câlins de temps en temps?
Hieï se crispa, et Kurama pensa qu'il allait sortir une injure, ou se refermer comme une huître- il était très fort pour ça, à croire qu'il avait été un coquillage dans une vie antérieure. Et sa mère ne comprendrait pas sa réaction. Elle ne pouvait pas savoir, elle ne connaissait pas le caractère extraordinairement renfermé du Koorime, et encore moins le lieu et les circonstances de son enfance.
Shiori relâcha ses fils et avança lentement vers le garçon qui leur tournait le dos.
- Tu ne m'as pas répondu, dit-elle d'une voix très douce en passant ses bras autour des épaules du petit brun.
Elle l'attira dans ses bras, et se pencha sur lui, affectueuse. Kurama ne put que la fixer, stupéfait. Il allait se décider à faire quelque chose, un geste, un signe pour que sa mère comprenne que le sujet était tabou - mais Hieï le prit de vitesse- et par surprise.
- Elle est morte peu après ma naissance.
La femme le tenait prisonnier dans ses bras, mais il sentait qu'elle ne lui voulait aucun mal. De toute façon, elle était cent fois trop faible pour présenter le moindre risque… Et Hieï comprenait à présent pourquoi Kurama tenait tant à elle. Elle avait un cœur d'or. Si gentille, si douce…
Shiori poussa un petit cri de désarroi et mit une main devant sa bouche.
-Oh, mon dieu, je suis désolée, je ne savais pas… toutes mes condoléances.
-Bah! répliqua le Koorime, haussant les épaules. Je ne l'ai pas connue. Elle ne me manque pas.
-… Tu ne sais rien d'elle…?
- Je sais son nom, c'est tout. … Hina…
Comment aurait-elle pu me manquer, je n'ai jamais su ce que c'était. C'est ça, alors, une mère? Quelqu'un de doux, qui vous fait des gâteaux, des câlins, qui sent quand vous allez mal? Qui s'occupe de vous?
C'est ça, l'amour maternel?
Il secoua la tête, tentant de se débarrasser de cette vague de faiblesse qui l'envahissait, profitant d'un point faible dont il ne s'était jamais rendu compte de l'existence.
Mais ce n'est pas MA mère. Je n'ai pas de mère. C'est celle de Kurama. Et je sais pourquoi il y tient… Je parie que dans le Makaï, celle du Yohko n'était pas comme ça.Ca doit être si rare…
- Je… N'ai pas l'habitude qu'on me touche. Excusez-moi, Shiori-san, mais j'aime pas ça.
-Oh… Comme tu veux, déclara Shiori en relâchant son étreinte. Mais tu rates quelque chose, tu sais… C'est agréable les câlins…
Hieï s'écarta sans rien dire. Mais pas sans rien penser. Il avait l'impression que son cerveau était en ébullition. Oui, c'était vrai, pas désagréable du tout, en fait…Mais pas quelque chose pour lui. Les "câlins", c'était pour les enfants humains en mal d'affection, pas les démons du feu.
Un moment, il regretta de ne pas être un humain.

Pendant que Shiori allait souhaiter bonne nuit à Shu-chan et que Kurama installait le matelas de rechange dans sa chambre, Hiei était allé quelques minutes dans le jardin pour promener le renardeau. Il faisait froid dehors, et noir. Les lumières des autres maisons laissaient passer de vagues rais de clarté dans l'obscurité. Ca avait l'air confortable, et douillet, de l'extérieur. C'était la vision qu'il avait toujours connu. Maintenant il savait que ce n'était pas juste une impression. Comment pourrait-il supporter d'y retourner ? Dans ce froid, cette obscurité, cette solitude… Il regretta d'avoir laissé Yukina le convaincre de venir. Ca avait été une erreur.
Dès qu'AkaTsuki eut fini, il le repêcha vivement par la peau du cou et se dirigea vers l'étage, essayant d'oublier les pensées moroses qui lui trottaient dans la tête. La mère de Kurama sortait de la chambre de son fils adoptif avec des couvertures sur le bras.
-Bonne nuit, Shu-chan, dit encore Shiori en fermant la porte de la chambre du garçon derrière elle.
Hieï rentra dans la chambre de Kurama à la suite de Shiori. Elle déposa les couvertures sur le matelas que Kurama avait sorti de sous son lit, les arrangea, puis se tourna vers son fils et son ami.
- C'est bon, je pense que vous vous débrouillerez seuls, non ? lâcha-t-elle avec un doux sourire qui faisait ressortir les rides au coin de ses yeux. Ne vous couchez pas trop tard !
Elle sortit, les laissant seuls.
Kurama lança un regard au démon du feu. Il était debout près du lit. Il déposa lentement le renardeau endormi dans son carton, puis alla à la fenêtre et l'ouvrit en grand, avant de se laisser tomber sur le bord du matelas. Kurama protesta en sentant le vent glacial s'infiltrer dans la chambre et rafraîchir d'un seul coup l'atmosphère.
-Hieï, ça va pas? Ferme ça, on gèle! s'exclama-t-il en se dirigeant vers la fenêtre.
Mais il avait à peine commencé à la refermer que le démon de feu s'était relevé d'un bond et lui avait arraché le battant des mains.
-Laisse ça comme ça! gronda-t-il.
-Mais enfin, Hieï, on va être congelés! Il fait sept degrés dehors!
-Hier il faisait encore plus froid et je suis toujours en vie, grommela Hieï.
Imbécile de renard. Il ne se souvenait jamais que Hieï n'avait pas, lui, une maison douillette où se réfugier quand il avait un peu froid… Ni une mère qui lui faisait à manger, se dit-il.
Il secoua la tête pour chasser cette pensée importune dont il ne savait pas d'où elle venait.
Il n'avait pas besoin d'une mère. Il s'en était très bien passé pendant quatre-vingt ans. Kurama était juste en train de s'affaiblir à prendre ses petites habitudes, il avait bien besoin de refaire un tour dans le Makaï pour se rappeler la vraie dureté de la vie. Il allait avoir une sacrée surprise, le jour où il devrait se débrouiller seul!
-Hieï, je vais attraper un rhume…
Hieï le regarda fixement, puis éclata d'un rire agressif et froid.
-Yohko Kurama effrayé à l'idée d'attraper un rhume! C'en ferait rire pas mal dans le Makaï!
Le Koorime traîna le matelas sous la fenêtre, puis s'assit dessus, adossé au mur.
Kurama soupira. Une fois que Hieï avait décidé une chose, il était impossible de le faire changer d'avis. Mais il ne comprenait pas du tout en quoi cela le dérangeait de ne pas avoir froid. Il craignait d'avoir trop chaud? Passablement bizarre pour un démon du feu…
Il éteignit l'ampoule du plafond, ne laissant allumée que la lampe de chevet, puis se dirigea vers la penderie, sortit son pyjama, et commença à se déshabiller en vitesse, frissonnant malgré lui sous la morsure du vent sur sa peau tiédie.

Hieï avait fermé les yeux, mais il les rouvrit en entendant un son métallique.
"Ah, ce n'est rien," se dit-il, "seulement le portemanteau sur la barre de fer dans l'armoire"
Mais que faisait Kurama? Il se déshabillait... Il avait la peau si pâle, si fine, on voyait qu'il ne vivait pas à la dure… Aucune cicatrice, aucune marque sur cette peau de bébé. Mais quand même, il était musclé, mine de rien, sous son apparente minceur. On le voyait bien mieux avec cette lumière tamisée, qui mettait en relief le moindre…
Mais quelle importance? Pourquoi se préoccuper de la manière dont était bâti Kurama? C'était son problème, pas le sien.
Il referma les yeux.

Kurama finit de mettre son pyjama, et se retourna vers le Koorime. Il semblait s'être endormi assis, immobile, et donnait l'impression d'être tout à fait indifférent à la présence de Kurama, comme s'il avait été un caillou ou quelque chose comme ça.
Le Yohko soupira, et se dépêcha de plonger sous sa couette, frigorifié. C'était bien du Youkaï de se ficher du bien-être des autres. C'était vrai, Hieï vivait à la dure d'habitude, mais en quoi cela pouvait-il lui faire du mal, de dormir au chaud une seule fois? Il ne s'était même pas allongé sur le matelas, remarqua-t-il. Il semblait vouloir passer la nuit dans cette position pour le moins inconfortable.
-Tu ne t'allonges pas, Hieï?
Hieï ne lui répondit même pas, se contentant de le dévisager de son regard comme-si-tu-ne-le-voyais-pas-toi-même-espèce-de-baka ™.
-Tu serais mieux, insista Kurama.
-Je suis très bien comme ça.
-Personne ne va t'attaquer cette nuit, tu sais.
-Non, justement, je sais pas, cingla le Jaganshi.
Kurama soupira et éteignit la lampe de chevet, les plongeant dans l'obscurité.

Hieï aurait préféré mourir que le dire à Kurama, mais il se sentait incroyablement vulnérable sans son sabre à proximité. Il avait l'impression d'être sans aucune défense… Bon, d'accord, il avait toujours la magie, mais c'était une habitude qu'il avait prise de dormir la main sur la garde de son arme, et il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il savait très bien qu'il y avait une probabilité très faible qu'ils soient attaqués, mais quand même… C'était pour ça qu'il avait tellement insisté pour garder la fenêtre ouverte: il ne supportait pas d'être enfermé, sans une voie de repli.
"Mais si tu étais attaqué," lui fit remarquer une petite voix, "tu pourrais bien passer sans problèmes à travers la vitre, ce serait pareil -tu pourrais même passer à travers le mur si tu le voulais vraiment".
Il remarqua que Kurama frissonnait, si fort que même à travers la couverture, il le voyait. "Bon, peut-être que je peux fermer cette fenêtre, en fin de compte", se dit-il, hésitant.
"Mais alors, je serai prisonnier."
Tant pis pour la fenêtre, Kurama s'habituerait bien. Au pire, il n'avait qu'à prendre une autre couverture. Quelle idée d'être aussi douillet! Espèce de mauviette!
Il se rencogna contre le mur et tenta de s'endormir. Il n'y avait pas de danger, chez Kurama. Pas de danger du tout.
Pas du tout.

Hieï finit par s'endormir.
Il rêvait rarement, mais ne s'en portait pas plus mal - ses rêves méritaient moins souvent ce nom que celui de cauchemars. Même si ce qu'il voyait dans son sommeil n'était pas dû à une imagination débordante, non -c'étaient seulement des souvenirs. Et encore, des souvenirs considérablement flous, imprécis, incomplets, et sous lesquels il se réveillait immanquablement avant la partie la plus désagréable. Une chance.
En fait, les rêves les plus doux de Hieï auraient fait se réveiller en hurlant n'importe quelle personne normalement constituée.
Mais après tout, il avait l'habitude. Il n'était pas une mauviette.

Il tombait. De haut. De très haut. De si haut qu'il en venait à douter de toucher terre un jour. Mais ça, c'était un commentaire d'"après". A ce moment, il ne savait pas qu'il était censé y avoir une terre quelque part. Il ne savait pas qu'il ne tomberait pas toujours. Il cria, un vagissement de nouveau-né --son cri lui fut arraché de la bouche et emporté par le vent, si vite qu'il en douta avoir réellement produit un son. Le seul son, c'était celui du vent sifflant dans ses oreilles. Il n'y avait rien, mis à part le vide, son couffin et la pierre dont il tenait la cordelette dans son petit poing de bébé, d'une poigne de fer dont sont seuls capables les nouveau-nés. D'habitude, quand il rêvait de sa chute- son plus lointain souvenir avec Rui et les Koorime- il lui suffisait de resserrer son poing autour du manche de son sabre. Et en constatant que ce n'était pas la cordelette qu'il serrait, il se souvenait que ce n'était qu'un morceau mort de son passé, et il se réveillait. Mais cette fois, il continua la chute. Jusqu'au bout. Jusqu'à "l'atterrissage".
La douleur le frappe, l'envahit. Il n'a jamais ressenti ça de toute sa courte vie de quelques heures à peine, pas même quand on l'a arraché au ventre de sa mère, et à cette autre présence- sa sœur - mais il sent instinctivement que même après des années, il ne ressentira pas une douleur comparable. Le Hieï qui rêve ce souvenir le sait, lui- jamais. Il se raidit, hurle, un cri déchirant qui ne devrait pas pouvoir être produit par un corps aussi frêle- la douleur le prend, le submerge, le frappe, le laissant pantelant - puis tout devient rouge, puis noir. Il ne sait pas qu'il n'a dû sa survie qu'à la présence d'un arbre feuillu qui a amorti sa chute et d'un buisson qui l'a recueilli. A ce moment-là, il ne sait même pas qu'il est encore en vie.
C'est la faim qui le réveille, une faim dévorante, qui lui déchire les entrailles, et, conjuguée avec la pulsation de douleur sous son crâne, le fait hurler. Un cri perçant de bébé. Il aurait mieux fait de se taire- rien de tout cela ne serait arrivé. Peut-être n'aurait-il pas survécu jusqu'à ce jour, si personne ne l'avait trouvé- mais aurait-ce été un mal?

Hieï s'agita convulsivement dans son sommeil, et glissa le long du mur jusqu'à se retrouver recroquevillé dans le coin. Il se roula en boule par réflexe. Kurama le regarda, tiré de son assoupissement par le mouvement inattendu du Youkaï. Le Yohko s'était emmitouflé dans la couverture jusqu'aux oreilles pour lutter contre le froid, ne laissant dépasser qu'un bout de sa figure. Il se dégagea légèrement pour mieux voir le démon du feu.
Hieï tremblait, remarqua-t-il, légèrement incrédule. Est-ce qu'il avait froid, finalement? Quoique un démon du feu ne pouvait pas vraiment avoir froid… Pourtant, il était roulé en boule comme s'il avait essayé de ressembler à un porc-épic.
Kurama se leva, enroulé dans sa couette, et se dirigea vers lui. Il s'arrêta au bord du matelas pour le regarder quelque secondes, puis s'agenouilla et se pencha vers le visage de son ami, essayant de distinguer ses traits. Il se crispa inconsciemment sous la surprise de découvrir une expression qu'il n'avait jamais vue avant sur ses traits, et qu'il n'avait jamais cru voir un jour tant il avait fini par être persuadé que Hieï était d'une dureté et d'une solidité à toute épreuve.
De la peur. De la terreur même. Une terreur impuissante d'enfant livré à des horreurs qu'il est trop petit pour affronter et ne peut que subir, totalement désarmé.

Il avait grandi sans se rappeler trop comment- il avait été retrouvé et nourri par une vieille femme qui lui avait donné des morceaux de viande- encore heureux que les Youkaï naissent avec leurs crocs. Il s'était fait un abri sous le plancher de sa maison, là où elle ne pouvait pas atteindre. Elle s'était occupée de lui comme on s'occupe d'un animal sauvage qui rôde dans le coin, lui donnant à manger quand elle y pensait, quand elle en avait envie. La plupart du temps, elle oubliait totalement son existence.
Et encore heureux, d'ailleurs. Elle était complètement folle. Des fois, elle le prenait pour quelque chose qu'on pouvait placer dans la catégorie d'un chien de garde, c'est-à-dire un animal utile et obéissant, des fois pour un loup, un prédateur dangereux devant être chassé. Il n'arrivait jamais à savoir à quoi s'attendre avec elle. Elle pouvait le gratter distraitement sur le haut du crâne et l'instant d'après le chasser à coups de bâtons. Ou lui mitonner un bon petit plat- qu'elle avait assaisonné avec des graines empoisonnées. Et elle riait comme la folle qu'elle était quand il se tordait sur le sol, en proie à des douleurs qui lui ravageaient le ventre, puis se mettait à le soigner en pleurant, soucieuse de son sort- comme une petite fille qui s'inquiète pour une poupée à laquelle elle vient de faire avoir un accident pour jouer.
Un jour elle était morte -il ne s'était jamais demandé pourquoi, il ne s'était pas attaché à elle. Sans doute de vieillesse. Il était resté aux alentours de sa cabane quelque temps, puis l'odeur du cadavre en décomposition l'avait fait fuir.
Comme un animal.

Comme un animal il avait survécu quelque temps, grappillant tout ce qu'il pouvait là où il le pouvait, se nourrissant de tout ce qui ne courait pas assez vite, volant leurs œufs aux oiseaux, leurs repas aux voyageurs de la forêt. Voler les Youkaïs qui traversaient les bois, c'était dangereux, très dangereux; mais c'était devenu son seul moyen de survie. La faim qui l'accompagnait toujours ne l'aidait pas vraiment à réfléchir sur la folie de dépouiller des monstres qui se montraient assez cinglés ou assez puissants pour traverser cette forêt si sinistre sans crainte, folie d'autant plus grave qu'il savait que certains d'entre eux n'auraient pas de scrupules à faire du voleur de nourriture un autre repas.
Seulement, l'instinct de survie chevillé à son corps le lui disait très bien: s'il volait les Youkaï, il mourrait peut-être; s'il comptait sur les ressources qu'un gamin comme lui pouvait trouver seul, il mourrait sûrement.

Un soir, la fatigue était trop grande, et le Youkaï plus observant que d'autres; il se fit apercevoir avant même d'arriver à l'orée de la clairière. Il se figea, ses grands yeux rouges retenant et réfléchissant les lueurs du feu devant lequel les deux hommes étaient assis. Il s'apprêtait à repartir à toute allure, mais les deux voyageurs ne semblaient pas surpris de le voir, ni agressifs d'une quelconque manière. Le plus grand et le plus massif d'entre eux sourit même, brièvement, et le petit garçon dut retenir un frisson; il avait d'épais crocs jaunes, comme un fauve, et une épaisse fourrure roux sale. Puis avec un clin d'œil encourageant, il saisit un bout de la viande qui cuisait et dont l'odeur l'avait attiré pour la lui présenter.
Tous ses instincts lui hurlaient de s'enfuir, vite, mais une petite part de lui, l'enfant fragile qu'il aurait pu être, lui souffla son besoin d'aide et de protection. Sa fatigue et sa faim firent le reste.
Il s'avança prudemment, sur ses gardes, et tendit la main pour attraper le bout de viande qu'on lui montrait, essayant de faire vite avant que le donateur ne décide de changer d'avis. Il se raidit de tout son corps comme il n'était plus qu'à quelques pas du bandit, qui le fixait en souriant légèrement. Mais on n'aurait pas dit que ce sourire était agressif… amusé plutôt. Le petit garçon fit le dernier pas, celui qui le séparait de la nourriture, tendu comme un arc, et se prépara à saisir la viande à pleine main et à ficher le camp le plus vite qu'il le pouvait. On ne savait jamais, même si le type n'avait pas l'air méchant…
Fallait croire qu'il cachait bien son jeu.

Le petit démon du feu, au cours d'années de chapardage, avait appris à ne compter que sur sa vitesse, qui était le seul avantage réel qu'il possédait, et pour cette raison, il faisait tout pour la travailler- mais il fallait bien convenir que ce n'était pas toujours suffisant. Il glapit de surprise en sentant la grosse main du Youkaï se saisir de son bras avant même d'avoir eu le temps de le voir bouger.
"Alors, petit voleur… C'est toi qui nous chaparde nos collets depuis quelques jours? Tu vas regretter ça…"
Quelle idiotie d'avoir cru que ce type ait pu vouloir lui donner quelque chose. Il l'avait appâté pour le faire tomber dans un piège, c'était tout, comme il avait vu faire avec des oiseaux. Et comme un imbécile, il avait donné dans le panneau. Il s'en souviendrait, tiens, de ne faire confiance à personne!!
… S'il survivait.

Il avait déjà montré des facultés incroyables pour ce qui était d'encaisser les coups- encore heureux pour lui. Et la torture qu'il subit ce soir-là n'était rien, se rappelait-il en serrant les dents pour ne pas risquer de se mordre la langue sous la souffrance, elle n'était rien en comparaison de ce souvenir, quand il était tombé du ciel... Le ciel, il se concentrait sur le ciel. Ne pas penser à la souffrance. Ne pas penser à mes côtes qui se brisent, au sang que je crache. La douleur n'est rien. Ne pas laisser à ce type la satisfaction de m'entendre crier. Ne pas bouger, pour ne pas l'exciter encore davantage contre moi. Faire le mort. Je suis mort. Les morts ne souffrent pas.
-Ca suffit, Fert, déclara nonchalamment la voix du compagnon de voyage du type. Espèce de sadique, il est mort maintenant, si avec ça tu l'as pas tué! Ca ne sert à rien de s'acharner sur un cadavre…
-Pas sûr… On dirait qu'il respire encore, répondit le dénommé Fert en lançant dans le ventre du Koorime un coup de pied qui l'envoya voler à travers la clairière et frapper de plein fouet un tronc d'arbre à une dizaine de mètres.
Le petit Koorime ouvrit un œil englué de sang en constatant qu'il était à présent à une dizaine de mètres de son tortionnaire, et tenta désespérément de courir, de marcher, de se traîner vers l'abri des buissons. Il ne put que se ramper sur quelques dizaines de centimètres dans l'herbe haute avant que la douleur ne le frappe à la poitrine. Il cracha du sang, et son esprit devint blanc. Un coin de sa mémoire devait encore être conscient, cependant, car cette fois il rêva même de ce qui s'était passé après.
-Tiens, t'avais raison… Il est encore en vie.
-Plus pour longtemps, gronda le Youkaï aux mains en battoirs.
Le maigre Youkaï pâle aux cheveux noirs le stoppa d'un mouvement insistant de la main, amusé par la ténacité du petit.
-Non, minute! Il est vraiment résistant… Tu lui as filé des coups qui auraient pu tuer un adulte, et lui…
-Ce sale petit voleur… gronda Fert comme le fauve qu'il était.
L'homme à la peau blanche sourit, un sourire sinueux et déplaisant.
-Et nous, on est quoi? demanda-t-il. Laisse-le, je le garde.
Il s'avança vers le petit, pas à pas, lentement, lui tourna autour comme un requin prêt à fondre sur sa proie.
-Tu vas voir, je vais le dresser, il sera bien utile.
-Le dresser? Comment tu vas faire ça? Je lui ai fichu une raclée à le tuer net et il a pas poussé un cri, admit le fauve avec un haussement d'épaules.
-Oh, il y a d'autres moyens, tu sais… sourit le youkaï au teint maladif. La douleur n'est pas seulement physique… Elle peut être mentale… Suffit de savoir trouver le point faible… Y en a toujours un.
Fert éclata d'un rire tonitruant qui cachait mal une touche de malaise. Des fois, même lui avait peur de son compagnon de route.
-Et tu dis que je suis sadique…
Physiquement, il avait l'équivalent de trois ans. Mais les youkaïs s'en moquaient bien. Assez grand pour voler, assez grand pour en supporter les conséquences…

Kurama le vit tressaillir et trembler encore, et il se demanda s'il n'était pas malade. Mais il ne le semblait pas. Est-ce qu'il devait le réveiller?
-Hieï? appela-t-il, hésitant encore.

-Bravo, petite ombre… Pas trop mal, déclara Jyujin -le type qui s'était "occupé" de lui, celui qui ressemblait à un squelette ambulant qui ne se serait pas encore aperçu de sa mort.
Il recompta les pièces qui se trouvaient dans la bourse que le petit Koorime avait chapardée, puis lui fit un petit signe de tête pour l'autoriser à prendre une part du repas. Le jeune garçon se dépêcha d'enfourner sa petite part avant que l'autre change d'avis- ça lui arrivait souvent, et il avait appris très vite que le seul endroit où sa nourriture ne pouvait lui être arrachée, c'était dans son estomac.
Il n'était pas nourri très souvent, seulement quand il rapportait quelque chose d'intéressant aux voleurs. Heureusement, il ne se débrouillait pas si mal -personne ne se méfiait d'un bambin aussi petit, même s'il était un tout petit plus âgé qu'il ne le semblait- la malnutrition n'avait guère favorisé sa croissance.
Mais en mangeant, il n'avait pas pris garde au fait qu'il était à portée de mains de Fert. Celui-ci le saisit par les cheveux et essaya de lui flanquer un coup de pied. Un tiers par chance, un tiers par sa vitesse à esquiver et un tiers parce que l'autre était bourré, il le rata. Le Youkaï vit là sa chance et le mordit là où il le pouvait pour se dégager de la poigne qui menaçait de lui arracher la peau du crâne. Fert le lâcha en poussant un glapissement de douleur et une bordée de jurons, et le petit Koorime tenta de s'enfuir.
Il n'avait pas fait trois pas que Jyujin lançait sur lui sa cape, comme un filet. Il se sentit enveloppé, prisonnier. Il se débattit, mais il n'y avait pas d'issue.
-Vilain petit garçon…
Jyujin noua la cape autour de lui comme un sac, puis la donna avec son contenu gigotant à l'autre Youkaï.
Après tout, il pouvait être frappé aussi bien à travers le sac, ce n'était pas ça qui le protégerait… même si ça l'empêcherait d'esquiver.

Douleur.

Après la raclée, le Youkaï le jeta sans autre forme de procès dans la cave de la maison abandonnée qui servait de refuge à la bande de voleurs. Comme d'habitude.
Le noir complet, même pour sa vue nocturne assez développée.
Le noir, le froid, l'obscurité- mais pas le silence. Tout autour de lui, des glapissements de rats, des fourmillements d'insectes, des gouttes d'eau qui suintent- et par-dessus tout, le craquement des planches moisies du plafond au-dessus de sa tête. C'est un fait reconnu, et largement discuté chez les voleurs, que la bâtisse délabrée ne tient plus debout que par on ne sait quel miracle, et que ses planches sont tellement rongées par les vers qu'on peut même, par endroits, voir à travers. Un jour, bientôt, elle s'écroulera.
Et ça peut très bien arriver pendant qu'il est enfermé à la cave.
Tiens, ce craquement, là, n'était-il pas bien plus fort que les autres? N'est-ce pas le bruit annonciateur de l'effondrement?
Dans le noir, il écarquille les yeux. L'obscurité ne se dissipe pas- elle semble passer par ses blessures, entrer dans son cœur. L'envahir. Elle se resserre autour de lui, comme si elle était vivante. Elle est vivante. Elle veut le dévorer. Les murs se sont rapprochés, il en est sûr. Les ombres sont encore plus denses. Elles se pressent autour de lui, affamées. Il étouffe, il n'en peut plus.
-LAISSEZ-MOI SORTIIIR!!! hurle-t-il, à s'en arracher la gorge, mais il ne s'attend pas à ce qu'on obtempère. Il n'est même pas sûr qu'on l'entende. Si ça se trouve, ils ont complètement oublié son existence.
Dans l'obscurité absolue, les minutes deviennent des heures, les heures, des jours entiers.
Y a-t-il réellement eu autre chose que les ténèbres?
-Laissez-moi sortir…

Kurama se pencha sur le matelas et ramena sur Hieï la couverture que sa mère lui avait donnée, mais qu'il ne s'était même pas donné la peine de déplier. Il le recouvrit lentement, le borda avec tendresse, faisant tout son possible pour ne pas le déranger.
"Voilà, il ne prendra pas froid", pensa-t-il, avant de frissonner sous le petit vent glacé qui descendait de la fenêtre ouverte. Hieï ne risquait pas grand-chose, mais lui… "Après tout, maintenant, il dort. Ca ne le dérangera pas…"
Kurama se releva, enjamba précautionneusement le démon du feu, et ferma les volets, puis la fenêtre. Voilà, plus de courant d'air. "J'espère que ça va se réchauffer vite fait…"
Hieï commença à s'agiter, remuant la tête d'un côté puis de l'autre, et à marmonner des syllabes incompréhensibles, et Kurama se pencha sur lui, inquiet. Il savait que Hieï avait tendance à parler dans son sommeil quand il était stressé- c'était comme ça qu'il avait entendu pour la première fois le nom de Yukina, d'ailleurs, parce que le Youkaï était si préoccupé de son sort que même inconscient il avait réussi à l'appeler. Mais là, il ne savait pas ce qui pouvait inquiéter son ami.
-Non… Sortir…ssez-moi sortir… Le noir…
Il faisait un cauchemar. Il fallait le réveiller. Kurama posa ses mains sur les épaules du Koorime et le secoua doucement.
-Hieï… Hieï, réveille-toi, tout va bien!

Le Youkaï avait fini par s'endormir- ou par perdre conscience? Il ne savait pas, c'était la même obscurité. Dorénavant, elle ne le quittait plus- une part de son âme. A chaque fois qu'il se réveillait dans les ténèbres, c'était pareil- il ne savait plus ce qu'il faisait là, pourquoi il avait été puni, il mélangeait tout, il n'arrivait plus à savoir si c'était la première fois ou la centième qu'il se retrouvait ici. Mais non, ce n'était pas parce qu'il s'était rebellé qu'il se retrouvait là- ça, ça s'était passé longtemps auparavant, quand il était encore un bambin haut comme trois pommes. Il avait trente ans à présent, ça faisait vingt ans qu'il vivait chez les voleurs- vingt ans qu'il se retrouvait régulièrement dans la cave. Trente ans- au début de l'adolescence. C'était parce qu'il avait raté son coup et qu'il avait donné l'éveil aux gardes sans le vouloir, pas parce qu'il avait désobéi délibérément- ça, il ne le faisait plus, plus depuis la fois où il avait mordu l'autre. Où on l'avait laissé dans les ténèbres pendant sept jours, sans eau ni nourriture, forcé de boire à la flaque qui suintait et de chasser les rats. D'ailleurs, ils avaient été fort surpris, en se souvenant de son existence, de le retrouver en vie.
Le souvenir des terreurs passées était dur à supporter, mais plus facile à encaisser que le présent. Il était au bord de la folie. Et de temps en temps, il réussissait à s'en rendre compte.

La porte s'ouvrit, le coupant dans sa dérive au long de ses pensées. Elle était située en haut des escaliers délabrés, et donnait dans une petite pièce sans fenêtres- il voyait un peu mieux, mais guère plus que de vagues ombres encore plus sombres que les ténèbres qui l'entouraient. Ce qui l'avait "réveillé" n'était pas réellement un changement de luminosité, mais plutôt le bruit de la porte et la sensation que quelqu'un approchait- il était très doué pour sentir le moindre mouvement d'énergie aux alentours -mais il n'avait pas le choix, se laisser surprendre n'était pas la meilleure des choses à faire dans son monde.
Quelqu'un descendait les escaliers. Il distinguait vaguement une silhouette. Puis la porte se referma… C'était nouveau. D'habitude, il était enfermé seul, jamais personne ne descendait à la cave. D'une certaine manière, se rendit-il compte, il avait plus peur d'être enfermé avec quelqu'un que seul- quand il était seul, il était sûr qu'il ne devrait affronter que ses propres terreurs. Il reconnut soudain l'énergie, au moment où le Youkaï s'arrêtait en face de lui.
Jyujin.
Son pire cauchemar.
Il tenta de se glisser le plus silencieusement possible le long du mur pour le contourner et s'écarter de lui, mais le démon suivit le mouvement, comme s'il le voyait aussi bien qu'en plein jour. Lui, il ne pouvait le repérer qu'à l'oreille et c'était excessivement stressant. Il tenta de s'écarter de l'emplacement qu'avait occupé son maître la dernière fois qu'il était arrivé à le localiser exactement, se traînant sur les coudes vers l'autre mur, essayant de s'écarter du coin où il s'était roulé en boule avant de s'évanouir. Ne pas se laisser coincer, surtout pas.
Un pas crissa sur le sol humide, derrière lui, puis un autre, plus proche- il le suivait, mais comment?! Le Koorime accéléra le mouvement le plus silencieusement possible, couvert d'une sueur froide.
Un troisième pas, puis un autre, puis une brève course dans sa direction. Il ne s'était pas redressé entièrement qu'il sentit une main osseuse se refermer sur sa nuque. Il se débattit instinctivement deux ou trois secondes avant de se souvenir que Jyujin avait horreur de ça et que ça ne servait à rien qu'à le rendre encore plus sadique.
Les mains griffues étaient glacées.
- Vilain petit garçon… On s'en va quand son maître arrive? Pas bien du tout, ça…
Le plaisir malsain qu'il y avait dans la voix sifflante le fit frissonner.
-Comment… souffla le petit Youkaï en tremblant. Comment vous…?
Le grand Youkaï éclata d'un rire mauvais.
-Je suis ton maître, non? Je peux tout faire, je sais tout de toi…
Le jeune Koorime le croyait. Après tout, c'était lui qui avait fait de lui ce qu'il était, lui qui l'avait façonné.
-Tu ne pourras jamais m'échapper. Tu es à moi, scanda le Youkaï en le secouant violemment à chaque mot, sans changer son ton doucereux. Alors n'essaye plus jamais de t'enfuir devant moi, est-ce que c'est compris?
-Je… hoqueta le Koorime, près de pleurer de pure terreur. Pardon… Pardon!
- C'était très vilain de ta part, petit… Très vilain. Je ne sais pas comment je pourrai te pardonner.
Les griffes se plantèrent dans sa nuque, pas très profondément, mais suffisamment pour lui faire comprendre que ce n'était qu'un avertissement.
-Comment vas-tu faire pour te faire pardonner? Mis à part en te tenant bien sage, pour une fois?
Et soudain, l'autre main se glissa sous sa tunique. Sur son ventre nu, sans défense. Les griffes coururent sur sa peau fine, pas assez appuyées pour percer la peau, non, juste assez pour le faire frissonner. Et un rire froid et pernicieux résonna sous la voûte humide.
-Tu commences à grandir, toi… remarqua distraitement Jyujin. Je me demandais si tu resterais un bébé toute ta vie, mais… On dirait bien que tu te muscles…
La voix le fait frissonner encore plus. Elle a un ton qu'il ne lui a jamais entendu avant; un ton qui, soudain, l'effraie encore plus que la cave. Elle a quelque chose de visqueux, de sale, de répugnant, comme une limace gluante. Elle porte une menace terrible…
Jyujin le soulève, le jette sur l'escalier. Le choc de sa poitrine sur les marches lui coupe le souffle. Avant d'avoir pu se relever, il est cloué au sol par les mains de son maître.
-Non, non! Laissez-moi! NON!!!

-Hieï, réveil-
"Huff!!" souffla Kurama en se prenant en pleine poitrine un coup de pied à lui défoncer les côtes.
Il fut projeté contre le coin de son lit, qu'il heurta de plein fouet, tenta désespérément de reprendre son souffle, ne serait-ce que pour crier sa douleur totalement inattendue. Il glissa au sol, une main sur la poitrine, l'autre appuyée sur le lit, et ouvrit les yeux sur le démon du feu en face de lui.
-Non! criait-t-il, les yeux écarquillés, en se terrant contre le mur comme un animal traqué.
Il se débarrassa de la couverture à coups de pieds affolés, et se recula encore plus dans le coin. Kurama le regarda fixement, sans comprendre ce qui lui prenait. Le Koorime se mettait à tourner la tête de tous côtés, cherchant désespérément une issue du regard - mais la pièce était close; et si sombre…Prisonnier.
-Non, pas ça, laissez-moi! hoqueta-t-il d'une toute petite voix de petit garçon.
Le Yohko cligna des yeux, stupéfait. Mais que lui arrivait-il? Il avait l'air terrorisé, et si impuissant… Mais qu'est-ce qui l'avait effrayé comme ça? se demanda-t-il, sans comprendre. Le fait que Kurama le prenne par les épaules ou quoi? Peut-être le fait qu'il soit entré dans son espace vital sans son consentement, pendant son sommeil… Mais il aurait plutôt pensé que dans ce cas-là, Hieï se ferait un plaisir de lui apprendre à respecter les distances de sécurité - c'était ce qui s'était passé, certes, mais…
-Hieï, c'est moi, c'est Kurama, déclara doucement le Kitsune en frottant sa poitrine douloureuse. Je suis désolé, je ne voulais pas t'approcher comme ça, mais j'avais trop froid… Tu m'entends?
Hieï se redressa à quatre pattes, et entreprit de s'écarter de Kurama sans lui tourner le dos, ses yeux affolés cherchant toujours une issue.
"Il ne m'a pas reconnu", se rendit-il compte. "Mais pourquoi avoir si peur? Même sans son sabre, il a toujours les flammes…"
-Laissez-moi partir! J'veux sortir d'ici!
Sa voix avait des accents hystériques, et elle sonnait complètement terrorisée.
"Il me vouvoie… Ce n'est pas à moi, Kurama, qu'il parle. Il me confond avec quelqu'un, quelqu'un qui lui fout les jetons. Je ne vois pas qui le pourrait, mis à part peut-être quelqu'un qui résisterait au Kokuryuha… "
-Hieï, calme-toi, répéta le Yohko d'une voix apaisante. Tu ne me reconnais pas? C'est moi, Kurama, on est amis, tu te souviens? Du calme, je rouvre la fenêtre, OK?
Il se leva lentement pour se diriger vers la fenêtre, et l'ouvrit encore plus lentement, puis repoussa les volets. La lumière de la lune qui entrait par la fenêtre sembla calmer le démon du feu. Il se rassit, tremblant, contre le mur, et resserra ses bras autour de ses genoux, puis commença à se bercer mécaniquement, les yeux dans le vague. Un rêve, un rêve, seulement un rêve…
Kurama s'accroupit à trois mètres de lui, ne voulant pas l'approcher à ce moment où il commençait tout juste à se calmer.
-Hieï? finit-il par dire au bout de quelques instants. Je suis désolé, je voulais simplement fermer la fenêtre, et je me suis penché sur toi pour voir si tu n'allais pas bien, on aurait dit que tu avais un cauchemar…
-J't'avais dit de pas fermer cette fenêtre, répliqua vivement le démon du feu, tentant de regagner son self-control.
-Désolé… Je me disais que puisque tu dormais, ça ne te ferait rien… Je ne savais pas que tu étais claustrophobe.
-Que quoi? demanda le démon en fronçant un sourcil, essayant désespérément de penser à autre chose pour chasser le moindre souvenir de ce rêve- de ce cauchemar - de ce souvenir - mais il tremblait toujours, d'une manière inextinguible, et son cœur ne voulait pas se calmer- il sentait trop bien sur lui ces mains…
-Que tu ne supportais pas d'être enfermé, expliqua Kurama, confus du comportement de son ami. Je pensais que si tu te mettais toujours sur la fenêtre quand on était à l'intérieur, c'était parce que tu voulais pouvoir ficher le camp si on t'embêtait trop, et…
Il commençait à babiller, il le sentait. Et le Koorime ne l'écoutait plus.
-Hieï, ça va, tu es sûr?
-Hieï… Oui, c'est mon nom.
Kurama cligna des yeux, stupéfait, ne comprenant pas ce que voulait dire le Koorime.
-Evidemment que c'est ton nom! Tu veux dire que tu en as eu d'autres?
-Je veux dire qu'il y a eu une époque où je n'en avais pas, souffla le petit démon du feu, toujours recroquevillé dans son coin.
Il ouvrit encore la bouche, comme pour continuer à se confier, et Kurama attendit impatiemment -c'était si rare que Hieï parle de lui; il ne savait rien de son histoire avant leur rencontre, sauf la part racontée par Yukina- à savoir son "expulsion" du château des glaces. Mais le Koorime sembla se raviser au dernier moment. Il cligna des yeux et étouffa tant bien que mal un tremblement, et referma la bouche.
-Qui t'a baptisé, alors? demanda Kurama après quelques secondes d'attente où il finit par se rendre compte que Hieï n'avait pas l'intention de continuer seul.
-Moi, lâcha le Jaganshi après quelques secondes. Tout seul.
-Pour quelle raison as-tu choisi ce nom-là plutôt qu'un autre? lui demanda Kurama, curieux.
- 'Ombre' et 'voler', répondit simplement Hieï, comme si ça expliquait tout.
-Je ne comprends pas, dit le Kitsune en fronçant un sourcil, perplexe.
-Tu connais quelque chose qui me décrit mieux? C'est ce que je suis.
Kurama réfléchit quelques instants sur ce qu'il avait appris sur son ami- il avait moins appris par les paroles elles-mêmes que par la manière dont elles avaient été dites, et par ses réactions. Quelque chose l'avait complètement traumatisé, mais quoi exactement?- Kurama savait bien qu'il n'avait pas eu une enfance rose, un enfant abandonné dans le Makaï, il ne fallait pas croire aux fées non plus… Mais il avait pensé que Hieï l'avait plus ou moins surmonté, vu comme il était toujours si fort, de corps et d'esprit.
Seulement, si ça avait été le cas, il n'aurait pas réagi ainsi. Bizarre, la mention de son nom avait semblé le calmer. Mais le Kitsune ne savait plus quoi faire. Le laisser se calmer entièrement, refermer son cœur, ou le mettre le nez sur ses peurs pour obtenir des explications? La deuxième solution serait cruelle, mais… Il fallait le forcer à crever l'abcès. S'il arrivait à regagner son self-control, il se renfermerait encore en lui-même, et Kurama perdrait la moindre chance de réussir à pénétrer ses défenses. La forteresse que Hieï s'était construite pour s'abriter des autres était excessivement solide- même si elle était bâtie sur un terrain miné.
- Ombre… déclara lentement le renard, d'un ton délibérément étudié pour toucher au vif. C'est plutôt étrange, pour quelqu'un qui ne supporte pas le noir… Pourquoi?
- Ca ne te regarde pas! cria le Koorime. Va te faire voir!
Kurama s'inquiéta de ce qu'il réveille ses parents, et dressa vivement une barrière sonique autour de la chambre. Au moins il avait touché juste… Il insista.
-Pourquoi l'ombre?
- … Elle fait partie de moi…
-En tant que quoi?
Pas de réponse, seulement un frisson; puis il resserra ses bras autour de ses genoux et ferma les yeux. Sa plus grande peur? se demanda-t-il.
Il ne savait pas à quel point il tombait juste. L'ombre, dans mon âme, qui m'envahit, me remplit de sa noirceur, de son vide… Je ne suis qu'une ombre parmi les ombres, je ne suis presque rien. Je le me vois plus… est-ce que j'existe vraiment encore? Ou est-ce que je rêve seulement d'être vivant?
-Et voler? C'est bien le sens de l'oiseau, pas celui du voleur, non?
Pas de réponse non plus. Une peur, ça aussi? Hieï se définissait-il vraiment uniquement par rapport à ses craintes?
Cette fois-ci, ce n'était pas tout à fait exact. Hieï enviait les oiseaux, il voulait lui aussi pouvoir voler, s'envoler loin de tout, loin de la terre…S'enfuir…Mais d'un autre côté, il en avait peur. Il savait que le vol est toujours suivi de l'atterrissage.
Sa chute…
"Essayons une autre approche." se dit Kurama quand il vit que celle-là ne donnait rien.
-De quoi tu rêvais?
-De rien, répliqua sèchement le Jaganshi.
" Aïe! Il commence à se ressaisir. Il faut que je me dépêche sinon il va encore se claquemurer dans sa tour d'ivoire et je perdrai la moindre chance d'avoir jamais accès à lui."
Il rassembla toute sa force pour le saisir brusquement aux épaules et le plaquer sous lui.
La réaction de Hieï fut bien celle qu'il prévoyait. Un cri de terreur et de faibles velléités de résistance étouffées par sa panique- mais ça ne servirait à rien, seulement à se faire punir encore plus…Le maître ne voulait pas qu'il esquive ses tortures, il voulait qu'il les subisse gentiment, qu'il accepte la punition…
- De rien, vraiment? demanda Kurama d'un ton glacé, pour une fois laissant transparaître l'expression glaciale du Yohko sur ses traits humains. Tu as peur de RIEN?
C'était la seule solution, profiter de ce qu'il était encore déstabilisé… Même si c'était cruel.
Le Koorime le fixait avec de grands yeux terrorisés. Il y avait même des larmes qui commençaient à apparaître… Oh, non, Kurama n'avait pas l'intention de lui faire si mal!
Kurama se pencha sur le démon, le redressa en luttant doucement contre sa crispation, l'attira sur ses genoux et se mit à le bercer en lui chuchotant de petits mots d'apaisement.
-Non, non! soufflait le Youkaï en tentant vaguement de lui faire lâcher prise- mais il ne devait pas, pas résister, ce serait pire après- Oh seigneur, et dire qu'il avait cru un moment que c'était à jamais terminé! Fallait-il qu'il soit naïf!
-Calme, calme, Hieï… Je ne vais pas te faire de mal, je te le jure… C'est juste que ça m'agace que tu gardes tous tes problèmes pour toi… N'aie pas peur, je te jure que je ne te veux pas de mal…
Hieï tremblait comme une feuille, crispé comme un malade du tétanos dans les bras de Kurama. Il ouvrait toujours ses yeux immenses, fixés sur le vide, comme s'il essayait au maximum de ne pas cligner les paupières pour ne pas faire couler les larmes qui s'y amassaient. Pas pleurer, Jyujin ne le supporte pas.
"IL" leva une main vers son visage, et le petit garçon se crispa- voilà, il pleurait, il allait être puni
- mais la main ne le frappa pas
- elle ne le frappa pas - au contraire,
elle essuya doucement une larme brûlante qui avait réussi à s'échapper et roulait sur sa joue, presque cristallisée déjà.

-Lâche-moi, finit-il par demander d'une voix étranglée- ce n'était pas Jyujin, c'était Kurama. Kurama. Kurama ne l'avait jamais menacé.
- Non, pas tant que je ne comprendrai pas, répliqua le renard d'une voix douce mais très ferme. Raconte, je t'en prie… Je peux comprendre…
-Non, tu ne peux pas, réussit à dire un Koorime soudain très fatigué.
Pourquoi cet abruti de renard avait-il fait ça? Il l'avait replongé dans le cauchemar duquel il venait juste de sortir d'une manière radicale. Il avait vraiment cru, un moment, quand il l'avait saisi par les épaules, qu'il avait rêvé toute sa vie depuis ce moment-là, qu'il avait tout inventé, sa sœur, sa force, Urameshi, le tournoi, le Jagan, sa liberté, pendant un autre moment perdu dans les ténèbres; qu'en fait, il n'était jamais sorti de la cave…
Il avait failli devenir fou, il avait failli finir par plonger entièrement dans ces ténèbres qui l'enveloppaient sans cesse, et qu'il avait seulement commencé à repousser.
-Au moins, je peux essayer, répliqua le Kitsune d'une voix douce mais ferme. Mais je comprendrai de toute façon bien mieux si tu me racontes que si tu ne me dis rien, et je veux comprendre. Je ne veux pas te laisser affronter seul tes démons, Hieï, lui chuchota-t-il à l'oreille en le berçant lentement, tu n'y arriveras pas… On est amis, non? Je refuse de t'abandonner à tes problèmes.
Hieï tenta soudain de se libérer des bras du renard, mais il le tenait fermement, et refusa de le lâcher- et il se sentait si faible…
- Dis-moi, je t'en prie… Je veux t'aider…
Non, pas se laisser aller, pas devant quelqu'un - il ne s'autorisait aucune faiblesse, surtout pas pleurer, non- s'il commençait à pleurer, il ne s'arrêterait jamais- surtout pas devant quelqu'un, surtout pas Kurama! Kurama était un de ses équipiers, comment pourrait-il continuer à lui accorder sa confiance s'il le voyait aussi faible, aussi…
-Je ne te veux pas de mal, Hieï, tu es en sécurité avec moi, je te le jure…
Soudain, avec un petit cri de chiot qu'on noie, Hieï enfouit sa figure dans le cou de Kurama et commença à trembler. Doucement, d'abord, puis plus fort. Les larmes qu'il retenait se mirent à dévaler ses joues, certaines imbibant le pyjama du Yohko, certaines roulant sur le sol en petites pierres noires.
Kurama lui passa doucement la main dans les cheveux, et recommença à le bercer tendrement, lui chuchotant des mots sans suite. Il chantonnait distraitement, lui murmurait des encouragements, tout en continuant à lui caresser la tête, atteint profondément par les hoquets et les sanglots de son ami. Il continua ainsi pendant longtemps à le câliner avant que le petit Youkaï entre ses bras ne s'apaise.

Ca faisait si longtemps qu'il avait enterré ce souvenir, qu'il avait essayé de l'oublier- mais il était resurgi, comme ça… Il lui revenait rarement en mémoire, et était toujours vivement refoulé. Et quand il lui arrivait d'en rêver, d'en rêver si totalement qu'il croyait le revivre, comme aujourd'hui, il lui suffisait de secouer la tête et de se dire que c'était fini, bien fini, et que ce connard de Jyujin ne risquait pas de reposer les mains sur lui pour finir ce qu'il avait commencé- Hieï se sentait toujours profondément soulagé quand, derrière l'horreur, lui revenait la fin de cette histoire…Le problème, c'était que Kurama était intervenu justement avant cette fin, avant qu'il ait tiré d'une part encore inconnue de son être la manière d'éradiquer son cauchemar.

Le feu.
Le feu qui avait surgi comme un ouragan, s'était emparé de lui. Hieï était à demi inconscient, il se sentait dériver très loin de son corps, se confondre avec les ombres qui l'entouraient- loin des mains froides de Jyujin qui tentaient de lui arracher son pantalon- et le feu avait rempli le vide qu'il avait fait en lui.
Sa pire crainte s'était réalisée, ce jour-là - la cave s'était effondrée alors qu'il était à l'intérieur. Et il avait découvert, avec une sombre joie farouche, que c'était à cause de lui- et qu'il serait le seul à en réchapper. Les flammes qu'il dégageait étaient tellement intenses que les débris de poutre qui tombaient sur lui partaient en fumée avant même de le toucher. Même ses vêtements avaient brûlé -il ne savait pas se maîtriser encore- quand à Jyujin, à son rire méprisant, à ses mains glacées qui s'agrippaient à ses épaules… Sa peau carbonisée était partie, lambeau par lambeau, puis sa chair s'était transformée en charbon…Maintenant, même ses os n'étaient plus que cendres.
Il se mit à rire, d'un rire effrayant par sa joie démente et par l'hystérie qui y couvait. Il sortit de la cave, lentement - les marches étaient en pierre, elles se contentèrent de se mettre à fumer sous ses pas.
Les autres voleurs, ceux qui n'avaient pas été surpris dans leur sommeil par l'incendie rugissant, se précipitaient dehors, terrorisés, sans comprendre comment le feu avait pu prendre si vite. Sans se rendre compte que le jardin, non entretenu, plein de branches mortes et de buissons dénudés par l'automne, était devenu un autre piège de flammes tout aussi meurtrier. Il en riait- si drôle de voir ces stupides démons se jeter par la fenêtre, voulant échapper aux flammes qui leur cuisaient le derrière, pour tomber dans un véritable bûcher.
Il se planta au milieu du grand salon délabré et considéra pensivement le gros Fert qui dévalait l'escalier en remontant son pantalon. Tandis que le gros sac se précipitait vers lui en beuglant il ne savait quoi, totalement inconscient du danger nouveau que représentait le petit Youkaï, il se rendit compte que la peur qu'il ressentait face à lui avait disparu.
Bientôt, Fert avait rejoint Jyujin. Puis les poutres qui tenaient encore debout s'étaient effondrées sur lui en d'immenses arcs enflammés, or et écarlate, qui envoyaient des étincelles sur le bleu de la nuit, craquant et sifflant. Si beau…
Il sortit des décombres comme un phénix, purifié par le feu, naissant à une autre vie. Parmi les cadavres des acteurs de son cauchemar.

Hieï cessa finalement de trembler et se détendit dans les bras de Kurama. "Mort… En cendres… Ce connard pédophile… je l'ai tué… Plus personne ne me touchera comme ça."
-Ca va mieux ? lui demanda le Yohko d'une voix douce.
-Mmm… Ouais… Lâche-moi.
Kurama soupira. Hieï avait retrouvé toute sa maîtrise, à présent, et tout son calme… Il ne saurait jamais.
Le Yohko relâcha lentement son étreinte, mais ne put se résoudre à ôter son bras de ses épaules. "Je n'ai jamais pu l'approcher comme ça, jamais" pensa-t-il. "Il recule toujours, dès que je passe la distance de sécurité. J'ai bien posé la main sur son épaule, des fois, mais jamais plus de quelques secondes… Ne me repousse pas, je t'en prie… "
Mais Hieï leva un bras qui ne tremblait plus, saisit le poignet du Kitsune, et le lui abaissa lentement loin de ses épaules, se désenclavant de son étreinte, sans le regarder.
Kurama soupira encore une fois. Il ne savait pas s'il devait être déçu d'être repoussé, ou bien soulagé de n'être pas "plus" repoussé. Il aurait aussi bien pu se retrouver en train d'essayer d'apprendre à voler depuis sa propre fenêtre, ou pire, transformé purement et simplement en morceau de charbon par réflexe de protection… Tant pis. C'était déjà pas mal d'avoir pu le tenir aussi longtemps, c'était un immense progrès même, il ne fallait pas trop en demander d'un coup.
Hieï se souleva et se rassit contre le mur, sur le matelas, bras autour des genoux en un réflexe de défense et d'isolement… Mais quand même à côté de lui. A même pas quinze centimètres. "Pas si mal…"
- C'est bon, tu vas mieux? Vraiment?
-Mouais…
Kurama avait l'air vraiment inquiet… C'était bon, pourtant, vraiment… quel abruti de renard, s'il était allé aussi mal pendant un moment, c'était de sa faute, et de celle de personne d'autre. Mais il avait essayé de l'aider, se rappela-t-il, même si ce n'était pas la bonne méthode
- Mais de toute façon, je n'ai pas besoin d'aide, lui rappela la partie "féroce démon du feu" de son être.
-Peut-être mais c'était quand même sympa de sa part, répliqua la partie "petit garçon perdu". Et il se disputa mentalement avec lui-même pendant quelques minutes, sans que l'une des parties l'emporte.
Jusqu'au moment où il aperçut le regard triste du Kitsune, et sa manière de baisser les yeux. Comme s'il souffrait de ce que Hieï ne lui dise rien, ou pire, souffrait de ce qu'il avait compris.
- Il est mort et il ne s'était rien passé d'irréparable, déclara-t-il avant d'avoir réfléchi. C'est juste que tu m'as réveillé juste avant que je le crame…
Il se tut brusquement, comme s'il se rendait compte de ce qu'il disait, et tourna la tête vers le mur.
Le Yohko sut qu'il n'en tirerait rien de plus. Mais c'était suffisant pour qu'il extrapole.
Bien ce qu'il avait pensé - ce qu'il avait craint - quelqu'un avait tenté d'abuser de lui alors qu'il était enfant.
Et il n'avait pas réussi, Hieï s'en était sorti tout seul - "que je le crame", voilà bien une manière très "Hieïesque" de rendre la chose…Pas de chance pour l'autre, qu'il ait découvert ses pouvoirs à ce moment-là…
Et il était tellement reconnaissant au Jaganshi, qui acceptait de s'ouvrir à lui…
- Merci… sourit-il.
- Tu t'inquiètes pour moi, Kurama? lui demanda le Koorime avec un sourire mi-timide, mi-malicieux, que Kurama eut du mal à comprendre.
Et pour cause, Hieï avait lui-même du mal à le comprendre. Quoique, non, en réfléchissant bien… C'était agréable de savoir que quelqu'un se souciait de lui, qu'il comptait, au moins un peu, pour quelqu'un. Rassurant. Mais il n'avait pas besoin d'être rassuré, lui rappela le démon du feu.
- Recouche-toi, ordonna-t-il, sourire évanoui comme s'il n'avait jamais été là.
Il n'avait rien d'autre à faire que d'obéir. Kurama se releva et se dirigea vers son lit, et se ré-emmitoufla dans sa couverture, toujours frissonnant sous le vent glacé.
Il mit une bonne heure à se torturer les méninges pour savoir comment passer le deuxième niveau de défenses avant de réussir à trouver le sommeil.

Il ouvrit un œil. Il faisait un noir presque total dans la chambre, comme d'habitude… Sauf qu'il se rendit compte soudain qu'à cause de Hieï il avait laissé les volets ouverts et qu'il aurait dû y voir plus que ça, grâce aux lampadaires dans la rue.
Mais les volets étaient fermés. Est-ce que Hieï était parti? Ce fut la première pensée qui résonna dans son cerveau, et il fouilla le matelas du regard, inquiet, essayant de penser, pour se soulager, qu'il ne pouvait de toute façon pas fermer les volets de l'extérieur… Mais il ne le vit pas. Pas davantage dans le coin du carton de la boule de poils. Nulle part dans la pièce, en fait. Pas là. Oh, non… Pourvu qu'il n'ait pas disparu…
Il se concentra pour sentir son énergie - peut-être qu'il était seulement allé boire…?

L'énergie de Hieï était toujours là. Proche… Très proche…
En fait, elle venait de juste derrière lui.
Il se retourna lentement sur le dos - il ne put continuer entièrement, quelque chose de chaud était pressé contre lui. Il tourna encore plus lentement la tête.
Hieï était couché derrière lui sur son lit, roulé en boule contre son dos, à même pas cinq centimètres. Son visage était très calme- c'était très étrange de le voir comme ça, totalement détendu, sans même les sourcils froncés ni rien…
Mais ça ne dura pas. Comme s'il sentait qu'on le regardait, il se réveilla.
- S'k'y a Kurama? Arrête de bouger, ronchonna-t-il, tu prends toute la place…
- Mais… Qu'est-ce que tu fais dans mon lit? demanda Kurama sans réfléchir, avant de se mordre la langue - maintenant, il allait croire qu'il ne voulait pas de ça…
- T'avais froid. Tu claquais des dents tellement fort que j'pouvais pas dormir, ronchonna le Koorime.
Exact- en partie. Il avait longuement réfléchi pendant que le Yohko se rendormait. Sur ce cauchemar qui revenait, mais surtout sur la réaction de Kurama.
Kurama essayait de toutes ses forces, à la fois de l'aider et de comprendre, et de respecter ses désirs - dans la mesure du possible.
La mère de Kurama : " Il n'y a pas d'âge pour la tendresse…"
Jyujin le frappant, le jetant à la cave. Il avait vite compris sa crainte des espaces clos, où on était à la merci du premier venu, et en avait fait une peur panique, puis une vraie phobie.
La mère de Kurama, le serrant dans ses bras: " Tu sais, c'est agréable, les câlins…"
Jyujin glissant ses mains glacées sous sa tunique.
Kurama le berçant, chuchotant des mots tendres pour le calmer.
Jyujin: " Je suis ton maître, tu dois m'obéir… Vilain garçon… ""tais-toi"
Kurama: "Hieï, je suis ton ami… Dis-moi, je t'en prie… Je veux t'aider…"
Jyujin qui le jette sur l'escalier. Assommé par le choc. Ecrasé sous son poids.
Kurama le relâchant à la première sollicitation, avec un regard triste. " Comme tu veux…"
Kurama qui le soigne, qui rit avec lui, qui se moque gentiment - le seul à oser- , le seul à savoir, toujours, quand quelque chose ne va pas, quand il se sent mal, le seul à savoir toujours quoi faire, le seul à ne pas tenter de forcer le sanctuaire de ses pensées. Kurama n'essayait jamais de le forcer à parler, il lui demandait. Toujours.
Il se moquait de lui aussi, des fois, gentiment- comme avec l'appareil photo. C'était facile de se laisser aller à rire avec lui… Enfin, pas à rire, mais… A se détendre un peu, à abaisser ses défenses… En tout cas ce n'étaient pas les autres qui osaient en faire autant avec lui.
Et puis, il comptait pour le Yohko, il en était presque sûr… Sinon, il n'aurait pas eu l'air aussi inquiet pour lui, non? Et puis, il s'était relevé pour lui mettre une couverture- sans penser au fait que Hieï, étant démon du feu, régulait très bien seul sa propre température; mais c'était l'intention qui comptait, non?
Voilà, quoi… Quand il l'avait vu trembler, il n'avait pas réfléchi davantage, il avait fermé la fenêtre, puis s'était glissé à côté de lui et avait étendu son aura pour l'envelopper dans la chaleur qu'il émettait. Il n'avait pas eu l'intention de rester, juste d'attendre qu'il se réchauffe un peu, mais… C'est vrai que c'était très confortable, un matelas, plus que le sol… Il avait fini par s'endormir.
Il le regrettait énormément, à présent. Kurama l'avait surpris à se préoccuper de lui… Sa réputation était fichue…
Bah, c'était pas si grave… Kurama n'allait pas raconter à tout le monde ce qui s'était passé ce soir… C'était un secret qu'il garderait entre eux, il le sentait instinctivement. Il pouvait lui faire confiance, le renard avait raison. Il lui FAISAIT confiance. Entièrement. Allez, c'était décidé.

Kurama le fixait, stupéfait. Hieï se souciait de lui… Le renard avait une envie folle de se mettre à rire, simplement parce qu'il était si heureux qu'il devait expulser son trop-plein de bonheur d'une manière ou d'une autre et qu'il savait que le démon du feu n'apprécierait pas qu'il se jette sur lui pour l'embrasser. Mais il se retenait, héroïquement, sachant très bien que le Koorime ne comprendrait pas autre chose que "il se fout de ma gueule".
-Merci, Hieï… sourit-il. Moi qui me demandais pourquoi je n'avais pas froid…
-Mmm… répondit-il en s'asseyant en tailleur à côté du renard, avec un regard désapprobateur et légèrement moqueur. Tu t'es même pas rendu compte que j't'approchais… 'Reus'ment qu'j'étais pas un assassin… Tu te ramollis, Kura.
Le Yohko cligna des yeux, surpris. Ce n'était pas son genre de donner des surnoms aux autres… Mais il n'allait pas relever, sinon, Hieï penserait qu'il n'en voulait pas; or il voulait avec joie de tout ce qui pouvait les rapprocher.
Un petit reste de fraîcheur se rappela à son bon souvenir et il frissonna dans son pyjama.
-Hieï, ça ne te dirait pas de te rapprocher à nouveau? sourit-il, sans s'attendre vraiment à ce qu'il obtempère, juste pour dire quelque chose. Je ne suis pas totalement réchauffé…
- T'es chiant…
Hieï le regarda. Il avait très bien senti que Kurama n'avait plus si froid que ça… Mais qu'il avait envie qu'il se rapproche. Pourquoi exactement, il ne savait pas trop, il n'osait pas trop y réfléchir à vrai dire, mais il ne risquait rien à obtempérer. Il pourrait toujours s'éloigner si ça l'agaçait. Le renard ne le retiendrait pas.
Il se laissa retomber, la tête sur l'oreiller, bras croisés derrière la tête dans une attitude nonchalante. Il n'y avait pas de danger, chez Kurama, pas de danger du tout - mais cette fois il le pensait vraiment.
Kurama allait de surprises en surprises. D'abord le démon se collait à lui pour le réchauffer dans son sommeil, ensuite il s'étendait sur le dos, yeux fermés, à côté de lui… Il eut un choc en comprenant -en admettant- que c'était là la preuve qu'il avait enfin gagné sa confiance absolue.
-Hieï… murmura-t-il, ému et bouleversé.
Le démon du feu ouvrit les yeux et lui jeta un coup d'œil curieux.
-Mmm?
-Je… Merci.
-Merci quoi?
-De… Me faire confiance…
-Bah… souffla le démon en détournant le regard, gêné - il ne savait pas si malgré le noir Kurama pouvait voir qu'il rougissait, mais il ne tenait pas à tenter l'expérience.
-Tu vas pas me manger, non?
-Mmm… Je sais pas!! rit Kurama en se penchant un peu vers lui, toujours appuyé sur un coude. Le Youkaï farci, ç'est pas mauvais…
-Ca va être toi le Yohko frit si tu m'embêtes, répliqua Hieï.
Comme Hieï refermait les yeux avec un reniflement agacé, il en profita pour lui chatouiller le bout du nez avec le doigt.
-Hé!! râla Hieï en écartant sa main d'une tape, tout près d'éternuer. Ca va pas non?
-Tu craindrais pas les chatouilles, toi?
-Hein?…Comment ça les… NONONONONON!!! ARRETE ÇA TOUT DE SUITE!!! ARRETE!!! HYAAAA!!!
Eh oui, Hieï craignait les chatouilles. Beaucoup même. Il se tortillait, désespéré, dans tous les sens, pour essayer d'échapper aux doigts du renard, luttant pour réussir à respirer. Quand enfin Kurama arrêta ses assauts, le démon de feu était à bout de souffle, totalement épuisé.
C'était bien la première fois qu'on l'attaquait comme ça… Et la première fois qu'il riait autant.
Il lui fallut le temps de reprendre son souffle pour s'apercevoir que Kurama était penché au-dessus de lui, l'emprisonnant à demi sous lui. Ses yeux s'agrandirent sous le choc.
Le Kitsune sentit le changement d'humeur de son compagnon et en comprit sans problèmes la cause, aussi il s'écarta tranquillement sans qu'il le lui ait demandé, ne voulant pas mettre trop à l'épreuve cette confiance toute neuve.
Hieï le fixa, vexé qu'il se permette de telles privautés avec lui. Et les étincelles de rire contenu qui dansaient dans ses yeux étaient autant de moqueries qu'il devait lui faire regretter…
Oh, puis après tout, pas la peine de se mettre en colère, il devait bien y avoir un autre moyen de se venger.
Expérimentalement, s'attendant à être repoussé d'une seconde à l'autre, il tendit la main vers le ventre de Kurama, là où la chemise bâillait un peu et laissait voir de la peau nue.

Apparemment, il n'était pas le seul à craindre les chatouilles.

Kurama se débattit autant que lui et il craignit au début de faire une bêtise. Mais le renard se contentait de rire aux éclats en essayant faiblement de le repousser. Hieï se trouva en train d'essayer de le maîtriser d'un bras pour continuer à se venger sans qu'il l'ait consciemment décidé. Mais il remuait comme une anguille…Attends que je te tienne! Voilà… J'ai trouvé comment on fait!!
Hieï riait comme un gamin en plaquant le bras du renard sur le matelas, tout en s'asseyant purement et simplement sur son ventre pour l'empêcher d'échapper à ses expérimentations de ce nouveau style de tortures. Tiens!! Sur les côtes, ça marchait aussi, et encore mieux…
Il se rendit compte soudain, avec un choc, qu'il était assis sur le ventre de Kurama, qu'il avait une main sous sa chemise, sur son torse… Le Kitsune avait la tête renversée en arrière, il riait à en perdre haleine, yeux clos, écarlate. Ses longs cils noirs ombraient ses joues délicatement ciselées…
Kurama cessa peu à peu de rire, reprenant son souffle. Il ouvrit les yeux lentement, et redevint sérieux en surprenant le regard du Koorime.
-Kurama… souffla Hieï, mortellement sérieux. Pourquoi tu tiens tant à m'aider? A devenir mon ami? J'ai jamais rien fait pour t'encourager…
-Parce que… Je savais bien qu'un jour je réussirais! rit le renard.
Mais le Jaganshi ne riait pas, lui.
-Kurama, je suis sérieux.
-Ben… Tu faisais mine de n'avoir besoin de personne, mais tout le monde a besoin de quelqu'un… Je suppose que je suis trop bon pour te laisser simplement à ton triste sort… tu te rends compte que tu aurais pu ne jamais faire la connaissance d'un être aussi exceptionnel que moi?
-Kuraaa… râla Hieï en le chatouillant un peu pour lui faire passer l'envie de dire des âneries. Kurama, je… S'il… S'il te plaît.
Là, Kurama abandonna toute velléité de transformer leur discussion en déconnade. Hieï ne disait jamais, JAMAIS, 's'il te plaît'. Le Koorime avait vraiment besoin d'une réponse, une vraie réponse sérieuse, qu'il puisse accepter et comprendre. Bon, ben, tant qu'à se déclarer… Autant maintenant qu'il était d'humeur à parler de sentiments…
-Je… Dès l'instant où je t'ai vu, je… tu m'as plu. Beaucoup.
-Et ça a suffi pour que tu te plies en quatre pour moi de toutes les manières possibles et imaginables depuis trois ans?
Kurama leva les yeux vers le Koorime toujours assis en travers de son ventre, et la proximité et le désir le frappèrent, le laissant sans souffle. Il était si beau… Même dans l'obscurité, ses yeux écarlates brillaient, brûlaient. Mais pas de colère ou de fierté… D'impatience. Et d'appréhension.
-Je t'aime, Hieï…
Ils restèrent immobiles tous deux, jusqu'à ce que le renard se décide à reprendre la parole.
-Je t'ai aimé dès le premier regard. Au début, ce n'était qu'une tocade, mais au fur et à mesure que j'apprenais à te connaître…
Il se tut, gêné. Hieï s'était incroyablement ouvert en même pas une journée, oui, mais était-il devenu pour autant un incurable romantique qui n'aspirait qu'à ce qu'on lui parle d'amûûûr? Sûrement pas…

Sa vie en aurait-elle dépendu que Hieï aurait été incapable de faire le moindre mouvement. Il… L'aimait?! Kurama l'AIMAIT?! Vraiment?… Lui…?
Un petit démon du feu, mal élevé, grossier, brutal, froid, silencieux, renfermé, toujours en train de faire la gueule, et puis… Petit… et loin de valoir la beauté fascinante du renard…
Et jamais il ne s'en était douté… Mais comment aurait-il pu? Il ne savait rien de l'amour, rien que ce qu'on racontait dans les tavernes où il s'aventurait de loin en loin… Et ça, ce n'était pas la conception du monde des humains… Pas celle de Kurama, apparemment. Il …l'aimait…?
- C'est vrai? demanda-t-il comme un petit garçon, le besoin d'être rassuré l'emplissant tout entier.
- C'est vrai… souffla le renard, rougissant encore plus.
-Pourquoi? Pourquoi moi? Tu… On dit que t'es très beau, Kurama, même moi je le vois, et pourtant, je m'y intéresse pas trop à ce genre de trucs… T'es intelligent, tout le monde t'apprécie… Tout le monde t'aime. Tu peux te faire aimer de n'importe qui, et…
-Mais moi, c'est toi que j'aime, Hieï.
-Mais qu'est-ce que tu me trouves?! contra Hieï avec un grand geste de la main, essayant désespérément de convaincre le renard de réfléchir.
Parce que si il se faisait à l'idée que Kurama avait des sentiments pour lui et que celui-ci change d'avis juste une fois qu'il ait accepté ce cadeau inattendu…
-Je suis un nain et j'ai des cheveux en pétard, lâcha Hieï en se rappelant ce que lui disait toujours Kuwabara.
-Tu es musclé et très bien proportionné. Et il faut bien que l'un d'entre nous soit plus grand que l'autre. Et comme ça tu tiens très bien sur mes genoux. Et j'aime tes cheveux. Ils sont doux. Et crois moi ou pas; je te trouve beau.
-Je… J'ai un caractère atroce.
-Tu es passionné. Pour un démon du feu c'est normal.
-J'arrête pas d'envoyer tout le monde balader.
-Tu essayes de te défendre parce que personne ne t'a jamais appris la confiance.
-Je n'ai pas de cœur. J'aime personne.
-Tu aimes ta sœur. Pourquoi tu la défendrais sinon?
- Je suis froid et méchant et… et… je pourrais te trahir sans y repenser à deux fois.
-Tu fais ce qu'il faut pour survivre dans le Makaï. Et non, je suis sûr que tu ne me trahirais pas. Tu as eu trop d'occasions et tu es toujours resté à mes côtés. Je te fais confiance. Entièrement confiance. Et tu ne me décourageras pas comme ça, ajouta le Yohko avec un sourire.
Poussant un grognement de détresse, Hieï se passa les mains dans les cheveux plusieurs fois, les yeux fermés, même le Jagan. Il ne voulait pas pénétrer dans les pensées de Kurama. C'était une invasion et il le respectait trop pour ça. Mais ça le tentait tellement…
Mais s'il le faisait Kurama risquerait de changer d'avis.
-Je… Pourquoi?!
-Il n'y a pas une raison à donner, Hieï, l'amour ce n'est pas comme ça… Parce que tu es toi, Hieï… Fier, indépendant, courageux… Et tellement de choses encore…Ne doute pas de tes qualités, tu en as plus que tu ne penses, tu sais, tu te sous-estimes… Je crois que tu as besoin d'apprendre à t'aimer un peu.
Kurama leva une main hésitante et la posa sur son épaule, s'attendant à être repoussé d'une seconde à l'autre. Les contacts physiques, voilà qui ne plaisait pas trop à Hieï, et encore moins ce genre-là, d'après ce qu'il pouvait penser de son enfance…
Mais il ne le repoussa pas, bien que Kurama puisse sentir les muscles se tendre sous sa main.
-Hieï, jamais je ne te ferai le moindre mal. Je t'aime plus que moi-même… Je serai toujours là pour t'aider, peu m'importe de quoi tu aies besoin… Ca me fait mal quand tu te renfermes, quand tu me jettes, alors que je sens que tu souffres…
-Je ne… Je ne te rejette pas…
-Mais tu en as envie… Ne te force pas pour moi. On a le temps, Hieï… On a le temps de te réhabituer à des relations normales, pas la peine que tu te fasses du mal à essayer d'accélérer les choses… Je m'en voudrais tellement…
Hieï virait lentement à l'écarlate, adorablement gêné, et Kurama dut mettre à profit son fameux self-control pour ne pas lui appliquer un petit bisou sur le bout du nez, comme il en crevait d'envie. "KAWAAAAAAAAAAAAAIIII!!"
Puis il décida qu'un seul baiser, ça ne pouvait pas faire de mal.
-Hieï?
Le Jaganshi le regarda, hésitant, ses yeux écarlates pleins d'incertitude. Il battit des paupières quand le renard posa une main sur sa joue, mais autrement ne réagit pas. Kurama approcha son visage du sien, lentement, millimètre par millimètre, lui laissant tout le temps nécessaire pour se reculer si jamais il ne voulait pas, son pouce caressant par réflexe la joue veloutée du Koorime.
Hieï ne sentait plus que le souffle chaud du renard sur sa joue et ne voyait plus que les deux lacs d'émeraude de ses yeux. Son cerveau fonctionnait au ralenti, totalement hypnotisé par les actions du renard, et il fallut que les lèvres de celui-ci ne soient plus qu'à quelques millimètres à peine des siennes pour qu'il comprenne ce qui allait se passer. Il se tendit, considéra brièvement de reculer… Et décida qu'après tout, ça n'était pas vraiment une morsure à quoi il s'exposait. Au pire, il pourrait arrêter si ça ne lui plaisait pas… au mieux, il comprendrait enfin d'où venaient les papillons qui dansaient dans son estomac.
Il ferma hermétiquement les yeux, tendu comme une corde d'arc, le cœur affolé.
-AOOOOOOOOOOOOOUUUUUUUUUUUUUUUUUH!!!!!!!!
-NANI?!
Après un saut de carpe d'un mètre sur le lit et quelques affolantes secondes à se désemmêler l'un de l'autre, Hieï et Kurama réussirent à se dégager et à se tourner vers la direction du cri, prêts au combat.
Du fond de sa boîte, Akatsuki leur dédia un regard misérable et se remit à hurler sa faim du plus fort de ses petits poumons.
-AAAOOOOOOOUUUUUUUH!!!
Kurama retomba sur le lit et enfouit sa figure dans son oreiller, murmurant des jurons tandis que Hieï se levait d'un bond pour aller pêcher la bestiole dans sa boîte. Il la prit dans ses bras et se retourna vers Kurama.
-Oi, Kura, il faut lui donner à manger. Je descends à la cuisine. Change sa caisse pendant ce temps, suggéra le Koorime.
-Pourquoi ça? demanda Kurama en se redressant.
-Il a pissé au fond, lâcha le Jaganshi en haussant les épaules, avec Aka-chan qui ronronnait presque, confortablement roulé en boule dans ses bras.
Derechef, le Yohko réenfouit sa figure dans son oreiller, en marmottant:
-Je déteste cette bestiole. Elle l'a fait exprès, je suis sûr. Attends que tu sois en âge de recevoir une raclée, tiens… Elle me hait. Elle m'en veut. Oui c'est ça, c'est de la jalousie. Je me vengerai.
Il se tut en entendant un rire. Il se retourna, incrédule, vers la chose la plus belle qu'il ait jamais vue. Hieï riait doucement, amusé, ses yeux d'un grenat sombre bien plus doux que d'habitude, un petit sourire aux lèvres. Kurama ne sortit de sa transe qu'en sentant le lit plier sous son poids.
-Hieï?
La boule de poils toujours dans les bras, le petit jaganshi se pencha sur lui et lui déposa un rapide baiser sur la joue. Rougissant légèrement, il attendit, perdu dans les grands yeux verts qui s'assombrissaient de désir.
-Hieï… souffla Kurama en tendant la main vers la joue de son ami, se penchant insensiblement vers lui.
-WAOUUUUUUUUUUUUU!!!!!!!!!!!!!!!
Deux seconde plus tard, Hieï avait passé la porte et était déjà à mi-chemin de la cuisine. Kurama envoya voler contre le mur son oreiller et toutes ses couvertures et se mit à pousser une série de jurons malsonnants très variés, qui pouvaient faire rougir même les putains du Makaï, en une douzaine de langues humaines et démoniaques, accumulés patiemment au cours de siècles d'existence.
-Je hais cette boule de poils. Tu parles d'un cadeau d'anniversaire…

Fin

[Joyeux Anniversaire Kurama!]