Lorsqu'ils avaient su que la base presque abandonnée où Zechs
avait réparé le Gundam de Heero allait passer des mains d'OZ à
la nouvelle faction militaire de Romafeller (nommée très intelligemment
Armée de Romafeller, ou AR), et qu'ils s'étaient rendus compte
que les diagrammes de construction de Wing y étaient probablement toujours
stockés, le choix de pilotes s'était fait de lui-même :
Trowa connaissait la base et les trois autres étaient toujours en train
de trifouiller dans leurs Gundams. Mais maintenant qu'il y était, Quatre
se demandait franchement ce qu'il glandait en Antarctique.
Premier problème : il était seul avec Trowa.
Peut-être n'était-ce plus réellement un problème
maintenant qu'ils avaient arrangé leur différent, mais c'était
quand même ennuyeux. Quatre se devait de faire passer sa mission avant
sa vie sentimentale et c'était ce qu'il faisait, aussi ne craignait-il
pas de se laisser distraire au mauvais moment; il était plus professionnel
que ça.
Mais quand ils ne planifiaient pas, et qu'il pouvait enfin penser à autre
chose qu'à son devoir, le seul sujet qui lui venait en tête était
: comment faire changer Trowa d'avis? Et pour le moment, il n'en avait pas la
moindre idée. Avoir une chance avec Trowa était une surprise énorme
et une responsabilité encore plus grande; il en venait presque à
regretter le temps où, persuadé qu'il n'arriverait jamais à
rien, il se contentait de rêver en secret. Au moins c'était plus
facile. Mais il n'était pas assez lâche pour ne pas saisir sa chance
quand elle lui passait devant...
... seulement pas très inspiré.
Second problème: Trowa le lui avait dit. Heero le lui avait dit. Il le
savait lui-même, intellectuellement. Mais savoir intellectuellement que
l'Antarctique, c'est FROID, et le ressentir jusque dans la moelle de ses os,
c'est différent.
Le guépard frissonna et se mit à fouiller son sac à la
recherche d'un autre pull à enfiler par dessus les trois qu'il portait
déjà. Malheureusement, le seul qu'il avait était trop petit
pour passer par-dessus; il aurait dû le mettre en premier et il n'y avait
pas moyen qu'il enlève ceux qu'il portait, même une seconde. A
défaut de mieux, il le jeta sur ses épaules comme un châle
et croisa les bras, frissonnant.
Si c'était ça à l'intérieur d'une maison étanche
et vaguement chauffée, il ne voulait pas savoir ce que ce serait à
l'extérieur avec du vent. Il espérait juste que la mission nécessiterait
les Gundams. Ils avaient des radiateurs. Quoique vu qu'ils allaient devoir être
discrets...
Enfin, tout ça dépendrait des renseignements préliminaires;
Trowa devait être en train de lire les relevés des radars pour
déterminer à quelle distance les Gundams pourraient s'approcher.
Frissonnant toujours, l'Arabe sortit de la chambre et le rejoignit.
-Alors, quoi de neuf? demanda-t-il, souriant poliment.
Trowa ne souriait pas. Son regard n'était pas pensif comme d'habitude,
mais sérieux, même un peu grave.
-Les Rommies sont en avance.
* * * * * *
Duo avait passé les cinq derniers jours à tester sans relâche
le fonctionnement des nouveaux lance-flammes de Deathscythe, et ça semblait
marcher, quoique pas encore parfaitement.
Il finit de taper les résultats de son dernier recalibrage et envoya
le document à Howard avec un soupir de soulagement. Enfin, la tâche
si ennuyeuse était finie! Il jeta un coup d'œil à l'horloge de
son ordinateur. Seulement cinq heures de l'après-midi, il était
plus tôt que ce qu'il aurait cru. Il eut un sourire. Pas qu'il n'avait
pas adoré passer des heures à bricoler pour ajuster son nouveau
joujou, mais enfin, un peu de temps pour lui-même! Que faire...?
'Ca fait longtemps que j'ai pas passé un peu de temps avec Heero,' pensa-t-il
avec un sourire amusé. Pour une fois que c'était lui qui délaissait
son ami pour cause de rapport à taper... Il se leva d'un bond, s'étira,
et partit d'un pas énergique à la recherche de son partenaire.
Heero était à l'arrière de la ferme, dans le pré
du fond, en train de se battre avec Wufei. Duo se sentit alarmé pendant
un moment, jusqu'à ce qu'il réalise qu'ils s'entraînaient.
Quand Wufei réussissait à toucher Heero, Heero imitait son mouvement
pour se le mettre en tête et Wufei lui montrait comment le bloquer, ou
vice-versa. Pour ajouter un peu de difficulté, ils ne le faisaient pas
dans l'ordre. Quelquefois Wufei sortait un nouveau coup alors que Heero en était
toujours à répéter le premier et Heero devait inventer
un autre moyen de parer.
Duo les observa pendant un long moment. Ces formes stylisées de combat
ne lui étaient pas vraiment familières, il était surtout
doué en street-fight et "tous les coups sont permis", mais
à regarder, c'était magnifique, presque comme une danse. Heero
et Wufei avaient tous les deux un rythme, un équilibre, une grâce,
qui rendait ce qu'ils faisaient aussi beau que mortel.
Aussi longtemps qu'il les regarda, ils n'échangèrent pas un mot.
Synchrones... apparemment c'était loin d'être la première
session de ce type. Il ne savait même pas s'ils savaient qu'il était
là; ils n'en donnaient pas l'impression, et pourtant leurs sens surdéveloppés
auraient dû les prévenir... Mais ils semblaient tellement concentrés
l'un sur l'autre qu'au final, il n'aurait pas été surpris d'apprendre
qu'ils avaient oublié le reste du monde.
Après une demi-heure, ils n'avaient toujours pas l'air de ralentir. Il
s'aperçut que Wufei l'avait vu, mais puisqu'il n'avait pas l'air surpris,
Duo en conclut que le garçon l'avait senti venir à un moment ou
à un autre.
Le chinois recula d'un bond et quitta sa position de combat, désignant
Duo du menton. Heero se retourna, essuyant la sueur sur son front d'un revers
de bras.
-Tu voulais quelque chose? demanda-t-il.
Comme s'il avait besoin de vouloir quelque chose pour venir les voir, se dit
Duo.
-Non, répondit-il simplement.
Heero cligna des yeux, puis se retourna vers Wufei comme s'il allait reprendre
l'entraînement sans plus se soucier du visiteur. Wufei vit les yeux de
Duo s'étrécir et se dit que Heero avait peut-être beaucoup
changé, mais il avait quand même des moments de totale insensibilité.
-Tu veux pratiquer, Maxwell? demanda-t-il.
Duo eut un grand sourire et approcha d'un pas énergique.
-Ouais, bien sûr!
Heero fronça des sourcils à l'encontre de Wufei, comme s'il lui
reprochait d'avoir invité le pilote à la natte, et Duo se sentit
soudain malvenu.
-Je dérange? demanda-t-il avec un sourire qui était un peu moins
sincère que le précédent.
Heero cligna des yeux et se rendit compte de la manière dont ses actions
pouvaient être interprétées.
-Ce n'est pas ça, mais... Duo, tu n'es pas un garou, et...
-Parce que je suis pas un garou, je peux pas me battre avec vous? répliqua
Duo, haussant un sourcil -- franchement, il aurait préféré
les froncer. T'es un bon combattant, et Wufei aussi, mais je sais me défendre.
En plus, aucun d'entre vous ne saigne, donc pas de risques de contamination,
et puis, un peu d'entraînement ne me ferait pas de mal non plus.
-Ce n'est pas ça, essaya d'expliquer Heero. On est plus résistant
et plus forts, on pourrait te frapper trop fort et ne pas se rendre compte.
-Yuy, rassure-moi, le coupa Duo d'un ton soudainement froid. Tu n'es pas en
train de me dire que je suis trop faible et trop fragile pour t'affronter?
-Non, mais... soupira le garçon.
Mais Duo pouvait lire sur son visage, clair comme le jour, que c'était
exactement ce qu'il pensait.
Wufei grinça des dents et s'écarta prudemment.
Soudain, Duo en avait assez. Il avança jusqu'à être presque
nez à nez avec Heero, et lui décocha calmement un coup de pied
dans le tibia, le faisant chanceler en avant. Prise de t-shirt, coup de poing
au ventre, croche-pied -- avant qu'il ait eu le temps de penser à réagir,
Duo l'avait flanqué par terre.
-J'ai passé ma vie entière à trouver des moyens de casser
la gueule à des mecs plus forts et plus résistants que moi, lâcha-t-il
avant de faire demi-tour et de rentrer dans la maison.
Heero resta étalé par terre à le regarder s'éloigner,
ébahi.
-Alors là, félicitations, Yuy, commenta Wufei d'un ton cynique,
lui tendant la main pour le relever. C'est ce qu'on appelle mettre les pieds
dans le plat, et en beauté.
-Mais qu'est-ce que j'ai dit? demanda-t-il, éberlué.
* * * * * *
Habituellement, Noin se considérait comme une jeune femme calme, raisonnable
et professionnelle.
Habituellement.
Quand Zechs ne paradait pas devant des soldats d'une faction rivale en essayant
de prétendre qu'il allait parfaitement bien.
Enfin, elle devait avouer que c'était uniquement parce qu'elle le connaissait
bien qu'elle remarquait sa pâleur inhabituelle et la fatigue dans ses
gestes. Il le dissimulait aux autres officiers avec un brio hallucinant... Mais
s'il y avait eu une autre solution que de l'envoyer superviser la passation
de pouvoir sur cette base en personne, elle l'aurait probablement enfermé
dans sa chambre pour qu'il se repose.
Quoique... finalement, non, l'enfermer n'était pas une bonne idée,
se dit-elle en se rappelant cette nuit trois semaines plus tôt... la nuit
de la dernière pleine lune.
~flashback~
-Le périmètre est bouclé correctement?
Noin hocha la tête, se refusant à commenter sur le ton encore plus
sec que d'habitude d'Une et son air suspicieux. Elle détestait le Colonel
cordialement, mais elle comprenait combien Une était stressée,
aussi se refusa-t-elle de se sentir outragée par l'implication selon
laquelle elle faisait mal son travail.
Dans l'autre coin de la petite pièce douillette, Otto trafiquait un système
de surveillance, l'améliorant à ses spécifications. Noin
était contente qu'il ait réussi à convaincre Une de le
laisser venir. Il était un bon soldat, très compétent en
mécanique et tout aussi dévoué à Zechs qu'elle,
peut-être même plus. Lui aussi était énormément
inquiété par l'état instable de Zechs.
Zechs et Treize étaient tombés malade (ou avaient été
empoisonnés, personne ne savait au juste) presque un mois auparavant,
quelque temps après la capture manquée des pilotes. Aucun des
docteurs qui les avaient examinés n'avait été capable de
déceler quoi que ce soit et de peur de révéler une faiblesse
à leurs ennemis, Une avait décidé d'emmener Kushrenada
dans une retraite secrète. Noin avait dû déployer des trésors
de persuasion pour la convaincre de prendre Zechs aussi.
La seule chose que les docteurs décelaient d'anormal était les
taux d'hormones absolument insensés, mais à part les sautes d'humeur,
cela n'expliquait rien; ni la manière dont leur ouie devenait soudain
hypersensible, dont ils se rendaient malades à sentir des choses dont
personne d'autre qu'eux n'était conscient, ni la vitesse à laquelle
ils se fatiguaient, ni les réactions bizarres, à la limite de
la psychose, que les deux hommes exhibaient, et encore moins pourquoi les injections
pour rétablir un taux d'hormones normal ne fonctionnaient jamais.
Ils ne savaient même pas d'où c'était venu. Avant que ça
ne devienne un réel problème, Une avait mis l'irritabilité
exacerbée de Kushrenada sur le compte de l'évasion du pilote 05
et avait essayé de ne pas le prendre personnellement. La seule chose
qu'ils savaient, c'était qu'apparemment Treize avait été
touché plus tôt, et avait contaminé Zechs avec la transfusion.
Noin était à moitié sûre que c'était de la
faute de Chang Wufei. Ce serait bien son genre d'infiltrer leur base dans le
seul but d'infecter Général Kushrenada avec un nouveau virus ou
agent biochimique. Il n'avait pas hésité une seule seconde à
faire exploser les dortoirs de ses Cadets plutôt que de se fatiguer à
détruire les Mobile Suits qu'ils devraient piloter, après tout.
La jeune femme s'adossa au mur de bois, bras croisés, et considéra
pensivement la petite pièce. Le chalet n'était pas très
grand, à peine suffisant pour leur petit groupe. La seule chambre à
coucher n'avait que deux lits, occupés par Kushrenada et Merquise. Une,
Otto et elle devraient probablement alterner l'occupation du canapé.
-Comment vont-ils? se décida-t-elle à demander à voix basse.
Une haussa les épaules d'un geste brusque et se leva pour aller jeter
un coup d'œil à la carte de la région sur le mur. Noin ne savait
pas ce qu'elle cherchait, vraiment; si elle avait choisi ce coin là c'était
bien parce qu'aux alentours, il n'y avait rien.
-Leur état est stationnaire, lâcha-t-elle sans se retourner pour
lui faire face, les épaules crispées.
Noin comprit qu'elle mentait.
-Ils n'ont toujours pas repris conscience? demanda-t-elle pour confirmer, essayant
de ne pas se laisser submerger par l'inquiétude.
-C'est ce que je viens de dire, non? répliqua Une agressivement.
Otto lui jeta un coup d'œil compatissant et Noin se calma. Elle ne pouvait pas
voler dans les plumes d'Une, aussi satisfaisant que ça puisse être.
D'une c'était sa supérieure et de deux ça n'arrangerait
rien. Zechs et le Général Kushrenada seraient toujours en train
de -- non, pas en train de mourir. Ils allaient se rétablir bientôt.
Elle le savait. Ils avaient subi pire que ça et s'en étaient sorti...
Pour une fois elle regrettait de ne pas fumer. Elle en aurait bien eu besoin.
Elle se redressa et se dirigea vers la porte de la chambre en silence, saisie
par le besoin de vérifier. Sa main était sur la poignée
quand Une remarqua ce qu'elle faisait.
-Ils se reposent! Laisse-les tranquille.
A ce moment, Noin entendit un mouvement à travers la porte.
-Il y en a un qui est réveillé, répondit-elle, contente
de l'excuse.
Elle ouvrit la porte prudemment. Par réflexe, Otto étendit la
main pour éteindre la lumière, sachant qu'il y avait une bonne
chance que leurs supérieurs y soient hypersensibles, et elle lui lança
un sourire de remerciement.
Il ne l'éteignit pas assez vite pour qu'elle ne voie pas le double reflet
étrange dans l'un des lits, comme deux lucioles dans le noir.
Les yeux de Treize étaient ouverts et il la regardait.
-Général...? appela-t-elle doucement, pas certaine qu'il soit
d'humeur à se laisser approcher.
-Où sommes-nous?
Elle se détendit. Il sonnait normal.
-En Suisse, mon général.
Une la bouscula et entra dans la pièce. Treize se redressa lentement,
et Une donna l'impression qu'elle allait se précipiter pour l'aider.
Mais il leva la main pour lui dire de ne pas approcher, et elle se figea.
-Monsieur Treize...
Elle semblait surprise, un peu blessée, et Noin la comprenait ; elle
aussi aurait été blessée si Zechs lui avait interdit d'approcher.
Mais elle comprenait Treize aussi. Pendant une fraction de seconde, alors que
Une avait été prête à s'élancer, elle avait
vu les muscles de son supérieur se tendre brièvement et son expression
se durcir, comme s'il avait été au bord d'une autre de ses étranges
crises de fureur. Il était assez sain d'esprit pour se rendre compte
à quel point il était instable.
-De l'eau, s'il vous plaît, Lady Une ? la coupa-t-il avec une version
fatiguée de son sourire charmeur.
Une hésita, puis, apparemment rassurée par son expression calme,
fit demi-tour pour aller lui remplir un verre d'eau. Noin resta près
de la porte, jetant un regard à Zechs qui dormait d'un sommeil agité,
les jambes emmêlées dans ses couvertures et ses longs cheveux blonds
collés à sa peau humide de sueur. Suivant son regard, Treize observa
son subordonné d'un air impénétrable, puis se tourna vers
la brunette.
-Où sommes-nous, Lieutenant ?
-Alpes Suisses, près de Genève, un chalet dans la forêt,
mon Général. Votre état s'aggravait et le Colonel Une a
jugé prudent de vous mettre à l'abri en attendant votre rétablissement.
-Quel jour sommes-nous ? demanda-t-il, continuant son interrogatoire méthodiquement.
Elle lui donna la date, rassurée de voir que son cerveau de tacticien
était déjà en train de travailler sur le problème.
-... Cinq jours depuis mon dernier souvenir précis, remarqua-t-il à
voix basse. Qui est au courant ?
-A part le Colonel Une et moi-même, juste le Lieutenant Otto, mon Général.
Son regard se fit vague pendant une seconde, comme si son attention était
attirée ailleurs, et elle eut peur qu'il ne dérive encore.
-... C'est lui, l'homme dans l'autre pièce, alors, murmura-t-il, comme
pour lui-même.
Noin hocha la tête, puis se dit qu'elle ne lui avait pas dit qu'il les
avait accompagnés, alors comment savait-il où Otto était?
-Comment va Zechs ? lui demanda-t-il avant qu'elle ait pu poser la question.
Elle se mordit la lèvre.
-... Il n'a plus été lucide depuis dix jours, mon Général.
Il alterne crises de douleurs, sautes d'humeur et ... crises de... ce qu'on
ne peut qu'appeler démence. D'ailleurs...hésita-t-elle.
-... Ca m'arrive aussi, termina Kushrenada d'une voix pensive.
Derrière Noin, il y eut un éclat de voix étouffé,
et elle se retourna juste à temps pour voir Une lâcher le verre
plein d'eau, qui roula sur le plancher en éclaboussant ses bottes. Ses
yeux étaient écarquillés et la jeune femme aux cheveux
courts ne l'avait jamais vue avec cette expression ouverte et vulnérable.
-Lady...
-Je vais vous chercher un autre verre, lâcha-t-elle en disparaissant à
nouveau.
Noin se demanda quand elle s'était détachée les cheveux.
Treize soupira, l'air un peu triste.
-Vous vous en rappelez, mon Général ?
-Pas réellement, répondit-il avec un sourire sans humour. Les
souvenirs sont là, mais ils sont trop confus pour que je les comprenne.
Et je ne vais pas essayer de les démêler maintenant, ajouta-t-il
calmement, cela risquerait de provoquer une autre crise.
Il redevint silencieux, son regard vague une fois encore, et le Lieutenant Noin
décida de le laisser penser. Elle faisait confiance à ses capacités
mentales. Et elle ne savait pas trop que demander.
* * *
Une revint, verre d'eau à la main, mais s'arrêta près de
la porte, incertaine. Il lui fit signe de venir à son côté,
et elle s'approcha à petits pas, son expression anxieuse et adoratrice
à la fois. Gênée, Noin détourna le regard et sortit,
et s'adossa au mur près de la porte. Ca semblait trop personnel pour
qu'elle y assiste, mais elle ne pouvait s'éloigner plus que ça.
Si Treize avait une crise maintenant, Une aurait besoin d'aide immédiatement.
Elle entendit Treize boire, un froissement de draps comme s'il se redressait
lentement et difficilement dans son lit, et puis, après un moment de
silence, sa voix basse et harmonieuse.
-Il y a quelque chose au fond de moi qui se bat pour sortir... et si je ne reste
pas calme et en contrôle de moi-même à chaque instant, il
me dévorera. J'ai besoin que vous restiez forte pour moi, Lady. Quand
vous êtes en désarroi, je souffre aussi.
Otto et Noin échangèrent un regard de sympathie, aussi inconfortables
l'un que l'autre, puis retournèrent à leur tentative de passer
pour du papier peint.
-... Je comprends, murmura le Colonel de sa voix douce et presque timide. Je
me maîtriserai mieux à l'avenir, monsieur.
-Je vous remercie.
Embarrassée, Noin s'éloigna en silence, restant hors de vue, et
alla rejoindre Otto pour voir où il en était.
Deux minutes plus tard, la voix d'Une s'élevait, de nouveau autoritaire
et froide.
-Lieutenant Noin, Lieutenant Otto. Général Kushrenada vous demande.
Il était en sueur, pâle et les mains imperceptiblement tremblantes,
et bien qu'ils se soient habitués à le voir décoiffé
quand il était inconscient, les deux Lieutenants ne purent s'empêcher
d'échanger un rapide regard de surprise à la vue de ses mèches
en bataille, trempées de sueur.
-Mon Général, vous semblez fatigué...
-Je me reposerai plus tard, trancha-t-il, fronçant les sourcils.
Plutôt que de provoquer son tempérament instable, ils acquiescèrent.
-Quelle est la situation ?
Ils lui expliquèrent tour à tour comment ils les avaient enlevé
Zechs et lui, puis pourquoi la montée en influence de Commandants rivaux
de Treize, dans OZ et d'autres groupes, l'avait rendue nécessaire. Sans
Treize pour les forcer à le suivre ou à s'unir contre lui, ils
commençaient à essayer d'échapper à son influence.
Romafeller, qui avait été la maison mère de OZ avant la
sécession, restait leur adversaire le plus inquiétant, mais des
colonies comme de nombreuses régions du globe, des soldats, des mercenaires,
des politiques venus de diverses classes sociales s'unissaient selon leurs intérêts
pour faire valoir leurs propres revendications.
Fatigué, Treize ferma les yeux.
-... Au moins ils ne s'unissent pas contre nous.
Il pouvait déjà entrevoir le défi que ça serait
de convaincre la plupart de ces partis, de ces factions de se ranger une fois
encore sous la bannière d'OZ, et de détruire ceux qui n'accepteraient
pas de se ranger à leurs côtés pour le bien commun, trop
obnubilés par leurs intérêts propres pour se soucier des
intérêt de la race humaine elle-même.
S'ils ne le suivaient pas, il les détruirait. Il était déjà
résigné à faire le deuil des inévitables entêtés,
mais ce n'était pas ça qui allait l'arrêter.
* * *
Ils continuèrent à discuter à voix basse pendant plusieurs
minutes. Au début, Noin vérifia régulièrement qu'ils
ne dérangeaient pas Zechs; il avait besoin de repos. Mais comme il ne
bougeait pas, elle cessa de s'inquiéter.
Le grondement derrière elle la prit entièrement par surprise.
Otto fit volte-face, se plaçant entre les deux lits pour protéger
Treize. Noin l'imita, plus lentement. Zechs s'était acculé contre
le mur et tremblait, ses mains se crispant et se décrispant dans les
draps. Comme à chaque crise, l'expression sur son visage n'avait plus
rien de civilisé. Sa lèvre supérieure était retroussée
en un rictus agressif et ses yeux étrécis. Pourtant on n'aurait
pas cru qu'il pouvait réellement voir quoi que ce soit. Ses yeux paraissaient
... vides. Nulle trace de son intelligence, de son humour discret, de son éducation
dans ces prunelles glacées.
Nulle trace de lui.
Il commença à s'agiter, donnant des coups de pieds pour se libérer
des draps. Au début ils furent lents, endormis, mais Noin et Otto avaient
fait l'expérience de ce genre de crises et en général elles
finissaient par un déchaînement de violence aveugle et frénétique.
Les premières fois, ils avaient essayé de l'attacher au lit pour
le garder sous contrôle, mais ça ne faisait que rallonger les crises
et les rendre encore bien pires, et que Zechs finisse par briser ses liens ou
pas, il se débrouillait toujours pour se blesser avec les entraves. Le
mieux à faire, avaient-ils découvert, c'était encore de
s'écarter et de le laisser se calmer tout seul. Mais avec Treize lui
aussi dans la pièce...
-Lieutenant Otto, poussez-vous.
Surpris, les deux Lieutenants jetèrent un coup d'œil derrière
eux. Le Général était assis contre la tête du lit,
fixant Merquise avec une intensité étonnante -- et peut-être
pas tout à fait normale.
-Mon Général...
-Poussez-vous.
Il y avait un petit raclement rauque dans sa voix, et Otto se déplaça
sans répondre, inquiet.
Treize ne dit rien pendant de longues minutes, se contentant d'observer. Noin
ne savait plus à qui prêter attention, lui ou Zechs.
-Mes crises ressemblent-elles à ça? demanda-t-il finalement.
Il avait l'air si parfaitement détaché, on aurait pu croire qu'il
parlait du temps qu'il faisait.
-Oui... mais elles sont en général plus courtes et moins fréquentes.
Nous n'avons pas été capables de déterminer la raison de
cette différence.
Sa voix, pourtant prudemment douce, déclencha un nouveau sursaut et un
grondement menaçant de la part du blond. Les yeux de Zechs parcoururent
la pièce sans s'arrêter sur rien, et il fronça les sourcils,
comme s'il s'efforçait de percer du brouillard.
Ses yeux et ceux de Treize se rencontrèrent pendant une seconde, et elle
eut l'impression que pour la première fois, Zechs avait vu. Ca ne dura
pas malheureusement; deux secondes plus tard le blond en était de nouveau
à gronder sourdement et à déchirer les draps qui le restreignaient.
-La fenêtre... Ouvrez-la.
Noin hésita.
-Mon Général, il fait froid...
Elle le vit étrécir les yeux, son expression hésiter juste
entre agacé et féroce.
Elle alla ouvrir la porte-fenêtre.
Dehors, le soleil allait se coucher, et le ciel s'assombrissait déjà
malgré l'heure pas si tardive. Elle laissa les volets juste entrouverts,
pour que le reste de lumière ne dérange pas Zechs. Il était
déjà suffisamment agité comme ça.
L'effet fut contraire à ce qu'elle avait craint. Zechs se calma vite,
ses muscles tendus se relaxant. Il leva la tête, les yeux à demi-ouverts,
toujours voilés, les narines palpitantes.
Treize l'observait en silence, pensif. Il fit signe à Noin de s'écarter
de la porte-fenêtre, et elle recula lentement entre les deux lits.
Les grondements sourds s'échappant de la gorge du blond s'espacèrent
puis disparurent.
-Ne le couvrez pas, conseilla le Général quand il vit Noin hésiter,
une couverture en main. Rapprochez la couverture de lui, mais ne la mettez pas
sur lui.
Elle se rapprocha prudemment, mais même si les yeux bleu clair de Zechs
se tournèrent vers elle -- sans vraiment sembler la reconnaître
comme toujours-- il se contenta de se tendre un peu, la laissant amonceler les
couvertures tout autour de lui, comme une sorte de nid, sans protester davantage.
C'était étrange de voir un homme aussi grand, aussi large d'épaules
que Zechs, se rouler en boule comme un enfant, comme un chat presque. Dérangeant,
pas tellement pour la position elle-même, mais pour le naturel avec lequel
ça semblait lui venir. Mais au moins il était calme. Peut-être
que tout ce dont il avait besoin, c'était de ne pas se sentir prisonnier.
Il n'était pas claustrophobe habituellement, mais ...
Finalement, il fut clair que la crise était passée, et quand Treize
ferma les yeux et parut vouloir se reposer, Otto quitta la pièce sans
bruit. Noin hésita longuement dans l'embrasure, puis finalement décida
de laisser la porte entrouverte, juste au cas où. Une était assise
sur le canapé, enroulant et déroulant l'une de ses nattes en chignon,
et ne semblait pas vouloir reconnaître leur présence, ce qui convenait
très bien à Noin.
La jeune femme s'assit à la table, se trouva un rapport de mission à
lire, et finalement, laissa la quiétude du crépuscule la convaincre
de se relaxer.
Le soleil disparut entièrement, le ciel se peignit de couleurs plus sombres,
des roses et des violets somptueux, un petit vent frais courut dans la maison,
et enfin elle s'immergea complètement dans son travail.
Et puis la lune se leva, et la situation tourna soudain au cauchemar.
* * * * * *
Elle secoua la tête et observa Zechs en silence alors qu'il échangeait
des platitudes polies avec les autres officiers. Mis à part une fatigue
chronique régressant lentement, il semblait parfaitement remis. Son apparence
était exactement la même qu'avant; pas de zone de pilosité
trop drue, pas de déformation musculaire ou osseuse; au contraire, au
scanner, son avant-bras gauche ne montrait presque plus de trace de cette fracture
datant de l'académie militaire, et les signes de stress que son cœur
gardait après la crise cardiaque que le Tallgeese lui avait infligée
s'étaient volatilisés. Il était en meilleure forme qu'avant.
Mais elle ne pouvait accepter que c'était fini, que tout était
rentré dans l'ordre.
Tout n'était pas rentré dans l'ordre, elle le savait; ils le savaient
tous. Leurs sens étaient toujours hyperactifs, et ils avaient imperceptiblement
changé.
Elle se rappellerait probablement toujours de la terreur qu'elle avait ressenti
quand il s'était rué dehors à travers la fenêtre,
trébuchant, rampant dans sa lutte désespérée pour
atteindre la lisière de la forêt, qu'il avait commencé à
se métamorphoser, masse de chair changeante, juste assez loin du chalet
pour qu'elle ne puisse voir les détails les plus horribles et juste assez
près pour qu'elle puisse les imaginer bien mieux qu'elle ne l'aurait
voulu -- quand Kushrenada avait changé aussi, en pleine lumière
cette fois, juste sur le porche -- quand Otto, Une et elle avaient dû
faire face à la scène de cauchemar, à la manière
impossible dont leurs corps se brisaient, fondaient pour mieux se reformer en
quelque chose de totalement étranger. Elle se rappelait encore du goût
acide dans sa gorge comme elle se retenait de vomir, des sanglots d'horreur
étouffés d'Une...
Otto les avait tirées en arrière, à l'abri, et verrouillé
la porte. Puis ils avaient entendu un hurlement de bête dans les bois,
et, réalisant ce que c'était, Otto s'était effondré
dans un coin et avait passé un bon quart d'heure à avoir une crise
de nerfs. Noin s'était débrouillée pour n'avoir la sienne
qu'après avoir barricadé toutes les issues.
Elle n'avait jamais imaginé que les monstres de légende puissent
exister.
Mais le lendemain, l'homme nu endormi sous le balcon, c'était toujours
Zechs... Sale, cheveux emmêlés, mais miraculeusement sain d'esprit.
Ou presque.
Parce que le coup de retrousser la lèvre quand quelqu'un se penchait
sur lui ou lui disait quelque chose qu'il n'aimait pas, c'était un tic
qu'il n'avait jamais eu avant.
* * *
L'infiltration fut plutôt facile, tout compte fait. Il neigeait légèrement,
et la visibilité des gardes s'en trouvait considérablement réduite.
De plus, les soldats étaient distraits par la conférence qui avait
lieu en ce moment même, sachant que si quelque chose tournait mal ils
devraient réagir très vite, et les deux factions passaient presque
autant de temps à se regarder en chiens de faïence qu'à surveiller
les alentours.
Au final, Trowa et Quatre n'eurent même pas besoin d'agresser qui que
ce soit. Trowa, qui jouait les éclaireurs, fut aperçu deux fois
tout au plus, et comme il portait son uniforme d'OZ et se déplaçait
comme s'il savait parfaitement où il allait, personne ne pensa à
l'arrêter.
Ca se passait bien trop aisément pour la tranquillité d'esprit
de Quatre, en fait. Il espérait seulement que les plans d'urgence allaient
suffire.
* * *
Le meeting traînait en longueur. Noin en avait marre, et pourtant tout
ce qu'elle avait à faire, c'était de se tenir debout derrière
Zechs, de surveiller les issues et les autres assistants, et de fournir documents
et références demandés en cas de besoin. Ce qui arrivait
très rarement parce que la mémoire de Zechs marchait très
bien et qu'il se souvenait de ce qu'il voulait pour étayer ses arguments
de lui-même.
Finalement, son homologue de Romafeller se leva, et elle soupira discrètement,
soulagée. La fin du meeting?
Apparemment non, parce que maintenant ils en étaient de nouveau à
échanger des platitudes polies et en apparence innocentes. Elle n'écouta
pas; l'une des raisons pour lesquelles elle n'était jamais montée
bien loin en grade était son manque total d'intérêt pour
les politesses pleines de sous-entendus empoisonnés, qui était
si nécessaire en politique.
Tant que Zechs avait pu se concentrer sur des décisions concrètes,
il était resté parfaitement en contrôle, mais quand le Colonel
ennemi se pencha vers lui avec un sourire faussement amical, tapota son épaule
d'un air paternel et lui demanda avec sollicitude des nouvelles de sa santé,
il gronda, sourdement. Noin sursauta. Il se tendait, comme s'il allait bondir.
Ni lui, ni le Général Kushrenada, ni Une, Otto ou elle-même
n'avaient réussi à déterminer à quel point l'animal
restait présent durant les jours de lune décroissante, et elle
avait espéré...
Noin se précipita à son côté sans avoir l'air trop
urgent, lui touchant le bras, et lui demanda d'un air vaguement concerné:
-Toujours ce rhume?
C'était nul comme mensonge, mais elle ne pouvait penser à rien
d'autre. Elle pouvait voir les officiers Rommies les regarder étrangement
et ne put qu'espérer qu'il jouerait le jeu. Heureusement, Zechs se reprit
vite, et se mit à tousser discrètement, comme s'il essayait de
maîtriser une quinte. Coupant court aux usuels salamalecs de post-réunion,
Noin les excusa auprès des officiers et le guida -- ou le traîna
-- hors de la salle, chassant fermement hors de son esprit une vision de muscles
se déchirant sous sa main, d'une gueule bardée de crocs se refermant
soudain sur sa gorge. Otto les suivit, impavide, se plaçant de l'autre
côté du Colonel à la seconde où la lourde porte se
referma derrière eux.
-Zechs?
Il gronda encore, son visage se tordant lentement de colère. Otto et
Noin échangèrent un regard alarmé, se demandant s'il fallait
s'enfuir.
-Zechs, du calme. Quel est le problème? demanda-t-elle calmement, espérant
rendormir ses instincts agressifs en faisant appel à sa raison.
Il ne répondit pas, les repoussant avant de s'avancer à grands
pas le long du corridor, au bout duquel il tourna sans hésitation sur
la gauche. Noin voulut le suivre, mais Otto la retint.
-Laissez-lui de l'espace, Lieutenant, conseilla-t-il.
Elle hocha la tête, catastrophée. C'était la première
fois depuis la pleine lune qu'il... qu'il... subissait une... Une rechute. Voilà,
une rechute, se dit-elle en le suivant de loin. C'était une maladie,
une catastrophe même, mais pas une malédiction. Il était
toujours l'homme qu'elle avait rencontré à l'Académie.
Il avait juste un petit problème.
Un problème dont ils essayaient toujours de définir les limites
et conditions. Un problème qui était probablement contagieux,
et pouvait s'avérer mortel pour son entourage.
Otto lui donna une tape sur l'épaule et elle se tira de sa contemplation.
Sans les attendre, l'homme aux cheveux blonds s'avançait dans le dédale
de couloirs à grands pas, comme suivant quelque chose. Il hésitait
souvent aux intersections, mais, suivant des indices que Noin et Otto ne pouvaient
discerner, retrouvait toujours le fil.
Finalement ils arrivèrent dans une salle de contrôle. Zechs enjamba
les gardes assommés sans même les regarder; Otto vérifia
qu'ils étaient vivants alors que Noin suivait leur supérieur à
l'intérieur, son arme en main.
Zechs vérifia la salle, grondant encore une fois quand il aperçut
un ordinateur juste en train de se remettre en mode veille.
-Ils sont partis.
-Tu es sûr? demanda Noin en finissant de vérifier les rangées
de bureaux méthodiquement.
Zechs ouvrit la bouche comme pour la rabrouer vertement, mais la referma et
secoua la tête. Noin sentit un nœud de tension se dénouer en elle;
il revenait à la normale.
-Je suis sûr, affirma-t-il d'une voix toujours intense, mais plus aussi
agressive. Je les sentirais.
-Pouvez-vous savoir depuis combien de temps ils sont partis? Demanda Otto calmement
en les rejoignant.
Le blond secoua la tête, frustré.
-Pas bien longtemps...
Il soupira et, cédant à la frustration, donna un léger
coup de poing dans le mur.
La grille d'aération se détacha du mur lentement et tomba sur
le sol avec fracas. Tout au bout du tunnel, quelque chose qui aurait pu être
un rat disparut au tournant. Sauf que c'était une chaussure.
-... Je vois ce que tu voulais dire, commenta Noin d'une voix étranglée
avant de tendre la main pour déclencher l'alarme.
* * *
Trowa savait déjà que Quatre était un bon tacticien et
un bon pilote, mais jusqu'à présent il n'avait pas pleinement
apprécié le fait que Quatre était aussi un bon soldat.
Oh, il savait que le blond pouvait très bien se débrouiller, mais
l'ex-mercenaire ne pouvait jamais vraiment oublier qu'il avait été
entraîné depuis l'enfance, alors que Quatre n'avait guère
plus que deux ans d'expérience de combats en Mobile Suits, et bien moins
que ça en infiltration.
Il fallait avouer une chose; quand il planifiait, sous une pluie de balles,
une attaque que Trowa aurait jugée impossible, et qui non seulement détruirait
plusieurs réservoirs de fuel et empêcherait une trentaine de soldats
de les courser, mais en plus les emmèneraient tout droit à travers
trois lignes de fortifications, ça ne se voyait pas.
Il fallait avouer aussi que d'escalader un Mobile Suit effondré en travers
d'un mur coiffé de barbelés, c'était bien plus facile avec
des coussinets qu'avec des bottes. Il pouvait entendre les soldats qui les avaient
suivis jurer quand ils glissaient le long du métal pour se planter dans
les congères.
Empêcher la transformation de continuer, c'était déjà
plus difficile. Il laissa Quatre le traîner, comme Trowa l'avait traîné
en haut du mobile suit, trébuchant dans la neige, le son de ses os craquant
couvrant à peine les jurons du blond.
-Il faut que tu remettes tes chaussures, tu vas attraper des engelures, commenta
Trowa entre ses dents serrées.
Quatre supportait très mal le froid, et la température était
si basse que c'était déjà un miracle qu'il ne soit pas
resté collé au mobile suit, coussinets sous les pieds ou pas.
Ses pieds étaient déjà violacés.
Les pieds de Trowa étaient en bonne voie de devenir des pattes. Serrant
les dents, il admit qu'il n'allait pas être capable de l'arrêter.
Il se tortilla hors de ses vêtements tant bien que mal, laissant Quatre
supporter la plus grande partie de son poids. Le blond ne lui jeta pas un coup
d'œil, trop occupé à surveiller les alentours.
-Statut? demanda-t-il rapidement en l'entraînant dans l'ombre d'un tas
de neige.
-Perte de contrôle. Pas blessé, répondit-il, à bout
de souffle.
Il n'arrivait pas à baisser la fermeture éclair de son anorak.
Le tissu était suffisamment résistant pour qu'il s'inquiète
du résultat quand sa cage thoracique entamerait la transformation, et
que les articulations de ses épaules changeraient d'angles.
Quatre dévala la pente escarpée d'une faille dans le glacier qui
tenait lieu de sol, maintenant Trowa contre son flanc comme un paquet encombrant.
Trowa retint son souffle et s'interdit de bouger, ne voulant pas compromettre
le contrôle déjà précaire de Quatre sur leur glissade.
Ils se retrouvèrent enterrés jusqu'à la taille dans une
congère, dans l'ombre du glacier.
La pente continuait encore en dessous d'eux, formant un canyon. S'ils glissaient
plus bas, ils seraient définitivement à l'abri des détecteurs
infrarouges, mais ils auraient de grandes difficultés à remonter
ensuite. Quatre traîna Trowa par le col vers un renfoncement dans la paroi
et l'y poussa, lui assurant un terrain presque stable. C'était compliqué
de se débattre dans la neige, mais au moins elle était dure et
ils ne s'y enfonçaient pas trop.
Trowa lui fit un signe de tête en remerciement quand Quatre commença
à l'aider à s'extirper de ses vêtements. Haletant, il ouvrit
les yeux -- quand les avait-il fermés? -- et adressa à Quatre
un petit sourire réconfortant. Le blond grimaçait en le voyant
nu, à moitié dans la neige, les lèvres déjà
bleues, mais la brûlure du froid ne dura pas, remplacée par le
fourmillement de la fourrure perçant sa peau. Trowa se rendit vaguement
compte qu'elle était plus épaisse que la dernière fois
qu'il s'était transformé -- pas assez, loin s'en fallait, pour
assurer une protection totale contre le froid polaire, mais toujours mieux que
d'être nu. Pourvu qu'ils restent en mouvement, ça irait.
Il roula sur le côté, toujours haletant, laissant Quatre tirer
ses vêtements à lui par à-coups, ne prenant pas la peine
de s'extirper du trou que son propre poids creusait. Il ne risquait pas de tomber
plus bas, et de toute manière, il avait trop mal pour être suffisamment
coordonné. Il entendit le blond rouler ses affaires, probablement pour
les attacher à son sac à dos. Au loin, des hélicoptères
vrombissaient -- le choc sourd d'un mobile suit en marche, des bouts de glace
crissant en dévalant la pente sous eux...
-Ca va?
Il se redressa lentement, se secouant.
-Hé, attention, Quatre protesta en souriant, levant un bras pour se protéger
de la neige qu'il projetait hors de son pelage. Il portait l'anorak de Trowa
en plus du sien.
Sur quatre pattes, c'était plus facile de se frayer un chemin, même
si les conditions n'étaient toujours pas idéales. Ils restèrent
à flanc de falaise, suivant la ravine. Des hélicos leurs passaient
au-dessus, attendant qu'ils ressortent.
Le froid brûlait les sinus du loup, sec et mordant, mais il continuait
à humer l'air, et finalement capta un courant d'air venant d'une autre
direction que le canyon principal.
Il y avait une autre craquelure dans le glacier, presque perpendiculaire au
canyon, sauf que des chutes de neige importantes s'étaient accumulées
par-dessus, cachant la faille de la surface. Elle était étroite,
et la neige semblait instable; Quatre et lui échangèrent un long
regard avant de s'y engager prudemment.
Le "plafond" était bas; Quatre devait avancer courbé.
-Peut-être que je devrais me transformer aussi, murmura-t-il.
Trowa eut un reniflement dédaigneux et se concentra sur des images de
sable, d'ondes de chaleur déformant l'air. Quatre grimaça, recevant
le message clairement.
-Tu as raison, le guépard est probablement encore moins bien adapté
que l'humain pour ce genre de terrain.
Ils continuèrent le long du tunnel secondaire, devant se tortiller et
ramper plusieurs fois quand le passage rétrécissait, évitant
à peine plusieurs chutes dans des crevasses -- et ce moment de terreur
absolue où le plafond leur tomba dessus. Heureusement, ce n'était
qu'un mètre de neige à peu près, et ils s'en extirpèrent
relativement vite, mais après ça ils se méfièrent
encore plus. Le terrain était très nettement instable, et la faible
lumière qui filtrait à travers la glace n'était pas d'une
grande aide.
Finalement, après des heures à ramper et tituber, le tunnel s'élargit
et ils virent au-dessus d'eux une faille s'ouvrant vers la surface. Leur soulagement
ne dura que jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que même en se
redressant, Quatre ne pouvait pas toucher le plafond.
Grommelant, Trowa commença à creuser, repoussant des paquets de
neige sous l'ouverture. Peut-être qu'en tassant bien, ça aiderait...
Ils se mirent au travail, gestes mécaniques, sentant à peine le
froid. Trowa pouvait voir dans les mouvements lents de Quatre qu'il ne demandait
rien de mieux que de s'asseoir juste une minute pour se reposer, mais ils savaient
tous les deux que c'était une mauvaise idée.
Finalement, Trowa se roula sur le tas de neige pour le tasser, puis prit des
appuis solides et attendit. Quatre le regarda pendant quelques secondes avait
de comprendre.
-Oh. Marchepied. ... Okay.
Grimpant sur le dos du loup, il trouva des prises et se faufila à travers
l'ouverture. Trowa se ramassa et bondit, ses griffes s'enfonçant dans
la glace. Il sentit son support se briser sous son arrière-train et se
démena pour grimper avant que tout s'effondre -- trop tard.
La main de Quatre se referma sur la fourrure de sa nuque et le tira vers le
haut. Patinant désespérément, il se tortilla à travers
l'ouverture et se jeta aussi loin de la faille que possible, Quatre se précipitant
derrière lui. Deux secondes plus tard, la glace s'effondrait dans le
tunnel.
Haletant, Quatre se laissa tomber sur les fesses, et jeta un coup d'œil aux
alentours avant d'adresser un petit sourire épuisé à Trowa.
-Il va falloir te mettre au régime, toi.
Trowa gronda.
-Je plaisantais, l'assura Quatre, surpris, mais Trowa ne l'écoutait pas.
Il se jeta sur lui, le bousculant dans un tas de neige, juste à temps
pour le dissimuler aux yeux du pilote de l'hélicoptère qui les
survolait.
* * *
-Là!! Quelque chose bouge!! s'exclama l'un des hommes. L'espion!!
Le pilote fit virer son hélicoptère. Le jeune soldat pointait
du doigt un renfoncement où une forme sombre se terrait, jubilant. Ils
allaient attraper les espions! Ils seraient sûrement décorés,
et...
-... Steve... C'est juste un clebs.
-... Oh.
Steve sembla se dégonfler comme un ballon.
-Qu'est-ce que ce satané clébard glande là, d'abord?! protesta-t-il,
menaçant du poing l'animal accroupi dans la neige qui montrait les dents
à l'hélicoptère, queue entre les pattes.
-Y a quelque chose sous lui...
-Un sac poubelle probablement. M'étonnerait pas qu'il vive sur les déchets
de la base. Y a pas grand-chose d'autre à bouffer dans le coin.
-Je crois que c'est un loup, commenta leur camarade, un grand au crâne
rasé, qui jusque là était resté silencieux.
-Je croyais que l'espèce était éteinte en liberté?
s'étonna Steve.
-Qui serait assez barge pour aller les chercher au milieu de toute cette foutue
neige? commenta le pilote, philosophe. Bon, on la terrorise, cette pauvre bête,
on se barre.
Les deux soldats d'OZ, qui les accompagnaient en tant que guides, échangèrent
un regard vaguement surpris, mais en raison de leur incapacité à
piffrer les Rommies, négligèrent de leur mentionner que des loups
bruns en Antarctique, c'était à peu près aussi fréquent
que des pingouins dans le Sahara.
* * *
A la base, Otto tendit la main vers la radio et cliqua la petite fiche qui
avait dirigé le son vers les haut-parleurs.
-... Un loup au bout de la piste...? murmura Noin lentement.
Soudain, le comportement de Zechs prenait sens. Vaguement.
-Quelle zone patrouillait cet hélicoptère? demanda-t-elle en se
penchant par-dessus l'épaule d'Otto.
-Nord-Ouest. Je peux prévenir...
-Ce ne sera pas nécessaire, Lieutenant, lâcha Zechs à voix
basse. Romafeller nous suivrait et je nous vois mal expliquer pourquoi nous
trouvons un simple animal si fascinant.
-Mais, Zechs!! Il est...
... comme toi, ne dit-elle pas. Il aurait peut-être des réponses,
des explications... et elle avait une envie folle de faire payer à quelqu'un
ce que ces barbares avaient fait endurer à son ami, et à elle-même.
-C'est sûrement l'un des Cinq, commenta Otto en posant la main sur l'épaule
de la jeune femme pour lui indiquer de se ressaisir. La coïncidence serait
trop énorme.
-Si c'est le cas, trancha Merquise, nous finirons bien par les retrouver. Mais
sans risquer d'avertir Romafeller, cette fois.
Le blond eut un sourire prédateur.
-Je peux attendre. Nos chemins finiront bien par se croiser à nouveau.
* * * * * *
Le retour à la cachette se fit lentement. Les soldats ennemis ne se
décourageaient pas, sillonnant une large aire autour de la base, et souvent
Quatre et Trowa durent se dissimuler dans des crevasses, voire même sous
la neige, dans de petites cachettes rapidement creusées par le loup.
Quatre ne le regrettait pas trop. Il était trop épuisé
pour marcher longtemps.
Et puis, Trowa était chaud. La première fois ils furent tous les
deux un peu gênés, mais au bout de la quatrième interruption,
Quatre n'hésita plus à lui frotter vigoureusement les flancs,
les dégelant un peu tous les deux, et à se pelotonner contre lui,
soufflant gentiment sur ses coussinets qu'il réchauffait entre ses mains.
Les pattes de Trowa étaient en lambeaux, déchirées par
la glace, et Quatre ne pouvait pas dire si c'était pire que ses doigts
de pieds, rouges et enflés à tel point qu'il songeait sérieusement
à avancer sur les genoux. Enfin, c'était mieux que de ne plus
les sentir du tout, supposait-il.
Enfin, des deux, il était quand même le plus mal en point, mais
il mit un point d'honneur à ne pas le faire remarquer.
Finalement, après des tours et détours à n'en plus finir,
ils arrivèrent à l'endroit où ils avaient laissé
la motoneige. Trowa se retransforma -- dix minutes total, Quatre les passa à
compter chaque seconde et à se demander s'il était trop épuisé
pour réussir et ce qui se passerait s'il restait coincé entre
deux formes.
Evidemment, Trowa agit exactement comme s'il n'était pas épuisé
du tout et s'octroya d'office la place du conducteur. Quatre protesta, mais
des bruits de moteur se firent entendre au loin et ils n'eurent plus le temps
de discuter.
Le retour à la cabine leur prit quelques heures, mais ils s'éloignaient
du territoire ennemi et Quatre faillit s'endormir contre son dos plusieurs fois,
pas suffisamment fatigué pour ne pas être content de la proximité.
Trowa ne semblait pas tendu ou agacé, et même s'il ne savait pas
trop qu'en penser, Quatre décida d'apprécier le moment.
Ils avaient récupéré quand ils arrivèrent à
la cabine. Les coupures sur les mains et les pieds de Trowa avaient même
disparu. Ils expédièrent la nourriture qu'ils avaient emporté
rapidement -- Trowa dévorait comme s'il n'avait pas mangé de la
semaine; Quatre pensant qu'il y avait probablement un lien -- puis commencèrent
à récupérer leurs affaires.
Quatre était en train de fourrer son sac de couchage dans son sac à
dos quand Trowa, assis à la table en train de dévisser la radio,
prit la parole.
-Merquise est un garou, lâcha-t-il pensivement.
Quatre se figea, son sac à dos à la main.
-Quoi? Zechs...
-Sentait le loup, confirma Trowa en continuant à démonter la radio.
Il la rangea rapidement, puis commença à rassembler ses affaires
personnelles tandis que Quatre le fixait, stupéfait.
-Tu es sûr? Et ça n'était pas qu'il avait touché...
okay, non, oublie ça, se coupa-t-il.
Quand il était transformé, son odorat n'était pas aussi
bon que celui d'un canidé, mais quand même suffisant pour qu'il
se rende compte qu'il y avait une différence entre une odeur qu'on porte
et une odeur qu'on émet. Ce qui voulait dire que Trowa avait raison.
C'était une info de taille, même s'il ne savait pas quoi en faire.
-Mais comment -- le virus lycanthrope est extrêmement rare, commença
le blond, fronçant les sourcils d'un air pensif. La plupart des garous
hésiteraient à contaminer quelqu'un d'un si haut rang. Tout le
monde le connaît, de plus il fait partie d'une organisation militaire,
donc il subit sans doute des check-ups régulièrement. S'il était
contaminé, ce serait une catastrophe pour les meutes. OZ a largement
les moyens d'organiser des recherches pour retrouver la source de ce virus.
Et -- il ne peut pas être né ainsi, ou bien miss Relena le serait
aussi.
Trowa hocha la tête tout en enfournant ses habits dans son sac marin.
-Ce qui veut dire qu'il l'a probablement attrapée de l'un d'entre nous;
la coïncidence serait trop énorme.
Quatre fronça les sourcils encore une fois.
-Selon Sally, le virus ne peut pas survivre à l'air libre plus de cinq
minutes. Alors quand est-ce que l'un d'entre nous...
-Wufei, finirent-ils en même temps, échangeant un regard troublé.
-Peut-être qu'ils ont fait des prélèvements, commenta Trowa
d'un air pas convaincu.
Quatre secoua la tête.
-Non; ils ne pouvaient pas savoir ce que ça allait donner; Wufei ne s'était
encore jamais transformé. Son code génétique n'aurait donc
pas exhibé la quadruple hélice. Je les vois mal injecter ça
à leur précieux Zechs Merquise s'ils ne savaient même pas
en quoi ça pouvait résulter.
Pensifs, ils se séparèrent, Trowa sortant pour démarrer
leur véhicule et Quatre empaquetant les armes. Puis Quatre sortit à
son tour, la mallette en main et son sac à dos sur l'épaule.
-Wufei ne nous a pas parlé d'un accident de ce genre, commenta Trowa
en le dépassant pour retourner dans la cabane.
Quatre arrima solidement son sac au côté de la motoneige et attendit
le retour de son camarade.
-C'est vrai... D'un autre côté, que savons-nous vraiment sur ce
dont il se souvient de cette époque?
-On lui posera la question, répliqua Trowa en enfourchant la motoneige,
finissant là la conversation.
-Hep là! Si ça ne te dérange pas, je conduis, protesta
le blond en donnant une tape à l'épaule de son ami. J'ai été
suffisamment ballotté comme un paquet aujourd'hui. En plus, j'ai plus
hâte que toi de partir d'ici.
Amusé, Trowa glissa en arrière sur la selle, laissant à
Quatre tout juste la place de s'asseoir.
-Tu sais, commenta le garçon aux yeux verts d'un ton moqueur, il fait
plus froid à l'avant.
Quatre se contenta de lui tirer la langue. Pour une fois, le froid ne serait
pas malvenu. Avec les bras de Trowa autour de sa taille et son corps plaqué
contre le sien, il craignait déjà d'avoir bien trop chaud.
La suite dans un siècle ou deux. Reviewez si vous voulez. Chouinez à
vos risques et périls.